La bonne cuisine deviendrait-elle une forme de soft power individuel ?

Quand dans l’art culinaire, la représentation de la qualité deviendra un sujet parfaitement maîtrisé, ce ne sera plus une simple passion, ce sera un pouvoir.

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La bonne cuisine deviendrait-elle une forme de soft power individuel ?

Publié le 18 février 2018
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Par Kilien Stengel.

Le mangeur du XXIe siècle, convaincu de la compétence de ses sens, qui ne voit pas grand-chose de qualitatif dans le paysage alimentaire et critique tout, quelquefois par plaisir d’ailleurs, est-il cohérent ?

Il déclare que l’excellence gustative n’existe pas ou plus, mais que seul le savoir-faire peut à l’avenir porter la qualité vers son sommet, vers le meilleur de lui-même. S’agit-il d’une réalité ? L’homme et sa technicité peuvent-ils et doivent-ils dépasser les attentes des consommateurs ?

L’homme est-il une assurance qualitative, avec ses incontrôlables humeurs et variabilités de justesses ?  L’homme qui conçoit est-il la solution réelle pour définir le bon mets ? Les bons mets étaient d’ailleurs, au XVIIe siècle, ceux qui favorisaient, entre mythe et réalité, la théorie hippocratique des humeurs.

 L’intervention de facteurs externes (atmosphère, milieu, activité, alimentation) provoque l’obstruction des veines : les humeurs entrent en effervescence, l’harmonie étant troublée, les premiers symptômes apparaissent (l’appétit disparaît, la fièvre monte…) – D’Houdain-Doniol–Valcroze, thèse de 2001.

Autant de facteurs qui viennent quotidiennement troubler notre représentation de ce qui parait bon en fonction de nos pré-requis, de ce que l’on nomme une bonne cuisine compte-tenu de notre éducation. Si l’en est de telles variantes possibles concernant le paradigme gastronomique de notre quotidien actuel, alors, quels seront les représentations des bons mets du XXIe siècle ?

De la cuisine au repas

L’inscription du Repas gastronomique des Français au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, en 2010, traduit à nouveau la volonté de promouvoir les pratiques culinaires, jusqu’à les inscrire dans un cadre officiel et patrimonial. À ce titre, la définition donnée au Repas gastronomique des Français dans le dossier de candidature, dessine un fort ancrage de l’objet dans l’histoire de la société et souligne en 2010 qu’ « il se déroule toujours selon les mêmes rites ».

La profondeur historique du bon repas est marquée par l’histoire des rapports entre agriculture, commerce, religions et rituels. Si tant est que le bon repas s’éloigne du simple acte alimentaire, l’acte de transmettre les savoir-faire culinaires, comme on le perçoit encore aujourd’hui, lui, parait très ancien.

Les pratiques culinaires, valorisées par les émissions télévisuelles depuis les années 1960 à nos jours, sont toujours aussi populaires aujourd’hui car elles appartiennent au besoin de ritualisation du geste nommé savoir-faire.  Cette « bonne bouffe » rituelle marque les moments forts de la vie des individus (naissances, mariages, fêtes calendaires, retrouvailles amicales) ; ce repas particulier, cette « bonne bouffe » s’organise lorsque l’on est en famille ou entre amis pour fêter une occasion particulière ou simplement célébrer le bien être ensemble (Chevrier, 2011). « Gueuleton », « grande bouffe » comme « bonne bouffe », sont autant de termes synonymes de traditions.

Alors, parmi toutes les pratiques de la cuisine et de la table, quelles habitudes sociétales faut-il transmettre ? La société met le mangeur et le cuisinier dans une situation structurée socialement et hiérarchisée, où chaque choix sera guidé par des rites.

Bien manger, c’est le choix d’un modèle éthique, personnel, qui fonde la connaissance alimentaire et de là l’identité du mangeur. Par-là, bien manger diffère totalement des éthiques équitables, responsables, durables, écologiques ou économiques, qui toutes se veulent fondées sur la connaissance de lois imposées à l’homme, non pas l’homme en tant que mangeur mais en qualité de consommateur.

