Les origines du dynamisme économique de Mulhouse

La lutte de cinq siècles de la bourgeoisie locale pour son indépendance permet à Mulhouse de devenir une cité d’industriels, assurant un terreau fertile à la croissance économique.

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Les origines du dynamisme économique de Mulhouse

Publié le 2 mars 2018
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Par Jonathan Frickert.

Mulhouse est devenue à partir de 1746, et ce durant deux siècles, un des premiers pôles industriels européens. Quels sont les moteurs qui ont fait la prospérité du « Manchester français » ?

Une cité d’industriels

Si de nombreuses personnes connaissent la réputation de la cité du Bollwerk, il n’est pas inutile de rappeler ce qui l’a amené.

Sans aller jusqu’à la banque BNP Paribas, issue des Comptoirs nationaux d’escompte créés en 1848 à Paris et Mulhouse, il est difficile de parler de commerce à Mulhouse sans évoquer le groupe Louis-Dreyfus dont les débuts remontent, en 1851, au négoce de blé franco-suisse.

L’armement n’est pas en reste puisque Manurhin, fondé en 1915, a longtemps été le premier fournisseur des forces de police et de gendarmerie avec le MR 73, avant d’être remplacé par l’allemand Glock.

L’industrie électrique est également très présente à Mulhouse, avec Clemessy, géant de l’ingénierie électrique fondé par Eugène Clemessy au début du XXe siècle, après que ce dernier ait transformé un vieux moulin en centrale électrique ; ainsi que la multinationale pétrolière Schlumberger.

Mais la ville est avant tout celle du textile, avec la fondation, en 1746, de DMC et l’épopée des frères Schlumpf, industriels du textile dont la collection automobile est considérée comme la plus grande au monde, débouchant sur l’actuelle Cité de l’Automobile.

Enfin, le transport, avec le géant Alstom, né d’un atelier de construction de locomotives fondé en 1839 par André Koechlin, descendant de fondateurs de DMC, l’entreprise de maintenance Apave et, dans une moindre mesure, le géant aéronautique Boeing, né en 1916 sous l’impulsion de William Boeing, neveu d’un industriel du textile mulhousien grâce à qui il fera plusieurs stages dans le secteur aéronautique.

Mais Mulhouse est également une terre de recherche, avec la première école de chimie de France et l’obtention du prix Nobel de chimie en 1913 par Alfred Werner.

Enfin, notons en 1902 la naissance à Mulhouse de Wilhelm Weiller, devenu William Wyler à 26 ans, qui réalisera Ben Hur en 1959, film le plus oscarisé de l’histoire du cinéma, rejoint plus tard par Titanic et le troisième volet du Seigneur des Anneaux.

Cinq siècles de lutte d’indépendance

Pour bien comprendre la réussite mulhousienne, il est nécessaire de comprendre la culture politique qui anime la cité.

Tout commence en 1261 lors de la révolte bourgeoise contre la domination de l’évêque de Strasbourg. Cette révolte sera le départ d’une longue tradition de lutte de la bourgeoisie contre la noblesse et le clergé.

À partir de 1340, la ville connaît 14 années de soulèvements des artisans contre l’aristocratie, avant d’adhérer à la Décapole en 1354, alliance de dix villes libres alsaciennes. Dans l’intervalle, Charles IV, empereur des Romains, accorde à la ville son autonomie, obtenant le statut de ville libre, dirigée par un bourgmestre et animée par un fonctionnement corporatiste qui sera la marque de fabrique de la ville.

Trente ans plus tard naît la grande coalition de Mulhouse avec plusieurs villes rhénanes et il faudra attendre un demi-siècle pour voir une tentative de matage des cités helvétiques avec l’aide des Armagnacs. Les Bâlois sont défaits et Mulhouse organise la résistance avec les habitants, les artificiers et des mercenaires.

Le Château d’Illzach, au nord de la ville, est libéré et transformé en garnison, permettant au conflit de se terminer par un retrait des envahisseurs en 1445. Les corporations nobiliaires sont dissoutes. En 1449, les nobles et les patriciens sont expulsés, gardant alors une rancune tenace envers la cité du Bollwerk, jusqu’à la guerre emblématique de l’histoire mulhousienne : la guerre des Six deniers.

