Le monde dangereux du Bitcoin au Venezuela

Le potentiel de Bitcoin, en tant qu’alternative aux monnaies officielles gouvernementales, est encore aujourd’hui sujet à controverse dans le reste du monde. Mais dans un pays qui manque de nourriture et de soins, la situation est toute autre.

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Bitcoin By: BTC Keychain - CC BY 2.0

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Le monde dangereux du Bitcoin au Venezuela

Publié le 14 octobre 2017
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Par Jim Epstein.
Un article de Reason magazine

Il y a quatre ans, les perspectives de carrière d’Alberto étaient pour le moins moroses. Le Vénézuélien, âgé de 23 ans, venait d’obtenir un diplôme universitaire en informatique, mais l’économie de son pays avait déjà été mise en pièces par 13 ans de socialisme.

« Il y avait des possibilités d’emploi, mais payées à peine 15 euros par mois, avec notre habitude de voyager et d’acheter à l’étranger, nous ne pouvions pas nous satisfaire de cela », se souvient son ami Luis. Alberto et Luis – dont les noms ont été modifiés pour leur sécurité – ont fait équipe afin de créer une entreprise de prêt-à-porter, qui s’est vite révélée déficitaire.

Une pyramide de Ponzi ?

C’est là qu’Alberto découvrit le minage de bitcoins.

Sur un forum de jeux vidéo qu’il visitait régulièrement, il vit un autre membre décrire un système permettant d’être payé dans une nouvelle monnaie numérique en échange de l’exécution d’un programme résolvant des calculs complexes sur son ordinateur. Ses parents lui ont immédiatement dit que tout cela ressemblait fort à une pyramide de Ponzi. Alberto, cependant, sentit que sa vie allait basculer.

Quatre ans plus tard, son pays est embourbé dans une crise humanitaire. Les rayons des supermarchés sont vides. Les enfants s’évanouissent de faim dans leur salle de classe. Un groupe de personnes a même récemment pénétré dans le zoo de Caracas pour y manger un cheval. La grande majorité des Vénézuéliens dépendent uniquement d’une allocation mensuelle de l’État équivalant à environ 8 euros.

La communauté des mineurs de monnaies numériques

Alberto, quant à lui, gagne à son compte plus de 1 000 euros par jour grâce au minage de bitcoins et d’autres crypto-monnaies.

Il fait partie de la communauté grandissante des mineurs de monnaies numériques du Venezuela. Face aux menaces croissantes de la criminalité et d’une véritable extorsion gouvernementale, ses membres communiquent via des espaces d’échanges en ligne secrets et prennent d’extrêmes précautions pour cacher leurs activités.

Dans un pays où la monnaie a perdu l’immense majorité de sa valeur en quelques années, et où la nourriture et autres nécessités de base sont devenues dangereusement rares, le Bitcoin fait office de véritable bouée de sauvetage à de nombreux Vénézuéliens. Cette même économie socialiste qui a provoqué la crise dans tout le pays a rendu le procédé énergivore du minage de Bitcoins extrêmement rentable, mais aussi extrêmement dangereux.

Des limites au pouvoir du gouvernement

Créé en 2008 par le mystérieux développeur uniquement connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, le Bitcoin est une monnaie numérique basée sur un Grand livre  comptable décentralisé, et qui n’est contrôlée par aucune banque centrale, société ou individu. C’est une monnaie dite pair à pair, fonctionnant grâce à Internet, ce qui limite considérablement le potentiel de régulation du gouvernement.

Le minage de bitcoins est un procédé qui consiste à fournir la puissance de calcul nécessaire pour faire fonctionner et sécuriser ce réseau de monnaie décentralisée. Pour miner, n’importe qui peut acheter un ordinateur connecté à Internet et exécutant des calculs complexes à très haute vitesse. Bien qu’il n’ait quasiment rien de commun avec l’exploitation minière de l’or, le résultat final est le même : les participants récupèrent un gain, comme des pièces d’or virtuelles ; dans notre cas, des bitcoins nouvellement générés.

Cette vocation est devenue populaire au Venezuela en partie à cause de l’état désastreux de l’économie du pays. Même les ingénieurs chevronnés sont dans l’incapacité de trouver un travail stable. En fin d’année, le taux de chômage devrait dépasser 30%.