Bien manger ne s’impose pas à l’homme ; c’est lui au contraire qui se l’impose en en faisant sa propre authenticité du « bon », son propre discours gastronomique, et expérimentant toutes actions alimentaires. Le discours gastronomique, que l’on construit au fil des apports du vocabulaire alimentaire glanés au fil des expériences de la vie, fonde à son tour la raison de manger, et remet dans les mains de l’homme le pouvoir du bon choix qui l’enrichit.

Ces critères de choix donnent de ce fait un surcroît de puissance et d’expansion aux aliments qui assurent la promotion de l’idée elle-même. Cette promotion concomitante du produit et de l’idée qu’il véhicule est sans rapport nécessaire avec la part de vérité objective que l’idée peut comporter.

Aussi on ne peut que difficilement séparer le pouvoir de l’idée, de la communication qu’elle diffuse, et du réel pouvoir du bon que d’autres appellent « la qualité alimentaire ». Le pouvoir de la pensée du mangeur dépend des pré-requis, parmi lesquels on trouve la connaissance des produits et les idées déjà véhiculées par la publicité, mais aussi, sans aucun doute, la culture, l’éducation ou le contexte socio-économique.

Certains journalistes pensent qu’il faut rattacher cette absence de reconnaissances du bon à une décadence sociale de la famille, de l’école, de l’environnement, de la ruralité, de l’attachement à la terre, rejetant la faute sur le consommateur plutôt que sur la disparition du pouvoir de régulation des représentations et du pouvoir réglementaire ; tandis que d’autres portent la faute aux pouvoirs publics.

La convivialité de la table familiale n’aurait-elle par un rôle dans la préservation des coutumes, des rites et des connaissances ou faut-il conformer l’apprentissage du bien-manger à des traditions ou à des modèles définis par les manières de table, les règles d’hygiènes, le partage, la temporalité, les échanges ?

L’aliment, le contexte de sa consommation, les rites qui l’entourent, exercent une série complexe de fonctions imaginaires, symboliques et sociales qui fait en quelque sorte voyager dans l’espace et le temps. Au fil des siècles, au fil des générations, les coutumes et manières de table nous persuadent de leur utilité. Les parents ont recours à elles pour élever leurs enfants au rang de la bonne société.

Mais de quelle « société mangeante » parle-t-on ? De quelle facette de la société actuelle s’agit-il ? Ainsi le bon repas, acte social par excellence, exprime non pas un simple acte, mais une synthèse originale des faits et rites de table singuliers. Dans les deux cas, simple acte ou rite singulier, ces éléments sont particularisés car ils sont ancrés dans un espace cognitivo-affectif qui les rend spécifiques par le discours que l’on porte à leur sujet.

Dans les deux cas, ces éléments construisant un bon repas, par faits originaux ou rites traditionnels, amènent à la question de transmission et de communication lors du repas qui n’est que trop rarement posée, car peut-être considérée comme allant de soi.

Notre culture alimentaire devrait-être à l’image de notre société : pluriculturelle. À l’heure où l’entrée dans les cantines de la cuisine halal et des produits bio, utilisés comme une forme de retours aux sources, fait couler l’encre de la critique, les cantines continuent de transmettre les usages de la galette des rois, des crêpes de la chandeleur comme de la bûche de Noël afin de nourrir corps et esprits, sans pour autant servir les rites de toutes les religions.

N’est-ce pas au nom d’une certaine volonté de conserver à tout prix des valeurs culinaires culturelles, qu’on a transformé le repas en focus cognitif sur lequel se concentre l’attention, prétendant une forme de valeur de transmission des rites familiaux ? La représentation du « bon repas » est alors spontanée, instinctive, comme une sorte de bienveillance à l’égard de l’invité.

