Par Richard Guédon.
L’arthrose du genou est une maladie douloureuse et invalidante. C’est une usure anormale du cartilage, tissu à la fois dur et élastique qui tapisse nos os là où ils entrent en contact et leur permet de glisser les uns sur les autres.
Dans les deux tiers des cas elle touche les 2 genoux et évolue souvent en quelques années vers un stade où le seul traitement possible est le remplacement chirurgical de l’articulation par une prothèse.
En France un tiers des seniors souffrent d’arthrose du genou
Cette maladie affecte 20% des Américains de plus de 45 ans, près d’un tiers des Français, et surtout des Françaises, entre 65  et 75 ans, et sa fréquence augmente régulièrement dans tous les pays développés. On attribue cette augmentation à 2 causes principales, l’obésité, qui use les cartilages des genoux par hyperpression mécanique, et le vieillissement d’une population dont l’espérance de vie augmente en moyenne de 3 mois par an.
Une méthode : la chasse aux squelettes
Mais des chercheurs américains et finlandais soupçonnaient que cette augmentation puisse avoir d’autres causes. Pour le prouver ils ont mené une étude scientifique innovante et obtenu des résultats convaincants.Â
Nos chercheurs sont en effet allés à la « chasse aux squelettes », ils en ont ramené 2500 dont ils ont examiné les genoux pour y traquer les moindres signes d’arthrose.
Préhistoriques pré et post industriels
Ces squelettes, issus d’institutions médicales et anthropologiques se répartissaient en 3 groupes distincts : un groupe « post industriel » composé de personnes mortes entre 1976 et 2015, un groupe de personnes vivant au début de l’ère industrielle, décédés entre 1905 et 1940, et un groupe dit « préhistorique » composé de squelettes de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs précolombiens morts entre 4000 ans avant Jésus-Christ et le début du 16 ème siècle. L’indice de masse corporelle, qui permet de mesurer la corpulence, et l’âge de décès des personnes des 2 premiers groupes étaient connus.
Arthrose : 8% chez les anciens, 16% chez les modernes
Ils ont ainsi montré que respectivement 8% et 6% des squelettes étaient atteints d’arthrose des genoux pour les deux périodes anciennes et que c’était le cas de 16% des personnes de la période la plus récente. En refaisant les calculs à âge égal et à embonpoint égal ils ont prouvé que les personnes vivant dans la seconde moitié du 20ème siècle sont deux fois plus nombreuses à souffrir d’arthrose par rapport à celles qui vivaient au début de l’âge industriel. (Voir figure ci-dessous)
Knee osteoarthritis has doubled in prevalence since the mid-20th century vol. 114 no. 35 > Ian J. Wallace, 9332–9336, doi: 10.1073/pnas.1703856114
Une enquête, plusieurs indices
Ils ont calculé que l’allongement de la durée de vie et l’augmentation du poids des populations ne pouvaient suffire à expliquer ce doublement du nombre de cas en quelques décennies et ont cherché d’autres facteurs permettant de l’expliquer.
Ils ont évoqué plusieurs pistes : en premier lieu un facteur de prédisposition génétique est déjà connu mais la diffusion d’un gène dans la population n’aurait pas été possible en seulement quelques générations.
Ensuite ils ont évoqué les chocs générés par la marche sur des sols durs des mégalopoles modernes ou encore les chaussures à talons hauts. Mais ces facteurs ne peuvent à eux seuls expliquer un phénomène de cette ampleur.
Un présumé coupable : le manque d’activité physique
Le facteur dont ils soupçonnent fortement la culpabilité est la sédentarité, devenue épidémique durant la période postindustrielle. Depuis 2 générations la mécanisation des efforts musculaires, à commencer par la marche, a envahi la vie quotidienne des pays développés.
Or, moins un individu fait d’exercice physique, moins son cartilage et les muscles autour de ses articulations sont résistants. Si de surcroît cet individu est âgé, obèse et que son alimentation trop riche en graisses saturées est pro-inflammatoire, vous obtenez un cocktail destructeur pour les cartilages.
Les auteurs de l’étude, avec la modestie des vrais scientifiques, restent cependant prudents quant à leurs résultats, en raison de la fragilité de certaines données et de l’absence d’autres, telles que le statut socio-économique ou le mode de vie.
Ils appellent la communauté médicale à de nouvelles recherches pour mesurer précisément le rôle de l’inactivité physique dans la fragilisation du cartilage et l’arthrose du genou. Au total, que retenir de cette étude :
Se bouger pour s’éclater
D’abord une bonne nouvelle : selon toute probabilité, marcher au moins une demi heure chaque jour, de 1 an jusqu’à 97 ans permet d’éviter ou de retarder la survenue d’une arthrose des genoux, maladie fréquente, douloureuse, invalidante, coûteuse  et dangereuse, car la pose d’une prothèse n’est pas une mince affaire.
Sans oublier tous les bienfaits déjà connus de l’exercice physique régulier : moins de crises cardiaques, moins d’accidents vasculaires cérébraux, moins de cancers, moins d’anxiété et de dépression, plus d’estime de soi, moins d’obésité etc.
Les maladies du décalage
Ensuite, expliquent les auteurs, cette étude démontre que l’arthrose des genoux appartient de plein droit au groupe des mismatch diseases, en québécois dans le texte « maladies de décalage ». Ces maladies, qui ont fait l’objet d’un article récent dans Contrepoints, sont causées par un décalage évolutionniste entre un organisme et son environnement transformé.
