L’Autriche dans la tourmente de « l’affaire Ibiza »

Le scandale « Ibiza » pourrait bien sonner le glas de la carrière politique d’Heinz-Christian Strache.

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Poutine (Crédits : Platon, CC-BY-NC-SA 2.0)

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L’Autriche dans la tourmente de « l’affaire Ibiza »

Publié le 22 mai 2019
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Par Benjamin Rojtman-Guiraud.
Un article de The Conversation

C’est une vidéo qui a mis le feu aux poudres au sein du parti d’extrême droite autrichien le FPÖ, présidé par Heinz-Christian Strache. « L’affaire Ibiza », comme la nomment de nombreux médias, a débuté vendredi soir 17 mai, quand les journaux allemands, le Süddeutsche Zeitung et Der Spiegel, ont diffusé une vidéo tournée en caméra cachée, il y a un peu plus de deux ans.

On y voit le patron du FPÖ proposant à une femme – laquelle se présente comme étant la nièce d’un grand oligarque russe – de financer le FPÖ d’une manière occulte et de racheter un grand média autrichien, le Kronen Zeitung. Le but de cette opération à l’époque était clair : propulser Strache au pouvoir.

La vidéo à été tournée à Ibiza en 2017, on y voit le leader de la FPÖ Strache et son collègue Gudenus avec une prétendue nièce d’un oligarque russe.

Heinz-Christian Strache, l’homme du scandale

Mais qui est Heinz-Christian Strache, l’homme qui se trouve dans la tourmente et qui a été contraint de quitter ses fonctions de vice-chancelier ?

Quelques éléments biographiques permettent de mieux cerner une personnalité complexe. Durant son enfance, Heinz-Christian Strache a été éduqué en internat. C’est à cette époque qu’il va commencer à s’intéresser à la politique. Dès l’âge de quinze ans, il assiste à des réunions d’extrême droite.

C’est à peu près au même âge qu’il fréquente les « Wiking-Jugend » (WJ), (les Jeunesses Wiking), une organisation néonazie. Plusieurs photos seront publiées de ces réunions, au début des années 2000, simultanément avec le début de son ascension politique en Autriche. Elles le montrent en train de faire des signes et gestes nazis. Tout comme Jörg Haider, Heinz-Christian Strache a voulu réhabiliter les soldats nazis. En novembre 1989, il était même allé jusqu’à rencontrer le révisionniste britannique David Irving à l’occasion d’une conférence que ce dernier donnait à Vienne.

Confronté aux photos publiées par la presse au début des années 2000, il affirme avoir été « là juste pour écouter » et récuse « toute forme d’adhésion idéologique ».

Toujours dans les années 1990, Strache assiste à une réunion politique à laquelle participent également Horst Rosenkranz et Gerd Honsik, deux personnalités de l’extrême droite se revendiquant du néonazisme.

En Autriche, la coalition vole en éclats

La vidéo incriminée a eu pour conséquence de fragiliser l’actuelle coalition gouvernementale ÖVP/FPÖ, dirigée par le jeune chancelier Sebastian Kurz. À l’extérieur, les réactions aussi bien au niveau national qu’européen ne se sont pas faites attendre.

Le président autrichien Alexander Van der Bellen a convoqué des élections anticipées pour septembre prochain, insistant sur le fait qu’il fallait redonner confiance au plus vite dans la classe politique autrichienne et montrer une image digne au niveau européen.

Sebastian Kurz, chancelier autrichien et chef du parti conservateur autrichien l’ÖVP, a mis fin à la coalition gouvernementale, qui n’aura donc duré que dix-huit mois. Dès le lendemain de la diffusion de la vidéo, le chancelier Kurz déclarait que, dans ces conditions, « il était (lui) impossible de rester au pouvoir ».

En outre, le jeune chef du gouvernement a dénoncé le refus du FPÖ de changer de stratégie politique et regrettait publiquement les attaques incessantes d’Heinz-Christian Strache à l’encontre de la démocratie et des médias, mettant à mal l’image de l’Autriche au niveau international.