La notion de pratiquer la cuisine apparaît aussitôt comme ce qui nous différencie, nous particularise, grâce aux apports d’une tradition externe, d’un mode de vie, d’un rituel culturel, ou de normes.

Bien manger au XXIe siècle

S’il existe un pays au monde où bien manger et culture sont authentiquement liés, c’est bien, entre autres, la France, « un pays où l’art, social par excellence, du bien-manger a atteint la perfection » (Kother, 1964). Mais, en France, la représentation du bon repas d’aujourd’hui, de l’extrêmement bon repas de demain, voire du « méga bon » futuriste, est-elle pour autant réelle, ou n’est-elle qu’un ersatz de l’imaginaire alimentaire ?

La notion de repas futuristes fut inventée par les fondateurs du mouvement italien du même nom. Il s’agissait du premier manifeste de la cuisine futuriste publié en 1930. Selon ce mouvement, les hommes pensent, rêvent et agissent selon ce qu’ils boivent et mangent.

Ainsi la cuisine devenait une partie intégrante de l’expérience esthétique futuriste. Révolutionnaire dans sa volonté de briser certaines traditions culinaires, selon eux, la cuisine italienne devait avant tout se débarrasser des pâtes, source de lassitude, de pessimisme et d’un manque de passion.

Cette idéologie se retrouve dans le « Manifeste de cuisine futuriste« , rédigé en 1932 par Filippo Tommaso Marinetti, le père du Futurisme artistique et littéraire. Mouvement d’avant-garde, le Futurisme s’épuisera dans sa compromission avec le fascisme. Cet ouvrage de Marinetti est donc un mélange de manifeste radical, de blagues et de recettes rocambolesques, parmi lesquelles on trouve le poulet au roulement à billes, le salami cuit dans le café et l’eau de Cologne, et le très énigmatique « carottes + pantalons professeur ». Ce signe « + » rappelle étrangement l’évolution actuelle des cartes de restaurants qui présentent sous un jour nouveau l’argumentation de la recette par une simple addition d’ingrédients : « bœuf cru + lentilles + anguille fumée + champignon + comté + céleri rave »1. Un inventaire d’ingrédients qui augure une perte sèche de l’argumentation commerciale discursive du mets, voire de l’apanage poétique du maître d’hôtel.

L’originalité, la créativité culinaire, la perception par les sens, la représentation du bon, n’est-ce qu’une imagination d’une partie de notre alimentation pour donner un peu de sel à notre vie ? Vu sous cet angle, l’homme aurait créé la qualité culinaire de toutes pièces, à moins qu’il ne l’ait rencontré.

Pourtant, la qualité telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’est pas explicitement définissable. Elle le sera certainement plus tard, au cours du XXIe siècle, quand les différentes origines culturelles ne feront plus qu’une, un modèle de bonne alimentation qui ne cessera d’évoluer au gré des régulières « nouvelles cuisines », si tant est qu’elles réussissent un jour à définir une cuisine pluriculturelle unique.

Posons-nous la question de l’influence de la mondialisation sur le lien qui existe entre le mangeur et sa représentation du bon. Cette dernière subira-t-elle une élasticité idéale, une déperdition de l’intérêt de bien manger ou une restructuration du cadre du bien-manger ?

Tandis que « le flambeau de la gastronomie sera systématiquement transmis jusqu’à nos jours et au travers de tous les régimes – monarchies, empires, républiques – par les plus hauts dignitaires de l’État » (Pitte, 1991), et malgré la volonté éthique de transmettre, la société, construite de marchés économiques et de variables humaines, ne peut en aucun cas assurer une quelconque réussite en l’un de ces sens, et doit admettre le « zapping alimentaire » (« Gastro » le dimanche et « MacDo » le lundi) comme culture à part entière.

