Par Philippe Bilger.
Il y a des moments de grâce intellectuelle dans la vie. Quand les préoccupations du Pouvoir rejoignent, par exemple, celles du commun des citoyens et que “La Communication selon Macron” (Le magazine du Monde) interpelle ceux qui se passionnent pour les débats politiques et médiatiques.
Cette coïncidence est heureusement ressentie par un extraverti comme moi qui éprouve de l’admiration pour les systèmes comme celui de l’Elysée, à l’heure actuelle capable de discrétion, de retenue, muré sans la moindre mauvaise conscience dans une communication totalement maîtrisée.
Et, surtout, déterminé à ne plus laisser la main aux journalistes politiques mais à changer le rapport de force avec eux.
Macron a-t-il décider de sélectionner les journalistes ?
Pour la visite au Mali, certains auraient été choisis au détriment d’autres. L’Elysée a démenti.
Mais la tendance est claire. Avant la présidence d’Emmanuel Macron, les politiques, notamment les plus hauts d’entre eux, avaient des devoirs et les médias des droits. Les premiers étaient tenus de se plier aux désirs d’information éperdue des seconds et ceux-ci avaient toute latitude pour s’ébrouer comme ils l’entendaient dans le champ démocratique. Ouvrir grand les portes et à tous étaient la règle et qui n’adhérait pas à cette universalité absurde n’était pas un bon républicain.
Avec le nouveau président de la République, les choses apparemment ont radicalement changé.
On a le droit de rêver. Pour moi qui suis moins passionné par l’univers médiatique que par la réflexion, après-coup, sur lui, je songe à la volupté de pouvoir se constituer sur tous les sujets, notamment politiques et judiciaires, un aréopage de professionnels dont la qualité et l’intelligence seraient garanties. Et dont on serait assuré que rien d’absurde ne sortirait des entretiens, des échanges.
Un aréopage de professionnels pour un journalisme intelligent
ll pourrait y avoir Caroline Roux, Yves Calvi, Frédéric Taddéï, Serge Moati, Christophe Jakubyszyn, Frédéric Rivière, Audrey Crespo-Mara… Et évidemment Michel Field.
Si je termine par ce dernier, faisant référence au journaliste unique qu’il a été, peut-être trop intelligent – quel compliment ! – pour une mission de pur questionnement, c’est pour dénoncer les polémiques grotesques – défiance après défiance – dont il est accablé depuis qu’il oeuvre aux côtés de Delphine Ernotte.
Oser lui reprocher en particulier un article remarquable et critique (Libération) sur la manière dont France 2 avait rendu compte de la campagne présidentielle était d’autant plus aberrant, outre le corporatisme étriqué que cette dénonciation manifestait, que Field s’incriminait avec les autres et proposait une vision lucide se fondant sur les rares faiblesses d’aujourd’hui pour préparer la totale excellence de demain.
Remettre le journalisme politique à sa place
Dans “la communication selon Macron”, j’apprécie que les interviews politiques soient relues mais qu’en revanche les entretiens traitant de la pensée, de la littérature, de la philosophie soient les seuls pour lesquels on fasse toute confiance à l’interlocuteur. Ainsi, questionné sur ce registre par Jérôme Garcin (L’Obs), Emmanuel Macron n’aurait jamais eu l’idée saugrenue de solliciter une relecture.
Cette manière de remettre le journalisme politique français à sa place me déplaît d’autant moins qu’elle détruit une trop haute conception qu’il a de lui-même, perçoit sa fiabilité relative dans l’analyse et les commentaires – quels sont véritablement les journalistes capables de damer le pion aux citoyens éclairés ? – et met en pièces cette surabondance de l’information continue qui s’imagine approfondir parce qu’elle répète. Alors que, se répétant, elle se prive inéluctablement de profondeur.
Un quidam dénonçant ces insuffisances est vite qualifié d’aigri ou de jaloux mais quand un pouvoir respecté fait le même constat et officiellement en tire les conséquences, une forme de noblesse tombe sur le thème et on a le droit de se réjouir modestement d’avancées dont on a été l’un des nombreux artisans civiques.
Vers un journalisme vertueux ?
Il ressort que les politiques n’ont pas que le devoir et les journalistes les droits. Ceux-ci, pour le FN comme pour toutes les manifestations de leur belle mission, ne sont à la hauteur de ce qu’ils exigent comme une automatique considération qu’à condition de faire preuve d’un certain nombre de vertus intellectuelles et morales. De pluralisme et d’honnêteté. L’honneur d’être journaliste se révèle après, pas avant l’obstacle.
J’espère que cette rareté de la parole présidentielle, cette “communication selon Macron” ne surgissent pas seulement maintenant pour éviter tout couac avant les élections législatives mais qu’elles dureront parce qu’elles ne sont pas pour rien, en si peu de temps, dans l’adhésion majoritaire au nouveau style présidentiel.
On avait besoin de respirer un autre air, d’une autre ère.
—
Monsieur Bilger, je trouve un peu étonnant, voire étrange, que vous choisissiez vous-même des journalistes dignes d’être lus ou écoutés! Je trouve cela, comment dire sans vous offusquer, un peu dictatorial!
Surprenant votre article Monsieur BILGER.
La presse est-elle impartiale ou “vertueuse” selon votre expression lorsqu’elle révèle des “faits” et lorsqu’elle en occulte d’autres.
Voici un exemple qui vient de sortir dans la presse Suisse concernant la gestion de la Mairie de Paris.
ttp://lesobservateurs.ch/2016/01/12/la-mairie-de-paris-condamnee-a-dedommager-les-contribuables-parisiens-pour-ses-aides-deguisees-a-linstitut-des-cultures-dislam-14-millions-plus-les-reparations
Que l’on soit nombreux à rêver à un changement des pleurs de notre presse, c’est probable. Que cela commence par des politiques qui choisissent qui les suivent, cela me semble une entorse à la liberté des rédactions qui me paraît plutôt dommageable.
Enfin, j’aurais plutôt cru que c’était déjà le cas.
bof dénicher des infos inédites, les diffuser après mise en forme, voire analyse contre argent..le boulot de contre pouvoir est fait.Je dois dire que ces considérations me laissent songeurs…