Coup dur pour les nationalistes européens

À l’étranger, le chancelier autrichien a obtenu un soutien de marque, en provenance d’Allemagne. À Berlin, c’est la présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, qui a tenu à apporter son appui au chancelier Kurz, suite à sa décision de rompre la coalition. La dauphine désignée d’Angela Merkel a ainsi affirmé :

Strache montre que les populistes d’extrême droite ne s’intéressent qu’à eux et pas à leur pays, à l’Europe ou au futur.

En France, la présidente du Rassemblement national s’est, quant à elle, interrogée sur le timing des révélations fournies par cette vidéo à seulement quelques jours du scrutin européen. Marine Le Pen a, par ailleurs, insisté sur le fait que le FPÖ restait un grand parti avec pas moins de 25 % des suffrages obtenus aux dernières élections.

De fait, le FPÖ est l’un des partis d’extrême droite les plus influents au niveau européen et le seul à avoir atteint un tel degré de responsabilité en Autriche, se voyant confié la vice-chancellerie et deux ministères régaliens.

Mais pour les leaders d’extrême droite au niveau européen, c’est un vrai coup dur à quelques jours des élections.

La démission d’Heinz-Christian Strache est intervenue le samedi 18 mai, jour où 12 partis d’extrême droite s’étaient donné rendez-vous à Milan pour un grand meeting autour de Matteo Salvini et de Marine Le Pen.

Le FPÖ, une quête de respectabilité compromise

Cette affaire pointe du doigt les relations troubles entre le FPÖ et la Russie, et plus généralement entre les partis d’extrême droite et la Russie. Certains journalistes vont jusqu’à considérer les partis d’extrême droite comme des « chevaux de Troie » envoyés par Poutine pour faire de l’ingérence au sein des instances européennes.

Peu avant les législatives de 2017, le FPÖ avait ainsi signé un accord de coopération avec Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine. Ces liens obscurs avec la Russie n’ont cessé de faire l’objet de rumeurs et de polémiques dans de multiples médias autrichiens.

Le FPÖ qui, depuis des années, gagne en respectabilité auprès de l’opinion publique locale à travers des résultats électoraux convaincants, pourra-t-il se remettre de cette affaire, à la veille des élections européennes et à quelques mois des élections législatives anticipées ? Le scandale « Ibiza » pourrait bien, en tout cas, sonner le glas de la carrière politique d’Heinz-Christian Strache.

Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Sciences politiques, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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  • Elle en dit quoi ? Miss Goulag !

  • marrant toutes ces casseroles qui sortent à point nommé dans certains cas ….; fillon et d’autres en savent quelques choses …..

    • Oué, c’est un complot, c est certain. Quand un homme politique se fait choper le bras jusqu’au coude dans le pot de confiture, c’est forcément un complot de son adversaire politique, et le vilain gourmand n’est en rien responsable de ses propres turpitudes et de leurs conséquences.

      • Le problème dans le cas Fillon n’est pas l’affaire en elle même, mais le timing des révélations. Un bon timing est très destructeur.
        Malheureusement garder une information secrète et la dévoilée, plus tard, au moment propice, n’est pas un délit et je le regrette.

      • allez savoir ; rachida datti et alain bauer sont soupçonnés de corruption et d’abus de bien sociaux sociaux dans l’affaire carlos ghosn…..comme par hasard , rachida dati vise la mairie de paris aux prochaines municipales ou trone actuellement hidalgo….

  • ce qui est bizarre c’est que cette affaire date de … 2 ans!
    et hop elle rappariait la veille des élections .. c’est ballot non?
    dans le milieu politique il est clair qu’il y a des pourris.. pas toujours punis (cahusac coule des jours heureux dans son cabinet en corse du sud), pas toujours dénoncés..