Dans ses travaux, Alyette Defrance (1994) a su mettre en évidence la « nouvelle cuisine » des années 1970, comme une alimentation alliant santé et plaisir. Pour autant qu’elle distingue, dans son ouvrage, 4 périodes, on peut faire apparaitre finalement une cinquième voire une sixième grande étape chronologique de la « qualité alimentaire », du paradigme du bon repas, depuis le milieu du XXe siècle, en ajoutant les décennies qui sont derrière nous :

  • Bon = Plus : recherche du quantitatif (après 1945)
  • Bon = Moins : recherche de la diététique (après 1970)
  • Bon = Vite : recherche de diminution du temps du repas (après 1980)
  • Bon = Sans : recherche du goût naturel et de l‘aspect déstructuré (après 1990)
  • Bon = Juste : recherche de l’équilibre entre le produit et l’homme (après 2000)
  • Bon = Local : recherche de la patrimonialisation et de la nature territoriale (après 2010).

Cherchant toujours à redéfinir la « juste » valeur des choses, concernant le goût juste, « c’est l’individu qui goûte, qui décide de cette propriété harmonieuse pour un aliment précis à un moment précis ». (Puisais, 2008)

La gastronomie du XXIe siècle, qu’est-ce, sinon des intuitions et réfutations offertes à notre bouche et à notre esprit ? La gastronomie est tout naturellement très utile pour la construction de ce siècle naissant. Car, quand l’aliment n’attire plus l’attention des sens, les sens perdent leur sens élémentaire ; et quand nos sens meurent, l’absurdité naît.

On devrait toujours avoir à l’esprit que c’est l’alimentation qui confère un sens à la vie autant que l’homme confère un sens à l’alimentation en la transformant et l’apprêtant. La vie humaine, présente comme à venir, n’a pas de sens sans une culture alimentaire.

La culture alimentaire au sens du savoir manger, est donc pleine de sens, pour peu qu’on lui fasse face, avec quelque peu d’humanité, de conscience et d’éthique. Si on connaît ce qu’on mange, on se connaît soi-même dit l’adage, alors comment ne pas voir que l’ignorance en termes d’alimentation est une plaie pour son équilibre nutritionnel et qu’il faut vouloir appréhender notre assiette pour mieux la maîtriser ?

Durant le XVIIIe siècle, Kant a montré que les dictatures dans l’histoire avaient toujours caché la vérité aux hommes. D’où la nécessité de se forger un savoir par l’éducation au savoir manger. Mais une fois avoir acquis un savoir gastronomique ou alimentaire, penser ce qu’on mange ce n’est pas obligatoirement décider d’apprécier tel ou tel produit, mais de découvrir que tel produit correspond à nous et nous donne une plaisir sensoriel, sensible et intellectuel.

Parce que la table est une encyclopédie, les limitations individuelles (le cadre que nous avons donné à notre identité gastronomique), autrement considérées comme des tabous alimentaires, et la recherche « d’une qualité », risquent de faire passer à côté de l’essence du savoir manger.

Depuis le début du XXe siècle, les paradoxes alimentaires et l’absence d’une réelle éducation alimentaire des consommateurs, ainsi que l’opinion de ces derniers, via l’information fournie par les médias et les sondages, ajoutent à l’incompréhension une diabolisation de certains secteurs tels que l’agroalimentaire, les restaurations rapides ou collectives.

Certains pensent qu’il faut rattacher cette absence de connaissances alimentaires à une décadence sociale de la famille, de l’école, de l’environnement, de la ruralité, de l’attachement à la terre, rejetant la faute sur le consommateur plutôt que sur la disparition du pouvoir de régulation. « Les préoccupations sociales en matière de transmission et d’éducation qui se posent actuellement en termes de « perte d’héritage » ou de « défaillance éducative parentale » et leur volonté de comblement par des actions d’informations. » (Dupuy, 2013)

Les Français, oubliant au fil des générations certaines valeurs traditionnelles du repas, pourraient imaginer un nouvel arbitrage pluriculturel aux forts enjeux sociaux. Mener une lutte tous azimuts contre les enjeux majeurs de la santé, de l’écologie et de l’économie, comme c’est le cas aujourd’hui dans la définition du bien-manger, doit passer par une prise de conscience des consommateurs et donc une parfaite maîtrise des connaissances alimentaires, de leurs diversités et leurs spécificités.

Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine […] pour que les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel et qui leur procure  un sentiment d’identité et de continuité. (Convention Unesco de sauvegarde du patrimoine culturel, 2003).

Le savoir-manger et le bien-manger sont au cœur de différentes réflexions du fait des problématiques de l’identité liées à l’obésité chez les jeunes, entre autres. Ces craintes relances la question d’un défaut de transmission des savoirs alimentaires fondamentaux par les parents.

En termes de loi parentale, d’après Freud, le processus d’idéalisation permet une identification à l’autre détenant le pouvoir ou représentant la loi, ou encore incarnant la fonction parentale, une forme d’identification verticale.

Réfléchir pour se nourrir

Penser sa nourriture, c’est réfléchir au rapport qui existe entre l’homme, ce qui l’entoure et ce qui le fait grandir. Ce qui est commun aux avis des différentes sciences humaines, telles que la philosophie, l’histoire, l’ethnologie, ou la sociologie, c’est que l’homme est un être mangeur et que cette situation est pour lui à la fois une situation naturelle et sociale. Cette situation le fait sans cesse revenir aux choses fondamentales, revenir aux besoins de la connaissance, afin de maîtriser ce qu’il mange, sans pour autant tout connaitre afin de laisser la possibilité à son esprit de penser sa nourriture.

La gastronomie fait souvent naître le désir certainement légitime. Mais s’agit-il finalement du désir de faire appréhender le devoir qui s’impose à l’avenir alimentaire appelé « gastronomie responsable », ou de faire connaitre à l’ensemble de la société pluriculturelle ce qu’elle mange pour l’enrichir, non seulement des connaissances techniquement importantes, mais aussi des idées venues d’ expériences qu’on peut croire humainement signifiantes ?

En outre, peut-être qu’au fond notre identité de mangeur, susnommée « gastronomisme », ne se trouve pas dans la gastronomie en tant que pratique culinaire, mais dans le repas. Cette assemblée constituante, formée de camaraderie ou d’éléments familiaux tous engagés dans un rite concret qu’est la convivialité et le partage, et dans un esprit commun de gastromanes, de gastrosophistes, de gastrolâtres, de gastrologiciens, d’œnophiles ou de pantagruélistes. Une table, où l’on maîtrise les événements, les discussions, et les plaisirs.

Alors tant que nous ne pourrons compter sur l’humain, sur sa bonté, sa franchise, son rapport au plaisir, aussi variables que son humeur, les liens qui tissent les camarades d’une table, eux, ouvriront une fenêtre aux intuitions de nos sens.

Le modèle culinaire est inévitablement lié aux produits utilisés mais surtout à son transformateur : le cuisinier. Le cuisinier d’aujourd’hui, donc du demain proche, définit le progrès gastronomique en sachant assimiler et trier ce que les produits nouveaux ont de bon, et il aura à l’avenir à sa disposition du matériel nouveau pour l’aider dans cette démarche.

Aujourd’hui, une cuisinière, jadis appelée « gazinière », peut être équipée d’un ordinateur pour progresser en techniques culinaires. Les matériels professionnels sont déjà dans les cuisines des ménagères. Mais comme tout progrès, les avancées culinaires doivent être disciplinées et utilisées pour le plus grand bien de l’homme.

On ne connait ni la représentation universelle de la bonne cuisine, ni le modèle de la perfection du bien-manger de demain. Pour autant, il n’existe pas « la bonne cuisine du passé », ni « la bonne cuisine du présent », mais il existait « une bonne cuisine du passé » qui fut réelle et qui a changé à chaque siècle ou décennie et en fonction des couches sociales, ainsi qu’il existe « une bonne cuisine d’aujourd’hui » qui est uniquement pensée individuellement. Notre temps est une multiplicité de mangeurs aux perceptions en développement.

