Par Nafy-Nathalie.
Depuis le 1er janvier 2018, 100 agents, gardiens d’immeuble ou volontaires, ont été assermentés, par la Ville de Paris, en vue de leur permettre de sanctionner toute incivilité constatée sur les biens HLM dont ils ont la garde. Ils peuvent mettre des procès verbaux à leurs auteurs. L’expérimentation concerne 125 000 logements et 300 000 habitants. Si elle est positive, elle sera étendue aux autres bailleurs sociaux de Paris.
Les incivilités sont devenus un problème majeur
En 2016, 13 Habitat, bailleur social des Bouches-du-Rhône, a recensé plus de 37 000 incivilités en tout genre dans l’ensemble de son parc d’habitation selon un article de La Provence. Il a cherché des solutions pour y remédier, qui n’ont pas été heureuses. La mise en place d’agents de paisibilité, par exemple, n’a pas été très concluante et a coûté très cher. Il tente donc autre chose en investissant les canaux de communication moderne, avec pour objectif de s’adresser directement aux jeunes, par le biais de la production d’une web série.
Cette web série peut prêter à sourire mais la démarche est symbolique d’une lutte contre les incivilités devenue une problématique importante et de l’impuissance des organismes sociaux. Un observatoire des faits d’incivilités commis dans les logements HLM a été mis en place. Son rapport de 2015 portant sur 2014 est surprenant.
Des agressions persistantes contre les salariés des organismes HLM
On passe de 60 % de plaintes systématiques par les organismes HLM en 2011 à 53 % en 2014. Le nombre des agressions recensées diminuent aussi : 3,7 plaintes enregistrées pour 100 salariés en 2011 contre 2,3 en 2014. À première vue la nouvelle semble heureuse. Dès que l’on creuse, elle l’est moins. On prend conscience que la variation des chiffres à la baisse n’est due qu’à la peur des représailles, à un découragement face à la procédure, compliquée et longue, ou à l’exclusion des plaintes dans les procédures.
Les salariés agressés le sont principalement du fait de l’insatisfaction du locataire. Le rappel des règles d’usage vient en seconde position.
Atteintes nombreuses au patrimoine des sociétés HLM
18 500 plaintes pour dégradations volontaires ont été déposées en 2014, soit un ratio de 6 plaintes pour 1 000 logements. En conséquence, le coût des dégradations volontaires n’est pas négligeable.
En 2014, il est de 24 millions d’euros soit 10 euros par logement. Mais là aussi, on assiste à une baisse des dépôts de plainte principalement à cause des assurances. Si le dépôt de plainte est indispensable pour être couvert par l’assurance, sa multiplication peut avoir un effet pervers. En effet, la multiplication des plaintes entraîne l’augmentation de la sinistralité et donc des primes d’assurances, ou la mise en place de franchises en deçà desquelles le préjudice n’est pas couvert.
Une privatisation de la sécurité des HLM en marche depuis 20 ans
Face à tous ces actes, les organismes HLM se trouvent un peu démunis. Ils pourraient repenser leur politique de satisfaction des locataires. Ce qu’ils ne font pas.
Les pouvoirs publics pourraient aussi s’intéresser aux procédures de dépôts de plainte, et à leur prise en compte. Ce qu’ils ne font pas.
On observe par contre la disparition des commissariats de proximité avec pour conséquence une difficulté pour la police à se déplacer pour des incivilités.
Les bailleurs sociaux ont commencé à se tourner vers le privé depuis une vingtaine d’années, encouragés dans leur démarche par la loi sur le gardiennage de 2001 :
Les propriétaires, exploitants ou affectataires d’immeubles à usage d’habitation et de locaux administratifs, professionnels ou commerciaux doivent, lorsque l’importance de ces immeubles ou de ces locaux ou leur situation le justifient, assurer le gardiennage ou la surveillance de ceux-ci et prendre les mesures permettant d’éviter les risques manifestes pour la sécurité et la tranquillité des locaux.
Ils reprennent aussi une pratique ancienne de privatisation des pouvoirs de police. Un article de JPM COPRO de 2012 nous apprend en effet que :
La pratique de permettre à des personnes ou institutions privées de faire constater des infractions portant atteinte à leurs biens par un préposé investi de pouvoirs de police privée est ancienne puisque les textes fondateurs du régime moderne sont le décret du 20 messidor an III et l’article 40 de la loi du 3 brumaire an IV.
Le régime des gardes privés assermentés
Aujourd’hui le régime auquel sont soumis les gardes privés assermentés est fixé par les articles 29 et 29-1 du Code de procédure pénale. Ils constatent par procès verbal les incivilités et le transmette dans les 5 jours qui suivent, sous peine de nullité, au procureur de la République ou à la police qui décident des suites à y donner. Les locataires en infraction encourent des amendes en fonction de la gravité de l’incivilité.
