La Fontaine, poète pédagogue et libéral

La Cigale et la Fourmi est une réflexion sur l’épargne, sur la redistribution des richesses, la responsabilité individuelle, la fraternité, l’assistance humanitaire, valeurs indissociables de l’humanisme libéral

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La Fontaine, poète pédagogue et libéral

Publié le 15 février 2018
- A +

Par Thierry Foucart.
Un article de l’Iref-Europe

La Fontaine (1621-1695) est un poète classique de la littérature française dont le succès ne s’est jamais démenti depuis le XVIIe siècle. Dans les années 1960, les écoliers apprenaient tous La Cigale et la Fourmi, Le Loup et l’Agneau, et d’autres fables remarquables par la poésie qui s’en dégage, la rigueur de la grammaire et la légèreté du style. Ils apprenaient aussi la morale de ces fables, qui donnait lieu à des commentaires de celui qu’on appelait jadis le « maître d’école ». Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui – mais je suis inquiet.

L’intérêt pédagogique des fables est d’abord dû à la qualité de la langue. À l’époque où les élèves – et même les adultes – écrivent surtout des SMS, disposent d’un vocabulaire limité, ont de grosses difficultés avec l’orthographe et la grammaire, elles montrent une imagination créatrice et un respect rigoureux des règles classiques de la grammaire française.

Que trouve-t-on par exemple dans La Cigale et la Fourmi ?

La Cigale ayant chanté
Tout l’été
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue

Ayant chanté : gérondif passé.
Se trouva : indicatif, forme pronominale, passé simple.
Dépourvue : participe passé accordé au féminin.
Fut venue : passé antérieur de l’indicatif, accordé au féminin.

Dans Le Loup et le Chien ?

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;

S’était fourvoyé : forme pronominale, plus-que-parfait.
L’eût fait : conditionnel passé.

Dans Le Savetier et le Financier ?

Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N’eussent pas au marché fait vendre le dormir,

N’eussent pas fait : plus-que-parfait du subjonctif !

Ces trois fables, très connues, offrent donc la possibilité d’analyser l’ordre d’apparition des événements et leur nature certaine, incertaine ou supposée, c’est-à-dire d’expliquer la concordance des temps et la différence entre indicatif, subjonctif et conditionnel.

Quel niveau, alors que, dans les nouvelles éditions des romans destinés aux enfants comme ceux du Club des Cinq, on supprime le passé simple en mettant tous les verbes au présent pour faciliter la lecture !

Ces temps et ces modes, rarement utilisés à notre époque, paraissent tout à fait naturels au sein des fables une fois qu’ils ont été expliqués et compris : le lecteur connaît exactement les personnages et le rôle de chacun, les événements et l’ordre dans lequel ils se sont produits.

La connaissance des mots et de la grammaire donne à l’auteur la capacité de décrire des situations diverses et d’exprimer des idées précises. Réciproquement, elle est nécessaire au lecteur pour bien comprendre les textes et les analyser de façon critique. C’est suffisamment difficile pour que l’on n’y ajoute pas l’écriture inclusive, qui est un détournement idéologique de la langue et crée une difficulté supplémentaire de lecture et de compréhension.

La Fontaine ne se limite pas au langage : ses fables, par le biais des animaux qu’il fait parler, décrivent des comportements humains typiques, abordent des problèmes de société, et font réfléchir sur des valeurs morales intemporelles. Elles contiennent souvent une réflexion de bon sens parfois très actuelle : sur l’euthanasie (La Mort et le Bûcheron, La Mort et le Mourant), l’avarice (Le Savetier et le Financier, la flatterie (Le Corbeau et le Renard), la justice (Les Animaux malades de la peste), le travail (Le Laboureur et ses Enfants)…

La Cigale et la Fourmi est une réflexion sur l’épargne (« Intérêt et principal »), sur la redistribution des richesses, la responsabilité individuelle, la fraternité, l’assistance humanitaire, valeurs indissociables de l’humanisme libéral :

Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? J’en suis fort aise :
Eh bien ! Dansez maintenant. »

L’analyse critique de cette fable consiste à poser des questions : la Fourmi doit-elle accepter d’aider la Cigale, ou, au contraire la laisser subir les conséquences de son comportement ? C’est tout le problème de l’assistance humanitaire, et il n’y a pas de bonne réponse, parce que la liberté n’existe qu’accompagnée de la responsabilité, et que la fraternité commande d’aider son voisin.


La Fontaine explique, dans Le Loup et le Chien, le prix de la liberté, et oppose le Loup qui préfère le dénuement dans la liberté, au Chien qui se soumet en échange du confort.

Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? Rien ?– Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
– Il importe si bien que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

C’est évidemment le Chien qui est le modèle de notre société occidentale : notre collier est la sécurité sociale, notre cou pelé par les cotisations sociales, et notre maître l’État-providence. On peut rapprocher cette fable de la précédente : le Loup refuse ici de perdre sa liberté quelles que soient les conséquences, et en assume la responsabilité.