Gratuité de l’électricité et Bitcoins

Ironiquement, le principal facteur incitant les Vénézuéliens à miner des bitcoins est le contrôle des prix mis en place par le gouvernement socialiste : l’électricité est quasiment gratuite.

Le minage de bitcoin a besoin d’une forte puissance de calcul, ce qui nécessite beaucoup d’électricité. Dans le reste du monde, les factures d’électricité grèvent les gains du minage. Dans les pays où le prix de l’énergie est élevé, cela peut même s’avérer trop coûteux pour être rentable. Mais au Venezuela, le gouvernement a transformé le minage de bitcoins en activité extrêmement profitable.

Le contrôle des prix, sans surprise, entraîne toujours de sérieuses pénuries, et les coupures fréquentes d’électricité dans le pays créent constamment des problèmes aux mineurs de bitcoins. Mais ces derniers, plutôt que de baisser les bras, ont fait preuve d’ingéniosité et ont proposé des solutions de secours comme la délocalisation de leurs machines dans des zones industrielles, là où le service d’électricité est généralement correct.

Le socialisme contre lui-même

Puisque le minage de bitcoins est, au final, un procédé de conversion de la valeur de l’électricité en monnaie, les mineurs vénézuéliens s’engagent dans une forme d’arbitrage : ils achètent un produit fortement sous-évalué et le transforment en bitcoins pour faire des bénéfices. Les mineurs ont finalement retourné le socialisme contre lui-même.

Ce faisant, ils disposent d’une monnaie donnant accès à beaucoup plus de pouvoir d’achat à l’étranger que le bolivar émis par le gouvernement, qui s’échange à environ un centième de centime d’euro sur le marché noir. Comme dit le proverbe local, l’argent vénézuélien « n’est bon ni à acheter du papier toilette, ni à s’essuyer avec ».

Le potentiel de Bitcoin, en tant qu’alternative aux monnaies officielles gouvernementales, est encore aujourd’hui sujet à controverse dans le reste du monde. Mais dans un pays qui manque de nourriture et de soins, la situation est toute autre. Bitcoin permet de maintenir les placards et les pharmacies pleins, rendant la vie un peu moins pénible au milieu d’un enfer socialiste.

Vivre avec des Bitcoins

Comme beaucoup d’utilisateurs de Bitcoin, Alberto, le mineur qui gagne 1 000 euros par jour, importe de la nourriture depuis les États-Unis à travers le service Prime Pantry d’Amazon.

Cela serait inenvisageable avec des bolivars, refusés quasiment partout en dehors du Venezuela, et la rareté croissante de la monnaie américaine a rendu l’achat de produits étrangers en dollars de plus en plus difficile.

Bien que le géant du commerce en ligne basé à Seattle n’accepte toujours pas les bitcoins, beaucoup d’entreprises servant d’intermédiaires le font. Alberto achète des cartes-cadeaux Amazon via le site Web eGifter qui accepte les bitcoins, en utilisant un logiciel pour masquer l’emplacement de son ordinateur, puis achemine ses commandes à travers un service de livraison basé à Miami.

Le partenaire minier d’Alberto, Luis, 27 ans, achète de l’électroménager, du parfum, du savon et du shampooing sur Amazon. Récemment, il a acheté un porte-monnaie, un puzzle et une chemise de luxe.

Répression étatique

La répression du gouvernement sur l’extraction de bitcoins a commencé avec l’arrestation de Joel Padrón, le gérant d’un service de livraison en difficulté. Il a passé trois mois et demi dans un centre de détention.

Alberto et Luis sont un bon exemple du nombre croissant de Vénézuéliens utilisant Bitcoin pour se nourrir. Certains l’utilisent même pour maintenir leur activité commerciale en achetant des produits étrangers.

Dans plus d’une douzaine d’interviews, les membres de la communauté, mineurs ou simples utilisateurs de la monnaie, ont décrit comment cette technologie a diminué leurs difficultés quotidiennes, leur permettant de vivre une vie raisonnablement confortable malgré la désintégration quasi-complète de la société.

De nombreux utilisateurs de Bitcoin vivent dans la peur constante d’être découverts et ont accepté de nous parler uniquement sous couvert d’anonymat.

Nourrir sa famille avec Neteller

Alejandro, un mineur de 25 ans vivant dans l’État de Táchira, contribue à nourrir sa famille avec des achats effectués sur le site du géant américain Walmart en utilisant une carte Neteller, carte de crédit prépayée permettant aux utilisateurs de déposer des bitcoins et de dépenser des dollars. Toutes les trois semaines, il charge sa carte avec des bitcoins et passe la frontière colombienne pour récupérer ses emplettes.