Concernant les cartilages, façonnés par les milliers de siècles d’efforts physiques de nos ancêtres préhistoriques, les transformations technologiques intervenues depuis 1945 ont modifié 2 paramètres essentiels de leur fonctionnement, la sédentarité et l’alimentation hypercalorique grasse et sucrée.
À genoux devant les chercheurs
Enfin, comment ne pas rendre hommage à l’inventivité, à la rigueur, à la modestie et tout simplement au travail monumental (2500 squelettes à regarder droit dans les…genoux !) de cette équipe de scientifiques.
Quand l’écologie, puisqu’au fond il s’agit de cela, montre cette qualité, nous nous rendons à ses arguments mais c’est si rare…
manque d’activité physique, mais aussi malbouffe voire pas de bouffe du tout pour les trés pauvres…..
@ véra
Une petite remarque non critique: oui, il y a, parallèlement au niveau « socio-économique », une activité et une nutrition différentes. Quand on n’est pas riche, on ne va pas en salle de sport pour pédaler sur place, on mange moins de protéines et plus de « sucres lents »: produits à base de farine (pain, pâtes!), légumineuses (fayots, lentilles) et féculents (pommes de terre) dont le rapport énergie/prix est plus abordable mais conduit plus facilement au surpoids (sans vouloir parler des moments ou manger (du sucré) compense mal un moment de frustration: le « psy » est hors de ma compétence). Allez manger 5 fruits et légumes par jour (ce qui semble actuellement moins indispensable que prévu!) avec un petit budget!
Une pastèque, une carotte, un radis, une pomme et une tomate, ça ne pèse pas lourd sur un budget.
Blague à part, 5 fruits et légumes par jour, on s’en sort avec peu en faisant ses courses au marché et en prenant du temps pour cuisiner… à condition d’en disposer.
La salle de sports ? On peut aussi marcher, aller nager à la piscine, faire du vélo… Le manque d’activité physique vient en partie de l’omniprésence des écrans dans la vie quotidienne, et du tout-tout de suite qu’ils sont capables de nous apporter. Aller à pied de là à là appelle un effort, une progression. Faire son marché et cuisiner aussi…
Oui, marcher 30 à 60 mn, pas trop vite, en évitant les surfaces dures. Rien de mieux.
@ thelincolnlawyer et @ MichelC
Je suis d’accord avec vous mais vous savez bien que ceux qui peinent à terminer le mois sans éviter d’être dans le rouge, sont soit en charge de problèmes multiples et, trop seuls pour les résoudre (mères de famille nombreuses, peu aidées par le conjoint qui préfère boire pour oublier), soit des isolés inactifs, allocataires, qui ne trouvent pas de travail. Et, comme c’est assez bien prouvé, l’appauvrissement est une spirale dont la dépression est un élément: on ne se soigne plus, on se replie, on se réveille fatigué et, non, on ne va pas marcher, seul, 30 minutes pour se faire du bien. C’est la dernière chose dont on a envie! On mange « mal », on grossit, on se plaît de moins en moins à soi-même, on perd sa confiance en soi: une spirale!
C’est là qu’on voit que Paul Emploi ne fait pas le travail: on préfère payer les gens alors qu’ils ont besoin d’être coachés et secoués pour briser la spirale et remonter le courant! De plus, ils coûteront moins cher quand ils seront redevenus autonomes! Ce serait un investissement rentable!
Quid de l’arthrose de la hanche? Est-ce le même phénomène?
@ MichelC
L’arthrose ne se limite pas à une articulation, généralement. Le genou très sollicité généralement, a fait l’objet de l’étude: il y a sans doute peu de raisons de penser que la hanche, les vertèbres ou les mains ne soient pas aussi touchées dans une proportion pas aussi bien étudiée.
@MichelC & Mikylux :
Trois remarques : nos anciens, en Provence, traitaient (et traitent encore dans les campagnes) les symptômes de l’arthrose au moyen d’une « racine du diable » (en raison des feuilles gladiolées de la plante), qui pousse sous les murets de pierres sèches, dont on tire aujourd’hui l’Harpagophytum. Ceux que j’ai connus tenaient ça de leurs parents qui le tenaient de leurs grands parents, etc. C’est dire si le problème existe de longue date. A noter qu’il touche aussi les animaux domestiques.
Sur l’enquête réalisée, ce qui me semble fausser l’analyse est la séquence temporelle du premier groupe, -4000 av. JC et le XVIème siècle. Modes et conditions de vie impossibles à comparer entre la fin du Second néolithique, le Moyen Age et la Renaissance, la durée de vie était alors limitée à une trentaine d’années, etc…
Ce que savent ceux qui expérimentent l’arthrose au quotidien, sans être scientifiques ni statisticiens, c’est l’incidence d’un climat humide sur ses symptômes et son développement. Après, il est certain qu’un mode de vie post-moderne où on va prendre sa voiture pour faire cent mètres, où on passe une partie de sa vie assis devant un écran, ça risque d’influer. Mais il me semble que contre toute idée reçue, on n’a jamais tant pratiqué de sport qu’à notre époque. Pas une commune qui n’ait son groupe de randonneurs, son club de gym, son assos’ de Tai Chi, on voit des joggers et des cyclistes partout et la fréquentation des salles de sport (des clubs de foot pour les plus modestes) fait partie du mode de vie de nos ados.