Par Gabrielle Dubois.
Nous voici arrivés au quatrième article de cette série Liberté et auteurs du 19ème siècle. Ici, on nous mettra devant une évidence invraisemblable : on a la liberté de tendre le bâton pour se faire battre !
Vous avez pu voir l’ingérence de l’État qui est allé jusqu’à perquisitionner chez M. de Lamennais, confisquer son manuscrit, le mettre à l’amende et en prison parce qu’il parlait de liberté ; M. de Chateaubriand nous a expliqué que nous, Français, étions plus attachés à une idée d’Égalité qu’à celle de Liberté, ce qui ne nous a pas valu d’être plus heureux que sous la monarchie ; et Balzac, lui, aimerait bien que l’État s’occupe moins de notre argent !
La liberté au XVIIIème siècle
Nous, prétentieux sujets du XXIème siècle, nous nous imaginons encore, après avoir lu les trois premiers articles de la série Liberté et auteurs du 19ème siècle, avoir fait un pas de géant vers la Liberté ; presque, nous nous imaginons libres. La liberté est une idée française, croyons-nous, dont on a entendu parler dès le siècle des Lumières. En ce temps-là, nous n’avions pas de pétrole, mais nous avions des penseurs.
Une des idées du XVIIIème siècle, sur la question politique, était qu’un État devait représenter le peuple et être au service du bien public, favoriser le progrès économique et la diffusion de l’enseignement, combattre tous les préjugés pour faire triompher la raison. Mais la revendication de Liberté de Voltaire n’était pas encore à l’ordre du jour des dirigeants de son temps.
Liberté et 1789
Alors en 1789, les révolutionnaires français ont, non pas acquis la liberté, mais ils l’ont très chèrement demandée, ce qui est bien différent. En guillotinant la monarchie et quelques milliers de ses représentants – ou courtisans, ou pique-assiettes, selon vos penchants –, le peuple français, confiant ou naïf, a cru devenir souverain lui-même. Le Français, encore ébloui par les Lumières du XVIIIème siècle finissant, a cru, de bonne foi certainement, qu’il avait progressé.
Mais après Voltaire, on est tombé par terre, c’est clair ! Cela a fait mal, cela a déboussolé. Alors on a tâté de la République, du Consulat, de l’Empire, de la Monarchie de nouveau. On a tenté de vivre sans religion, puis avec encore.
En 1835, presque quarante ans après, les politiciens se battaient pour le pouvoir, comme depuis la nuit des temps, et notre demande de Liberté s’était sans doute perdue au fond du tiroir d’un bureau ministériel quelconque… Il paraît que cela arrive souvent !
Devions-nous croire encore que l’homme du XIXème siècle avait progressé ? Pouvions-nous encore être confiants en la capacité de l’homme à se gouverner par la raison ?
La prétendue perfectibilité de l’Homme
Théophile Gautier, dans sa préface de Mademoiselle de Maupin, avec humour et phrases bien senties, nous détrompait et nous faisait remiser nos illusions au placard :
« Mon Dieu que c’est une sotte chose que cette prétendue perfectibilité du genre humain dont on nous rebat les oreilles ! On dirait en vérité que l’homme est une machine susceptible d’améliorations. Quand on sera parvenu à donner à l’homme des yeux de l’autre côté de la tête, afin qu’il puisse voir ceux qui lui tirent la langue par derrière ou contempler son indignité, à lui planter des ailes sur les omoplates afin qu’il ne soit pas obligé de payer six sous pour aller en omnibus, à la bonne heure, le mot perfectibilité commencera à signifier quelque chose. »
Lois absurdes et coups de gourdin
« Alors, que nous parlez-vous de progrès ? écrit encore Théophile Gautier. Je sais bien que vous me direz que l’on a une chambre haute et une chambre basse, qu’on espère que bientôt tout le monde sera électeur, et le nombre des représentants doublé ou triplé. Est-ce que vous trouvez qu’il ne se commet pas assez de fautes de français comme cela à la tribune nationale, et qu’ils ne sont pas assez pour la méchante besogne qu’ils ont à brasser ? Je ne comprends guère l’utilité qu’il y a de parquer deux ou trois cents provinciaux dans une baraque de bois, avec un plafond peint par M. Fragonard, pour leur faire tripoter et gâcher je ne sais combien de petites lois absurdes ou atroces. Qu’importe que ce soit un sabre1, un goupillon2 ou un parapluie3 qui vous gouverne ! C’est toujours un bâton, et je m’étonne que des hommes de progrès en soient à disputer sur le choix du gourdin qui leur doit chatouiller l’épaule, tandis qu’il serait beaucoup plus progressif et moins dispendieux de le casser et d’en jeter les morceaux à tous les diables. »
La liberté, c’est pour demain
Malgré l’avertissement de Gautier, vous y croyez encore, à la Liberté que vous donne l’État. Vous allez toujours aux urnes, confiant dans l’affiche politique qui vous annonce, en bleu, en blanc ou en rouge :
« Dans cette belle France, on vous donnera la liberté demain ! »
Le lendemain, vous vous dites, chic, c’est aujourd’hui ! Mais l’affiche est toujours là ; et aujourd’hui, vous dit le politicien, n’est pas le demain d’hier, mais la veille de demain. Alors, l’affiche ne ment pas plus que le politicien : la liberté, si vous attendez qu’on vous la donne, ce sera à jamais pour demain.
Que faire ?
Garder au moins sa liberté de penser. Tenter, chacun, de se déterminer en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé, puisque telle est la définition du Larousse.
Tout comme Théophile Gautier, nous l’a montré dans ce texte écrit quand il avait vingt-quatre ans, ne pas se laisser duper par un système qui, bien qu’il ait de nombreuses fois au cours des siècles passés, changé de nom ou d’orientation, n’en reste pas moins un système pensé et régi par des hommes… imparfaits et imperfectibles.
Et ne croyez pas qu’il soit toujours facile de suivre sa propre route. Dans le prochain épisode de Liberté et auteurs du 19ème siècle, où nous verrons qu’un grand écrivain, celui qui voulait être Chateaubriand ou rien, a pris la liberté d’écrire exactement ce qu’il a voulu. Il s’en est suivi un beau chahut !
Laisser un commentaire
Créer un compte