En effet, en 1466, prétextant d’une dette de six deniers due par un jeune meunier, les Habsbourg, soutenus par la noblesse, tentent de prendre Mulhouse. Cette dernière s’allie alors avec Schwytz, Uri, Lucerne, Zurich, Zug et Glaris et parvient rapidement à écraser militairement la noblesse, imposant la signature d’un traité de paix en 1468 reconnaissant la liberté de la ville. Cette guerre ayant mis tout le territoire situé entre les Vosges et la Forêt noire à feu et à sang, le reste de la Haute-Alsace conservera une forte animosité envers la ville.

Cette guerre contraint Mulhouse à conclure une alliance en 1515 avec les cantons suisses et de se retirer de la Décapole, permettant à la ville d’être épargnée par les conflits environnants et notamment la guerre de Trente Ans.

Avec le traité de Westphalie de 1648, Mulhouse se retrouve enclavé en plein royaume de France. Cette situation sera problématique puisqu’elle contraindra, le 3 janvier 1798, le vote de la réunion de la ville à la toute jeune République française afin de lever le blocus mené par cette dernière. Dès lors, la Stadtrepublik Mülhausen devient la commune française de Mulhausen le 15 mars de la même année, avant d’être francisé en 1848.

Cette lutte de cinq siècles de la bourgeoisie locale pour son indépendance permet à Mulhouse de devenir une cité d’industriels, assurant un terreau fertile à la croissance économique.

Ouverture sociale, ouverture économique

À cette indépendance politique s’ajoute une ouverture sociale et économique.

Au XVIe siècle, Mulhouse adhère progressivement à la réforme, avec établissement exclusif du culte protestant. Catholiques et juifs sont contraints de s’installer à Dornach, à l’ouest, qui deviendra plus tard un quartier à part entière de Mulhouse. Les thèses d’Ulrich Zwingli, théologien réformateur suisse inspirent dans la cité le vote de lois strictes sur le blasphème, la consommation d’alcool et les relations hommes-femmes. Il faudra attendre 1803 pour que catholiques et juifs puissent revenir dans la ville aux cent cheminées.

L’ouverture économique, quant à elle, sera le fruit de la fin des barrières douanières issues de la Réunion de 1798. Le libre-échange qui s’en suivra accélérera le processus d’industrialisation.

Innovation et formation au coeur du modèle mulhousien

À cette culture de l’indépendance et de l’ouverture socio-économique s’ajoute un couple fondamental permettant la mise en branle de toute la mécanique mulhousienne : une culture de l’innovation associée à un perpétuel effort de formation.

En effet, le modèle mulhousien reposait sur trois piliers : un patronat protestant paternaliste, un souci de l’équilibre social ainsi que l’association de l’innovation et de la formation. Ce dernier point permit à l’industrie locale de maintenir une avance sur leurs concurrents mondiaux.

L’organisation de la République mulhousienne suivait naturellement ces piliers, puisqu’elle est constituée d’un bourgmestre, d’un conseil de 12 membres ainsi que de 12 sénateurs issus de 6 corporations faisant office de pouvoir judiciaire.

L’aube de la prospérité mulhousienne, à la moitié du XVIIIe siècle sera naturellement le crépuscule du corporatisme, lui permettant de rentrer de plain-pied dans la révolution industrielle.

Le premier choc pétrolier scellera la fin de cette épopée, qui sera compensée à partir des années 1980 par l’explosion du secteur tertiaire, épousant les mutations européennes.

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  • Tout à fait d’accord avec vous. Ce fut grandeur, et c’est devenu décadence. Heureusement qu’il nous reste le zoo et les Musées.

  • Je suis bien d’accord. Mulhouse après avoir connu la grandeur et tout ce que décrit l’article, est en pleine décadence. Le mouvement de fuite vers la périphérie est logique : impôts locaux élevés pour les ménages aisés, écoles presque toutes en REP, communautarisme..Mais en cela, je pense que c’est le lot de beaucoup de villes de cette taille. heureusement qu’il reste de très beaux musées…

  • Les commentaires sont fermés.

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