Jesús, âgé de 26 ans et vivant à Barquisimeto, nous dit que le Bitcoin a sauvé son entreprise. Il est le propriétaire d’un petit magasin de téléphonie et d’informatique situé dans un centre commercial.

En raison de l’arrêt des livraisons de ses fournisseurs pour restrictions commerciales en 2016, il s’apprêtait à fermer boutique avant de découvrir Bitcoin par le biais d’un ami. Aujourd’hui, il commande pour 400 euros mensuels sur Amazon, et son entreprise a bien meilleure mine. Il dit : « J’ai de nouveau accès aux produits dont j’ai besoin, difficiles à trouver ou extrêmement coûteux au Venezuela ».

Des bitcoins pour soigner et survivre

Ricardo, professeur de photographie de 30 ans, gagne environ 400 euros mensuels grâce à cinq ordinateurs de minage cachés dans une pièce insonorisée de la maison familiale. Sa mère a une maladie chronique du foie, et le médicament dont elle a besoin pour rester en vie n’est plus vendu au Venezuela. Avec les bitcoins, il peut l’acheter auprès de vendeurs étrangers. « Bitcoin c’est notre seul espoir de survie aujourd’hui ».

Bien que les mineurs de bitcoins possèdent un accès privilégié aux produits étrangers, ils vivent également sous une menace constante. Beaucoup craignent d’être découverts par le Servicio Bolivariano d’Inteligencia Nacional (SEBIN), la police secrète du pays. Les agents de SEBIN recherchent les mineurs de bitcoins puis les rackettent sous la menace d’une arrestation et de poursuites pénales.

Persécutions du gouvernement

La répression du gouvernement a commencé en 2016 avec l’arrestation de Joel Padrón, le propriétaire de 31 ans d’un service de livraison en difficulté situé à Valence. En 2015, un ami lui a fait découvrir le minage de bitcoins comme moyen d’éviter la faillite durant la crise économique.

Après avoir acheté quatre ordinateurs en provenance de Chine, spécialement conçus pour ses besoins, lui et trois amis s’installèrent dans le bureau où il dirigeait sa petite entreprise ; quand le propriétaire des lieux finit par découvrir ce qu’il se tramait, il demanda immédiatement l’aide de Joel pour, à son tour, mettre en place des ordinateurs dédiés au minage.

Le 14 mars 2016, deux agents du SEBIN se présentèrent et exigèrent de fouiller les locaux au motif que le fournisseur d’électricité avait détecté à cette adresse une consommation électrique anormalement élevée.

Quelques heures après, il fut placé en détention provisoire et passa les trois mois suivants en centre de détention de la police secrète, partageant une cellule de 70 mètres carrés avec 12 autres hommes.

Guerre contre les « cybercriminels »

Parmi eux, José Perales, 46 ans, un autre mineur arrêté le même jour et Daniel Arraez, 30 ans, un employé de SurBitcoin, la plus grande plateforme d’échange de bitcoins au Venezuela.

Joel pense que son arrestation a été une façon d’envoyer un message à la communauté Bitcoin. Deux jours plus tard, le service public de télévision vénézuélienne, contrôlé par l’État, diffusa un reportage décrivant le Bitcoin comme un outil de « cybercriminels échappant aux politiques officielles de change ».

Joel affirme qu’au même moment un autre mineur de ses connaissances était visé par les agents du SEBIN menaçant :  « Donne-nous ton fric ou on va te mettre en prison comme ton ami ». D’autres sources interrogées par nos soins ont également déclaré qu’elles connaissaient des mineurs extorqués par la police secrète.

Le minage de bitcoins n’est pas illégal au Venezuela ; Joel a donc été accusé de contrebande en ne déclarant pas l’importation de ses ordinateurs en provenance de Chine (ce dont il se défend) et pour vol d’électricité. À l’occasion d’une descente dans ses locaux, les officiers de SEBIN l’ont accusé d’abuser de l’électricité et de causer les coupures de courant.

Le minage gaspille-t-il l’énergie ?

