Comment les dictateurs africains endorment leur peuple

Comment expliquer qu’en Afrique les dictateurs arrivent à se maintenir bien plus longtemps au pouvoir qu’ailleurs ?

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Agriculteur Afrique (Crédits : Marwa Morgan, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Comment les dictateurs africains endorment leur peuple

Publié le 14 juillet 2018
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Par Kassim Hassani, depuis le Bénin.

Un article de Libre Afrique.

Les dictateurs africains ne sont pas à court d’ingéniosité pour développer le culte de leur personne. Le dernier en date est le président burundais Pierre Nkurunziza qui a été élevé au rang de Guide suprême éternel. Ce faisant, il s’inscrit dans la tradition d’un certain nombre de dictateurs comme Jean-Bedel Bokassa, Muammar Kadhafi, ou Mobutu qui ont été également féconds en matière d’initiatives et stratagèmes pour prendre l’ascendant sur le peuple et se maintenir au pouvoir. Si la responsabilité des dictateurs est manifeste, celle des peuples, adhérant à leurs stratagèmes, n’est pas à éluder. Comment alors, les dictateurs africains manipulent-ils leurs peuples ?

L’instrumentalisation des référents historiques

L’histoire du continent africain a enregistré au fil du temps des héros qui font encore aujourd’hui la fierté de l’Afrique. Des décennies après les indépendances officielles des pays africains, le discours anticolonialiste continue de galvaniser les peuples et de propulser leurs auteurs au pouvoir non plus pour un réel changement mais juste pour changer de main au pouvoir et exercer parfois plus de dictature. Ce levier est souvent exploité par les dictateurs qui s’érigent en dernier rempart contre le néo-colonialisme face à des populations préparées depuis longtemps à voir le colon comme la source de tous les malheurs. Il s’agit donc d’un moyen pour les dictateurs de détourner l’attention des citoyens des préoccupations essentielles en cristallisant la lutte anti-néocoloniale. Dès lors, ils font miroiter l’idéal d’un pays prospère où couleront le lait et le miel pour tous, en surfant sur un éventuel déluge qui adviendrait après leur départ. Ainsi, Mugabe prenait périodiquement des décisions anti-blancs comme la réforme agraire ou la loi sur l’indigénisation, qui n’arrangeaient pas son peuple mais légitimaient sa présence prolongée au pouvoir. Une sorte de signal était donc périodiquement lancé pour rappeler son combat contre le colon blanc.

Souvent en disgrâce auprès de leur peuple pendant leur mandat pour raison de mauvaise gouvernance, les dictateurs se réconcilient avec leurs habitudes propagandistes à l’approche des échéances électorales pour endormir le peuple et prolonger leur règne. Ainsi, la communication de certains dirigeants se base essentiellement sur une propagande inspirée des peurs et des envies des peuples. Le mensonge, la manipulation et l’intimidation sont érigés en mode de gouvernance. C’est dans cette catégorie que s’inscrit la communication de Ben Ali qui instrumentalisait la crainte de l’islamisme radical du peuple tunisien en se présentant comme le dernier rempart et ainsi perpétuer son règne. Mais dans le genre, Idris Debby Itno s’illustre aussi par l’image de gendarme du Sahel qu’il s’est construite en instrumentalisant la peur du terrorisme pour se maintenir au pouvoir, démocratiquement à ce stade.

Les marqueurs ethniques

Pour d’autres, l’instrumentalisation des fractures ethniques et tribales est un vecteur puissant de communication pour diviser et régner. Ainsi, certains dirigeants prétendent exercer le pouvoir au nom de leur ethnie ou de leur clan. Ils arrivent donc à se réfugier derrière cet alibi pour galvaniser leurs partisans contre d’éventuels contestataires leur  faisant croire à des complots sur fonds de rivalités ethniques. Il s’agit d’un moyen de détourner l’attention des enjeux politiques. Dans ce registre, Sékou Touré s’illustra en inventant un « complot peul » contre son régime de parti unique et par conséquent contre le peuple. C’est au nom donc de ce complot ventilé par les médias qu’il mena une répression sans précédent contre les ressortissants de l’ethnie Peul majoritairement intellectuels et influents dans la chefferie, pour éteindre toutes velléités de contestation. Si les dictateurs mettent un point d’honneur à peaufiner leur communication, la réception des messages reste la condition du succès de l’opération. Qu’est-ce qui facilite donc la réceptivité des peuples ?

Un conditionnement culturel

En Afrique l’autorité est présentée comme sacrée, souvent innée et d’inspiration divine. À ce titre, même s’ils sont élus selon un système moderne, les dirigeants grimperaient dans la hiérarchie de leur clan. Or la conception traditionnelle de l’autorité confère à celui qui en bénéficie un pouvoir sans partage et incontestable. Cette conception du pouvoir transmise dans l’éducation traditionnelle africaine est aux antipodes des principes démocratiques qui consacrent une séparation des pouvoirs et admet même des institutions de contre-pouvoir. Le père de famille ou l’autorité familiale sont respectés et vénérés. Ce trait de l’éducation est souvent extrapolé par les expressions « père de la nation » ou « père de l’indépendance » utilisées pour installer dans l’inconscient des peuples l’image d’une autorité paternelle à la tête du pays. Ce rapport d’inféodation au pouvoir en Afrique est encore observable aujourd’hui dans la fidélité des armées de la République s’est observé.

L’ignorance des peuples

Dans le camp des aspirants au pouvoir, le diagnostic est souvent simple. Les tentatives de discussion s’assimilent à une résignation à négocier avec l’ethnie, ou le groupe social représenté par le dirigeant au pouvoir. Cette prédisposition à défendre son clan, son ethnie ou sa région dissout toute prééminence de l’intérêt général et augmente la réceptivité des peuples aux stratégies de communication des dictateurs qui savent s’en servir. En effet si aujourd’hui les États existent, c’est le fait de la colonisation et de l’introduction de modes de gouvernement relativement nouveaux sur le continent africain et pratiquement inexistants dans certaines contrées du même continent. Les populations maintenues dans l’ignorance restent donc étrangères au système, vulnérables à la propagande. C’est d’ailleurs de cette faille que profitent certains dictateurs pour orchestrer la désinformation à leur avantage. Abdelaziz Bouteflika entretient toujours le flou dans les médias sur son état de santé à travers des vidéos tournées à dessein et des supercheries audiovisuelles.

Les vecteurs de communication des dictateurs sont multiples et multiformes et son favorisés par des prédispositions des populations à y répondre. Il s’avère impératif pour les peuples africains de s’affranchir des considérations ethniques, tribales et régionales dans l’arène politique. C’est une condition de leur quiétude.

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  • en tout cas , il faut croire que la dictature c’est bon pour la santé ; ces pourritures vivent en général très longtemps ;

  • Bon rassurons nous, nous avons les mêmes ici en Europe : seul change le nom des « ennemis du peuple » : les riches, les immigrés, ̶l̶’̶h̶o̶m̶m̶e̶ ̶b̶l̶a̶n̶c̶ ̶d̶e̶ ̶p̶l̶u̶s̶ ̶d̶e̶ ̶5̶0̶ ̶a̶n̶s̶ . Petit jeu pour enfant de moins de 5 ans : je te donne l’ennemi et tu me dis le candidat dictateur .

  • La soft dictature est une dictature quand même. En France, on sait très bien faire…

  • Les commentaires sont fermés.

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