Cette vision de la cuisine du XXIe siècle ne se présente pas d’un bloc. Elle se conçoit sous différents angles et selon des points d’intérêt variés. Pensons déjà à la notion d’innovation culinaire ou alimentaire. Elle recouvre à elle seule des réalités multiples, comme l’innovation centrée sur le produit, le process d’élaboration, de production, ou l’innovation marketing, communication et distribution, voire l’innovation organisationnelle.

Cela infère-t-il une action prioritaire des services R & D en entreprise, l’acquisition de nouvelles connaissances sur le corps, la santé, la nutrition ou sur les mécanismes de perception, de représentation, de changement ? Responsabilité des sciences humaines et sociales ou priorité aux sciences expérimentales, cognitives ou communicationnelles ?

En allant plus loin, l’innovation ne tient-elle pas aux changements de contextes, d’environnements physiques et sociologiques, comme vecteurs de mobilisation et d’action, en direction par exemple du bio, de l’éthique, du responsable et/ou du durable ? La cuisine de demain nous oriente-t-elle vers les produits, les pratiques, les marchés, ou vers des phénomènes plus structurels, plus profonds, à l’échelle de l’homme dans son rapport à l’alimentation, de la planète, de l’humanité ? (Stengel, Boutaud, 2016)

Parmi les facteurs qui interviennent actuellement sur les usages et les comportements alimentaires comme les savoir-faire et techniques culinaires, certains semblent donner image et contour au futur : le rôle de la culture traditionnelle sur les effets de la modernité, les changements révélateurs ou mutations profondes de notre société dont les effets sont à peine perceptibles mais sans doute irréversibles, la redéfinition du rapport entre l’offre et la demande sous de multiples dimensions matérielles et immatérielles.

A travers la pluralité des prismes que recouvre le mot « gastronomie » donner une vision des sensations alimentaires, des conduites alimentaires des savoir-faire techniques, comme des problématiques sociétales voire planétaires, s‘attache également à observer les discours alimentaires, leurs circulations et leurs valeurs.

L’art culinaire du XXIe siècle a la qualité d’être avant tout un plaisir, et il risque d’être dogmatisé. Les gourmands amoureux du bon produit ou du bon restaurant sont comme des prisonniers de leur passion, tandis que les professionnels de la gastronomie font du « bon » une passion.

Les yeux, premiers témoins de l’apparence gastronomique, sont pleins d’illusions de ce qui parait bon. Les autres sens, prenant leur indépendance, en se concentrant et se recueillant, définissent le sensible et l’intelligible par l’analyse réfléchie du bon. Mais quand la représentation de la qualité deviendra un sujet individuellement défini, parfaitement maîtrisé, clairement construit, et distinctement appréhendé, ce ne sera plus une simple passion, ce sera un pouvoir : un pouvoir sensoriel, un pouvoir sensible, un pouvoir symbolique.

Bibliographie

Chevrier F., Notre gastronomie est notre culture, François Bourin éditeur, 2011, pp.26-61

Defrance A., « To eat or not to eat », in 25 ans de discours alimentaire dans la presse, Les Cahiers de l’OCHA n°4, 1994, 130 pages.

Dupuy a., Plaisirs alimentaires, coll. Tables des hommes, PUFR-PUR, 2013, p.87-394

Kother J., La mémoire du ventre, Pierre de Méyère éditions, 1964.

Pitte J-R., Gastronomie française. Histoire et géographie d’une passion, Fayard, 1991, p.32.

Puisais J., « La place du plaisir dans l’éducation gustative », in Nourrir de plaisir, OCHA, 2008, p.88

Stengel K, Boutaud J-J., « Le futur c’est maintenant » in Cuisine du futur et Alimentation de demain, collection Questions alimentaires et gastronomiques, L’Harmattan, 2016, p.9

  1. Carte du Restaurant Septime-Charonne (Paris, le 21 novembre 2012)
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