L’accusation de vol d’électricité fait actuellement l’objet d’un débat au sein de la communauté Bitcoin : le minage est-il un gaspillage d’énergie ? Et si non, en raison des graves pénuries d’électricité, devrait-il être réalisé n’importe où ? Plutôt que d’augmenter les prix pour limiter la demande, le gouvernement a recours aux coupures sélectives.

Récemment, des pannes quotidiennes de quatre heures ont été relevées dans certaines régions ; les fonctionnaires ont reçu l’ordre de ne travailler que deux jours par semaine pour réduire la consommation d’énergie de leurs bureaux.

Mais le minage de bitcoins est sans doute la meilleure utilisation possible de l’électricité au Venezuela, car il donne au pays ce dont il a le plus besoin : une monnaie relativement stable qui conserve sa valeur au travers des frontières.

Et ce ne sont pas seulement les mineurs qui en bénéficient. En vendant systématiquement certains de leurs bitcoins pour des bolivars afin d’acheter de la nourriture sur le marché noir, les mineurs permettent aux non-mineurs d’échanger des bolivars pour des bitcoins et ainsi de participer à cette nouvelle économie.

La population en otage

« Le gouvernement prend l’ensemble de la population en otage en l’enfermant dans une monnaie qui implose», explique Andreas Antonopoulos, entrepreneur, écrivain et personnage influent de la communauté Bitcoin aux États-Unis. « Bitcoin libère ces otages ».

Alors que de plus en plus de Vénézuéliens se sont mis à compter sur Bitcoin, les mineurs du pays ont établi leurs propres communautés dédiées au commerce, à la vente et au partage d’informations.

Après avoir découvert Bitcoin en 2012, Alberto a partagé ses connaissances lors de rencontres entre ingénieurs et a présenté la monnaie à l’occasion de conférences. Lorsque la répression du Bitcoin s’est aggravée, les mineurs, y compris Alberto, sont passés dans la clandestinité.

Les principes libertariens de la technologie

Une partie de cette activité souterraine se produit maintenant via un groupe Facebook baptisé Bitcoin Venezuela, initié en mai 2013 par Randy Brito, un libertarien de 21 ans vivant en Espagne. Randy, dont les parents ont fui le Venezuela quand il avait 14 ans, a d’abord voulu que le groupe serve de forum éducatif, mais une fois «le minage devenu viral», dit-il, il l’a réorienté vers le commerce et l’aide aux utilisateurs désireux d’améliorer leurs conditions de vie.

Selon Randy, la plupart des utilisateurs de Bitcoin au Venezuela ne sont ni libéraux ni libertariens, ce qui n’a aucune importance, les principes libertariens étant inhérents à cette technologie.

Bitcoin est très résistant aux interférences du gouvernement, il est la première monnaie numérique largement acceptée et pouvant être échangée sans avoir recours à un intermédiaire bancaire.

Bazar en ligne

Il s’apparente donc au cash, mais avec un avantage décisif sur les billets de banque : il peut être échangé via Internet, gommant ainsi la différence entre un acheteur voisin ou à l’autre bout du monde.

Le groupe Facebook sert de facto de bazar en ligne : annonces de voitures, vélos, bateaux, boissons alcoolisées, suppléments de protéines, savon, smartphones, chaussures, engins sportifs, jeux vidéos et… papier toilette.

Ses  7 000 membres peuvent également acheter des produits pharmaceutiques venant de l’étranger ; mais les échanges les plus courants concernent les pièces détachées d’ordinateur et les équipements miniers.

Par ailleurs, le Bitcoin n’ayant aucune propriété physique est également plus difficile à voler. Le Venezuela possède encore un solide marché noir de dollars américains, mais le stockage des billets vert est extrêmement risqué dans un pays envahi par le crime. « Les cambrioleurs reniflent et recherchent les dollars comme des chiens à la chasse », révèle Hector, un médecin devenu mineur bitcoin.

Persécution sur internet

Après l’arrestation de Joel Padrón en mars 2016, les quatre modérateurs de Bitcoin Venezuela, chargés de bannir les infiltrés et les fraudeurs, ont rendu le groupe secret sur Facebook : il n’apparaît pas dans les résultats de recherche. Les nouveaux membres ont besoin d’une autorisation pour le rejoindre, et les modérateurs utilisent un groupe Facebook secondaire pour filtrer les candidats éventuels.