Bien sûr, ils doivent remplir des conditions de moralité et d’honorabilité, suivre une formation, prêter serment devant le Tribunal d’Instance et être doublement habilités. Ils le sont en effet par le propriétaire des biens dont ils ont la surveillance et par le préfet du département où ces biens se situent.
Ils sont également payés pour cette tâche supplémentaire selon les conditions de l’avenant n° 10 du 9 mai 2006 relatif à l’encadrement des pratiques d’assermentation des gardiens et concierges. Les atteintes physiques ou morales à leur encontre sont sanctionnées dans les mêmes conditions que celles des agents de la force publique.
Exemple parisien
Pour revenir à Paris, la Mairie a donc commencé par mettre en place des vigiles dans ses logements sociaux, pensant qu’ils pourraient améliorer la sécurité. Elle s’est donc retrouvée à payer doublement : elle paye le GPIS, Groupement Parisien Interbailleurs de Surveillance, pour assurer la sécurité de ses logements sociaux, à hauteur de 6 millions d’euros, et verse dans le même temps 284 millions à la préfecture de police. Paraphrasant H16, je dirai : « Ce n’est pas cher ! C’est la Mairie qui paye ! »
Quant au résultat, il est plus que contestable puisque :
« L’an passé, 5 000 locataires, à Paris, se sont plaints de problèmes d’environnement et de voisinage. », explique dans un article du Figaro de 2018, Ian Brossat, adjoint PCF à la maire PS de Paris, chargé du logement.
La Ville de Paris a donc décidé de décliner dans son parc HLM, l’exemple de Calais. Ce faisant, elle n’a rien fait de nouveau en réalité. Elle a remis au goût du jour une solution du XVIIIe siècle qui consiste à déléguer la charge de la sanction des incivilités sur son parc HLM à des agents assermentés.
Une efficacité contestable sur le long terme
Les retours des expériences de Calais où des gardiens ont été assermentés depuis septembre dernier sont intéressants. Ils semblent positifs. Au bout de quelques mois les incivilités ont baissé de 50 % ; les locataires sont satisfaits d’après Terre d’Opale Habitat, bailleur social. Toutefois, le témoignage de Michel, un de leurs gardiens, mitige grandement les résultats :
« En étant assermenté, on est un peu plus respecté des locataires, j’ai même vu des gens qui me disent bonjour alors qu’ils ne le faisaient pas avant« . Il obtient donc davantage de respect et de reconnaissance des locataires, ce qui est une bonne chose.
Pourtant, il n’a jamais dressé de procès-verbal pour le moment par peur des représailles… et à juste titre puisque les gardiens sont souvent seuls dans les parties communes, et qu’ils habitent sur place. Cela promet une efficacité sur le long terme des plus contestables.
Difficile également de ne pas se souvenir des scandales liés aux premiers vigiles de la Ville de Paris qui contribuaient à l’économie souterraine qu’ils étaient supposés combattre. Impossible également de ne pas penser à certains abus dont les gardiens pourraient être à l’origine comme par exemple, ce qui s’est passé dans cette résidence à Toulouse, et que nous rapporte cet article de La Dépêche.
Par ailleurs, n’oublions pas que le gardien reçoit chaque année des étrennes et se fait régulièrement rémunérer pour les petits services qu’il rend aux résidents ; ce qui peut le faire hésiter à sanctionner les enfants des familles qui lui apportent un complément de revenus.
La France n’est pas les États-Unis
Il est important enfin de se rappeler que la France ne peut pas dupliquer l’exemple américain. Notre droit du travail nous en empêche. Un gardien d’immeuble, même assermenté, ne sera jamais équivalent au concierge américain et n’aura jamais pour vocation d’assurer la sécurité de l’immeuble en filtrant les allées et venues.
Il n’exercera son assermentation que dans le cadre de la convention nationale des gardiens et employés d’immeuble, la même qui interdit, par exemple, aux concierges de recevoir des colis trop lourds ou grands, celle encore qui leur permet de ne pas réceptionner les recommandés des résidents.
Un facteur d’inégalité
La privatisation de la sécurité dans les immeubles pourrait également être à terme un facteur d’accroissement des inégalités. Comme l’indique en effet Ian Brossat : « La sécurité, c’est le rôle de l’État, pas du privé. Plus ces missions seront externalisées, plus l’inégalité d’accès à sécurité augmentera. Les bailleurs et les communes riches pourront faire appel à des vigiles privés, les pauvres non. Ce que je souhaite, c’est que la police retrouve des effectifs suffisants et que l’on revienne à une police de proximité ». Chacun se fera son opinion.