La fable Le chien qui porte à son cou le dîner de son maître montre la corruption des élus et des puissants :

Je crois voir en ceci l’image d’une ville
Où l’on met les deniers à la merci des gens.
Echevins, prévôt des marchands,
Tout fait sa main ; le plus habile
Donne aux autres l’exemple, et c’est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque scrupuleux, pour des raisons frivoles,
Veut défendre l’argent et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu’il est un sot.
Il n’a pas de peine à se rendre :
C’est bientôt le premier à prendre.

C’est un comportement classique : tout le monde le fait, pourquoi pas moi ? On l’observe dans la classe politique et les syndicats toutes tendances confondues, empêtrés régulièrement dans des scandales financiers (financement des campagnes présidentielles, trafic d’influence, attribution de logements sociaux, comité d’entreprise d’EDF, financement de la rénovation des lycées d’Île-de-France, …). Ne nous leurrons pas : la tentation est dans la nature humaine.

La Poule aux œufs d’or met en garde ceux qui détruisent la source de la richesse dont ils veulent s’emparer :

L’Avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux pour le témoigner
Que celui dont la Poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un œuf d’or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable
À celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?

La Poule, c’est l’entreprise, et les œufs d’or les richesses qu’elle produit. Cette fable est inspirée de celles d’Ésope La Femme et la Poule et l’Oie aux œufs d’or. La première est l’histoire d’une femme qui augmente la ration de grain de la Poule au point de l’empêcher de pondre. La seconde est celle d’un homme qui éventre son oie pour en récupérer les entrailles qu’il croit en or. De même, les subventions étouffent les entreprises, et les prélèvements (charges, impôts et taxes) les ruinent.

La Fontaine est une source inépuisable pour l’enseignement du français, la réflexion sur l’humanité et l’acquisition de l’esprit critique et de la rationalité. Il transmet le langage, dans sa plus grande richesse, et aborde les problèmes des hommes et de la société avec tendresse et bon sens.

En faisant parler les animaux, il évitait la censure de son époque. Maintenant, il évite la censure de la nôtre : on ne peut réécrire la Cigale et la Fourmi en écriture inclusive ! Cet amoureux de la langue française est fondamentalement libéral, conscient à la fois de la faiblesse et de la force de la nature humaine, et des contradictions inévitables des valeurs morales.

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  • Aujourd’hui c’est par le RAP qu’on apprend la langue française et qu’on forge la mentalité des nouvelles générations … o tempora o mores.

    • Il y a pire : avez-vous la moindre idée de ce qu’est l’enseignement du français pour les étrangers ?

      Pour le contenant, on enseigne aux étrangers à faire fi de toute règle grammaticale ; pour le contenu, je vous renvoie aux épreuves officielles de langue française DALF. C’est une véritable honte !

      Moi qui ai été confronté aux épreuves officielles de mandarin et de japonais, je tombai de très haut lorsque je découvris avec horreur celles auxquelles les étrangers apprenant le français doivent se soumettre.

  • La Fontaine et ses fables, tout comme Molière et ses comédies, sont un cauchemar pour nos progressistes intello-pédago. D’abord c’est beau, ensuite c’est fin et c’est drôle, autant de caractéristiques honnies et vomies de nos jours. Pire, ces auteurs au succès multi-séculaire sont la preuve qu’il existe une véritable culture française contrairement à ce qu’affirment certains. La Fontaine et Molière ne sont pas bretons, auvergnats, poitevins, ils sont français et ne doivent rien à l’apport des étrangers. Comble de l’horreur, ils nous rappellent qu’une part colossale de cette culture française qui contribue encore aujourd’hui à son prestige, fût créée sous la monarchie, et pas n’importe laquelle puisque nos deux auteurs vécurent sous le règne de Louis XIV. Autant dire une sacrée épine dans le pied des zélotes émargeant au ministère de la vérité…

  • je pense que la France découvre que la liberté, l’engagement, l’envie de vivre par soi même se termine définitivement.
    il n’y a plus de majorité , qui souhaite vivre pleinement par eux même. l’ assistanat à pris place. fort de ce constat, il n’y a plus qu’un programme de vie possible. continuer à assister le pays…si besoin en faisant appel à certains étrangers qui n’ont pas cette chance.
    le surendettement continuera , malgré le « dead-babyboom qui arrive.

  • Les fables de La Fontaine sont difficiles à appréhender pour les élèves de collège actuels : ils n’ont pas le vocabulaire, bien peu ont acquis les bases de grammaire et de conjugaison.
    J’ai découvert la fable du Loup et du Chien en décembre, par hasard dans le maunel de français de 4ème. Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’entendre les débats entre les profs et les élèves… Je pense que cette fable ne sera pas étudiée par les élèves que je suis.

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