Randy Brito encourage encore les utilisateurs à éviter d’afficher sur leur profil toute information pouvant permettre de les identifier ; certains membres du groupe, y compris Alberto, y accèdent via un compte Facebook secondaire utilisant un faux nom. Les membres peuvent inviter de nouvelles personnes, et les modérateurs examinent ensuite les profils Facebook des invités avant de les accepter.

Cependant, la communauté Bitcoin du Venezuela n’est pas entièrement souterraine. CriptoNoticias, un site d’informations diffusé depuis Caracas, est consacré à la couverture de l’actualité du monde Bitcoin et de la blockchain.

Le site, lancé en avril 2015, est principalement axé sur les nouvelles de l’industrie à l’extérieur du pays et couvre rarement la communauté minière grandissante du Venezuela.

Il arrive cependant occasionnellement que les problèmes locaux y soient traités – y compris des réfutations des affirmations gouvernementales désignant Bitcoin comme un outil à l’usage de criminels.

Désastreux contrôle des prix

L’un des nombreux avantages de Bitcoin est qu’il a été conçu pour être à l’abri du désastreux système contrôle des prix, comme celui imposé par Hugo Chavez en 2003. L’État offre, au mieux, 2150 bolivars par dollar alors que le marché noir en offre près de 7000.

Cet écart a entraîné une croissance exponentielle de SurBitcoin, la plus grande plateforme d’échange de bitcoins au Venezuela. Le site facilite l’échange des bolivars en bitcoins, lesquels peuvent ensuite être revendus pour des dollars.

En utilisant les bitcoins comme monnaie intermédiaire, il devient possible de battre le taux du marché noir en éliminant beaucoup de problèmes et de risques potentiels.

De nombreux mineurs vénézuéliens s’appuient également sur SurBitcoin pour échanger leurs gains en bitcoins pour des bolivars, qu’ils utilisent pour couvrir les dépenses courantes, loyer et nourriture.

Volé par le gouvernement tous les jours

La plateforme d’échange SurBitcoin est basée à 3000 kilomètres de Caracas, dans un hangar de transport reconverti surplombant le front de mer de Brooklyn. Elle est gérée par BlinkTrade, une société fondée en 2012 par Rodrigo Souza, ancien développeur de logiciels pour la Bourse de New York et connu pour ses vidéos Youtube où il mâche rarement ses mots.

Souza, 36 ans, a vu venir de loin l’énorme potentiel de Bitcoin en Amérique latine. Brésilien libertarien ayant immigré aux États-Unis en 2008, il fut fasciné de voir un pays où l’inflation galopante n’était pas un frein constant pour l’économie. « J’ai été volé chaque jour de ma vie au Brésil en raison de l’insistance du gouvernement à imprimer de plus en plus de monnaie », dit-il.

Il y a environ 1 200 transactions quotidiennes sur SurBitcoin, et le volume d’échanges a été multiplié par 3 au cours de la dernière année. « Beaucoup d’utilisateurs sur le site échangent de petites sommes », explique Souza. L’échange moyen équivaut à environ 35 $.

La première place de marché en Amérique Latine en volume est le Foxbit du Brésil, mais cette dernière est dépassée par SurBitcoin en termes de nombre d’échanges. Le gouvernement n’a pas fait fermer le service, explique Souza, en partie parce que plusieurs fonctionnaires sont devenus nos clients.

Aubaine pour les expatriés

SurBitcoin est une aubaine, en particulier pour les expatriés.

Maria est une commerçante de 32 ans qui a quitté le Venezuela il y a trois ans pour le Brésil. Pour envoyer de l’argent à sa famille, elle est d’abord passé par un ami qui faisait régulièrement passer de l’argent à travers la frontière et le déposait sur le compte bancaire de ses parents. « Cela durait plusieurs jours et était très dangereux », dit Maria. Aujourd’hui, elle envoie sans problème environ 300 euros mensuels via SurBitcoin.

Depuis les États-Unis, il est possible de verser des fonds par l’intermédiaire de services comme MoneyGram et Western Union, mais un calcul rapide montre qu’un utilisateur de SurBitcoin économiserait près de 40% par rapport à Western Union.

Maria dit qu’au Brésil, MoneyGram nécessite un tel niveau de formalités administratives et impose des limites de versement tellement faibles qu’il ne valait pas la peine d’y passer tant de temps.