    çà s’appelle (en langage judiciaciaro-policier) un » blanc ».. c’est une faute u’on connait et qu’on garde sous le coude, soit pour exercer un chantage au vote, un ralliement , ou pour couler un adversaire..
    c’est ce qui est arrivé a Fillon , c’est très clair.. puisque au moins 50 élus étaient dans le meme cas que lui et n’ont pas été inquiétés
    (dont le president de l’assemblée nationale qui employait son épouse, depuis 20 ans)

    • Dans le cas de Fillon, le torpillage vient de son propre camp (qui savait qu il avait fait un emploi fictif pour sa femme ?)
      Le probleme est surtout que Fillon s etait presente en monsieur propre (qui imagine le general de Gaulle mit en examen ?) et qu il a menti une fois pris la main dans le pot de confiture (premier mensonge en affirmat que sa femme avait fait un vrai travail, second mensonge en affirmant se retirer si mit en examen)

      Dans le cas autrichien, la Video avait peu de valeur tant qu elle concernait un membre de l opposition qui pouvait y rester 20 ans (qui serait interesse aujourd hui par une Video de Bruno Megret ?)

    •  » ce qui est bizarre c’est que cette affaire date de … 2 ans!
      et hop elle rappariait la veille des élections .. c’est ballot non?  »

      Je dirais que c’est plutôt une bonne stratégie avant des élections. Drainer un électorat sur entre autres un programme  » anti-élites corrompus  » et faire pareil derrière son dos que les élites en question c’est que justice d’être pris de cette manière la main dans le sac.

      • @Le nouveau: Et on s’en fiche de savoir qui a monté ce coup ? Un bienfaiteur de l’humanité, patient, et avec beaucoup de moyens…
        Au fait, ce coup était ambitieux et il aurait dû/pu être beaucoup plus compromettant, au point même de pouvoir monter un chantage. Cette divulgation est un mieux que rien pour ses commanditaires mais pas plus.

  • Il faut toujours se méfier de ses amis, ses ennemis on les connait.

  • Il semble que, concernant M. Strache, l’accusation d’extrême-droite se soit révélée insuffisante. Il fallait donc porter un grand coup avant les élections européennes.
    « Extrême-droite » peut être traduit lar « qui défend l’Etat-nation » et ses prérogatives dans la décision politique. C’est tout à fait inacceptable pour la doxa mondialiste. Tous les moyens sont bons et bien malin le politicien qui ne va pas, un jour ou l’autre, se laisser piéger. De toutes façons, pour ceux qui sont dans le camp du Mal, s’ils n’ont pas de casseroles, on en inventera.

    • euh… nan mais là, faut pas lui chercher d’excuses hein. Il est plus mouillé qu’un poisson dans l’océan.

    • Surtout que seuls des services d’État pouvaient posséder les moyens mis en œuvre dans cette embuscade

  • Les circonstances de cette « vidéo » sont étonnantes !

    D’abord il est évident que la préparation a été soignée : la cible a été approchée en passant par un tiers de confiance.

    Ensuite, les lieux du « scandale » ne sont le fait du hasard : l’interlocuteur de Straches est très avenant, il s’agit d’une soirée, qui dure plusieurs heures, et arrosée. Et la caméra n’est pas dans un sac !

    Enfin le délai avant sa parution montre que le bénéfice de l’opération était au-delà d’une information publique : il y a forcément des bénéficiaires qui sont, ou les sponsors, ou les acheteurs, et ont sorti l’information au mieux de leurs intérêts.

    Tout cela ressemble énormément à la rencontre à la tour Trump, organisée par l’intermédiaire d’une boite travaillant pour les Clintons !… Par contre, beaucoup moins aux fuites de la DNC vers wikileaks.

  • C’est bien ce que je pensais… c’est la Russie de Poutine qui fait qu’on accueille tant de migrants en Europe dont on sait très bien faire des exclus et des assistés. Juste pour pouvoir fabriquer des extrêmes droites et les manipuler.
    Trop fort les Russes !

  • Il est évident que le timing de sortie est avec un but politique.
    Dommage car le jeune chancelier autrichien était plutôt pas mauvais à la tâche.

  • Si tout ces gens etaient honnetes….et plus d’etre pas tres bons certains sont vraiment mauvais.
    Comme si seul l’extreme droite avait un comportement leger avec l’argent du contribuable et achetait des vendus.

  • Bizarre que le polémiste allemand Jan Böhmermann (le copain d’Erdogan) ait présenté un sketch sur des contacts russes du FPÖ juste à la veille de la sortie de cette vidéo

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