Une évolution intéressante du métier de gardien
Pourquoi l’État encourage-t-il le recours au gardien garant de la sécurité de l’immeuble si les résultats ne sont pas probants ?
Une réponse se trouve peut-être dans l’évolution de la profession de gardien d’immeuble. Cet article de 2011 du Parisien nous apprend que, au début des années 80,
L’Insee recensait 30 000 concierges à Paris. Trente ans après, les estimations les plus optimistes répertorient 17 000 gardiens d’immeuble dans la capitale, dont 1 250 dans le parc social.
Le métier semble donc être en train de disparaître dans les immeubles équipés de boîtes aux lettres, de digicode ou d’interphone, et ce d’autant plus que le gardien d’immeuble, surprotégé par sa convention, rend de moins en moins de services aux résidents, leur coûte cher (environ 30 000 euros par an charges sociales incluses) tout en occupant des mètres carrés qui pourraient être rentabilisés par une vente ou une location.
Un problème de sémantique
Le terme de gardien renvoie à l’image d’une personne en charge de la garde, de la surveillance et de la protection, ce qui ne correspond pas à la réalité de la fonction du gardien d’immeuble qui est celle d’entretenir et vérifier le bon fonctionnement de ses parties communes, durant ses heures de travail. Il n’a pas vocation à surveiller les allées et venues, faire respecter le règlement de copropriété ou sanctionner les résidents ou leurs visiteurs.
Les résidents sont d’ailleurs souvent dépités de constater que si le concierge à l’ancienne surveillait son immeuble comme si il en était le gardien, corvéable à merci 24h/24 et 7j/7, le concierge moderne préfère le plus souvent respecter le cadre strict de son contrat de travail. La question de son utilité se pose donc sérieusement.
Un métier menacé peut-être à sauver
Dans ce contexte, le décret n°2001-1361 du 28 décembre 2001 tombe, comme qui dirait, à pic. Il impose l’emploi d’un gardien ou employé d’immeuble à tout bailleur détenant plus de 100 logements, par tranche de 100, dans un même immeuble ou groupe d’immeubles de certaines zones sensibles.
Il est vrai que le taux de chômage de notre pays n’incite pas à favoriser la disparition d’emplois nécessitant peu de qualifications. Les tentatives de revalorisation du métier, en mettant en place des formations lui attribuant un rôle de facilitateur de lien social ou médiateur ne sont sans doute pas anodines, aussi bien pour attirer les jeunes vers la profession que pour inciter les employeurs à pérenniser la fonction.
Il n’est peut-être pas si aberrant alors de se demander si l’objectif réel de la transformation du gardien d’immeuble en gardien de la paix par l’assermentation ne s’inscrit pas dans ce contexte de sauvetage d’une branche professionnelle, davantage que dans une politique de baisse des incivilités.
« La sécurité, c’est le rôle de l’État, pas du privé. Plus ces missions seront externalisées, plus l’inégalité d’accès à la sécurité augmentera. Les bailleurs et les communes riches pourront faire appel à des vigiles privés, les pauvres non. »
Monsieur Brossat se trompe. Les bailleurs pourront faire appel à des agents de sécurité pour protéger leurs biens soit. Les pauvres, par définition, n’ont pas de biens. Des personnes qui n’ont pas le droit de se protéger elles-mêmes ne peuvent pas donner à autrui un droit qu’elles n’ont pas. Cependant, en rendant à chacun le droit d’assurer sa propre protection, le problème est résolu. De plus, l’Etat n’a pas vocation a assurer la « sécurité », mais à garantir notre Sûreté (entre autre Droit fondamental) maintenue par la force publique.
Je n’ai connu qu’un seul « gardien », qui en fait était concierge de la résidence où j’habitais à mes 10 ans. Dans cette résidence, nous étions une demie dizaine d’enfants disons… vivants. Je le trouvais c.. à l’époque, un peu moins maintenant. Il se chargeait de sortir les poubelles pour le ramassage, de changer les ampoules, d’entretenir le parc (bacs à fleurs, rosiers, arbres, haies, herbe…). Nous avons pris quelques remontrances, mais je n’ai pas le souvenir qu’il ait porté plainte contre quiconque. Lorsque nous faisions les idiots, et qu’il nous chopait, moi en particulier, il me ramenait chez moi et en discutait avec mon paternel, qui s’occupait de la sanction. Je pense que la différence majeure, avec cette époque est le respect. Le respect des lieux de vie, des lieux communs, et le respect entre personnes. Personnellement, j’avoue, je ne le respectais pas. J’ai même un peu ruiné les rosiers. Cependant, il est parti de la résidence quelques années après moi, et la résidence est devenue un taudis.