Fraude fiscale et blanchiment d’argent

Souza révèle qu’il est souvent approché par des individus qui cherchent à faire de grosses transactions de bolivars en bitcoins, ce qu’il refuse, par crainte qu’ils ne dépouillent les petits acheteurs, mais également car leurs richesses sont attendues par le gouvernement ; des affaires avec eux pourraient générer des problèmes.

La plus grande crise de la plateforme a eu lieu lors de la répression du gouvernement en mars 2016, lorsqu’un employé de SurBitcoin, Daniel Arraez, vivant au Venezuela, a été arrêté par le SEBIN pour fraude fiscale et blanchiment d’argent.

Arraez a été libéré par un juge le 18 octobre 2016, après 7 mois d’incarcération ; il est toujours dans l’attente d’une audience préalable au procès et a interdiction formelle de quitter le pays. Souza a refusé de discuter de cette affaire sur les conseils de son avocat.

Obligés à la clandestinité

Le compagnon de cellule de Daniel Arraez, Joel Padrón, le premier mineur bitcoin arrêté, a été libéré le 1er juillet 2016 après avoir accepté de témoigner.

Après l’arrestation de Joel en mars 2016, les amis d’Alberto lui ont conseillé d’entrer dans la clandestinité et d’effacer toute trace de sa présence en ligne. Mais la loi n’est pas la seule menace. Le nombre de crimes violents au Vénézuela a grimpé en flèche alors que l’économie s’effondrait, et les mineurs doivent être extrêmement vigilants et mettre à l’abri leur fortune relative.

Alberto et ses partenaires, y compris Luis,  cachent leurs opérations de minage de bitcoins dans les quartiers les plus pauvres de Caracas, là où la police n’est pas susceptible de se déplacer. Alberto porte des vêtements bon marché et conduit une voiture d’occasion pour ne pas se faire remarquer.

Des bitcoins pour manger

Cependant, il est évident qu’il n’est pas représentatif d’un Venezuelien de 27 ans. Les familles élargies ont tendance à cohabiter et collaborer pour mettre leurs ressources limitées en commun, alors qu’Alberto vit seulement en couple.

Chaque mois, il convertit des bitcoins en bolivars et achète environ 100 kilogrammes de poulet sur le marché noir, qu’il distribue ensuite à une douzaine de membres de sa famille. Quand il veut sortir après le coucher du soleil, il fait appel à un service de sécurité qui lui adjoint deux gardes du corps et une voiture pare-balles. « Mes voisins supposent que nous avons un lien fort avec le gouvernement », dit-il.

Alberto est particulièrement prudent ces derniers temps. Un soir d’été, Luis, le partenaire minier d’Alberto, se rendait chez lui en voiture après avoir déposé un ami dans le quartier d’El Marques. Il était sur le point de prendre l’autoroute Cota Mil, une artère majeure de Caracas. Il était 20 heures, et cette ville de 3,3 millions d’habitants, championne mondiale du meurtre, était déjà une ville fantôme.

Plus de voitures à Caracas

Le crime à Caracas a toujours été un problème majeur dans la vie de Luis, mais après que Nicolás Maduro ait pris la relève de Hugo Chavez, décédé d’un cancer en 2013, la violence s’est accrue au point d’étouffer toute vie dans la ville après le coucher du soleil. Il y a cinq ans, les rues auraient été remplies de voitures, mais cette nuit là, Luis conduisait le seul véhicule en vue.

En pleine conversation avec sa petite amie assise côté passager, Luis remarqua soudainement une voiture dans son rétroviseur qui fonçait vers lui. Il se déplaça vers la voie de gauche. La voiture le dépassa, le moteur vrombissant, se rabattit sur la même voie, puis freina soudainement, entraînant une collision avec sa voiture.

Une demande de rançon

Sept hommes armés jusqu’aux dents bondirent en dehors de la voiture, pointant le pare-brise de Luis. L’un d’entre eux tenait une grenade. Ils ordonnèrent au couple de sortir de la voiture. Luis pris la main de sa petite amie et lui dit de rester calme.

Ils passèrent les cinq heures qui suivirent à l’arrière du véhicule des ravisseurs avec des armes à feu braquées sur la tempe alors que les hommes négociaient une rançon. Au milieu de la nuit, le père de Luis, lui aussi mineur bitcoin, se présenta avec un sac contenant l’équivalent de 5 000€ en dollars et euros qu’il avait frénétiquement rassemblés auprès d’amis et de voisins. Les ravisseurs exigèrent également des lunettes, du parfum, des montres et des bijoux.

Luis a été la victime de ce que l’on appelle au Venezuela un «enlèvement express», un fait récurrent dans une ville qui ressemble à une zone de guerre à la nuit tombée. Il semble qu’il ait été ciblé aléatoirement, ses agresseurs n’ayant pas eu connaissance de son activité de minage. Les jours qui suivirent, Luis remboursa progressivement sa dette en vendant des bitcoins pour acheter des dollars américains.

Comment sortir du désastre ?

Au fur et à mesure que la criminalité et la crise économique s’installent, beaucoup de mineurs bitcoins du pays cherchent une issue de secours.

Luis et Alberto se préparent pour quitter le Venezuela aussi tôt que possible. Leur plan est de se rendre avec un groupe d’amis en Argentine, pays choisi car il « se remet progressivement du désastre », dit Luis.

Alberto envisage également de demander un visa de travail aux États-Unis. Il réfléchit déjà à sa prochaine entreprise : commercialiser sa version d’un petit ordinateur appelé «contrôleur» qui redémarre automatiquement le minage des bitcoins après un problème technique. Alberto a inventé lui-même la machine, selon lui particulièrement efficace pour automatiser la gestion matérielle et minimiser toute présence humaine dans ses centres de calcul.

Insécurité insoutenable

Certains de ses partenaires ont accepté de rester sur place pour surveiller son exploitation minière, car Alberto dit n’avoir pas d’autre choix que partir. L’insécurité est simplement devenue insoutenable : qui veut vivre dans un pays où il est impossible de marcher la nuit dans les rues sans gardes armés ?

Pour Luis, son enlèvement a été la goutte qui a fait déborder le vase. « J’ai perdu toute foi en mon pays. Même si vous ne faites pas de vagues et agissez en bon citoyen, malgré la peur, vous finirez d’une manière ou d’une autre par avoir des problèmes. Être un honnête et modeste travailleur, qui produit et aide n’est plus valorisé par cette société ».

Padrón envisage également de déménager aux États-Unis à la fin de sa liberté conditionnelle l’année prochaine. Il rêve de vivre à New York. « Avant d’être mis en prison, j’étais un vrai patriote. Mais après tout ce qui s’est passé, j’ai dit  Non, c’est impossible. Même si vous essayez de faire les choses correctement, il y a toujours quelqu’un qui va vous baiser. »

Après l’arrestation

Bien qu’il ait perdu contact avec José Perales, l’autre mineur bitcoins ayant partagé sa cellule, Padrón pense que Perales n’a pas respecté les conditions de sa libération conditionnelle et a fui le pays.

Les ordinateurs de minage bitcoins de Padrón ont été confisqués par des agents du SEBIN lors de son arrestation l’année dernière, et ne lui ont jamais été restitués. Mais il a mis en place un système d’alerte : à chaque fois que les machines sont alimentées et connectées à son réseau de minage bitcoins, il reçoit un email généré automatiquement.

Un mois après son arrestation, un message est arrivé dans la boîte de réception de Padrón : « Je pense que les officiers qui m’ont arrêté ont commencé à extraire des bitcoins ».

Rodrigo Souza, l’opérateur de la plateforme d’échange SurBitcoin, est convaincu que peu importe ce qui se passe dans le pays, Bitcoin continuera à miner le pouvoir de l’État. Son entreprise travaille avec une banque nationale pour faciliter les transactions en bolivars et l’État pourrait prendre des mesures pour révoquer ses autorisations à tout moment. Si cela devait arriver, dit Souza, ses clients commenceraient simplement à échanger des bitcoins via le site de mise en relation LocalBitcoins, où les individus se connectent en ligne et organisent des échanges entre eux.

Ce serait moins pratique, mais les utilisateurs sauraient se débrouiller. Bitcoin au Venezuela est une force inexorable et instoppable, dit Souza. « Comment arrêter un logiciel sur Internet ? »

 

Note du traducteur : SurBitcoin a bien du être mis hors ligne temporairement en février 2017 après la suspension du compte bancaire associé à la banque locale Banesco, ne voulant plus être associée à SurBitcoin. La plateforme a pu rouvrir ses portes deux semaines plus tard grâce à un nouveau partenaire bancaire.

 

Traduction de l’anglais : Cédric de Saint Martin

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