Par Asmaa Bassouri.
Un article de Libre Afrique
Dans une circulaire adressée aux fabricants et vendeurs de la burqa, le ministère de l’Intérieur marocain prohibe à compter du 09/01/2017 la confection et la commercialisation dudit vêtement. Sans motiver cette décision, ni en préciser la portée temporelle, cette dernière viendrait s’insérer selon toute vraisemblance au dispositif de lutte anti-terroriste, entendu l’ampleur de la menace qui pèse sur le royaume. Cette mesure est-elle appropriée ou au contraire abusive, voire contreproductive ?
S’amplifiant dans le monde entier, les menaces terroristes mettent l’État de droit à l’épreuve. Entre garantir la sécurité publique et éviter d’empiéter sur les libertés et droits fondamentaux des citoyens, le dilemme est cornélien ! Très souvent, la réponse antiterroriste s’inscrit dans le cadre d’une réaction cathartique des autorités où la peur et la colère trouvent le moyen de s’exprimer juridiquement. Le résultat en sera souvent l’adoption de mesures restreignant sévèrement les libertés, ce qui n’est pas sans prêter à discussion.
D’une part, dans l’ordre des priorités et de la logique, l’on serait plutôt enclin – en prenant notamment appui sur la célèbre affirmation d’Alain Peyrefitte : «La sécurité est la première des libertés» – à faire primer l’impératif de sécurité sur celui de la liberté ; sinon que vaut vraiment cette dernière si nous allions l’exercer dans l’insécurité ? D’autre part, et dans l’ordre cette fois-ci du droit et même de l’éthique, une question d’autant plus ardue se pose, celle de déterminer si la sauvegarde de la sécurité justifierait de réduire la liberté, voire légitimer des dérives sécuritaires ? État conséquentialiste ou déontologue ? Telle est la bonne question à se poser face aux procédures de coercition qu’implique inéluctablement la lutte anti-terroriste.
Équilibre entre liberté et sécurité
En tout état de cause, l’État sera bel et bien admis, un jour ou l’autre, à tempérer les libertés quand la sécurité sera menacée, mais non sans fondement juridique valable, tiré en l’occurrence de l’article 4 du Pacte International relatif aux Droits Civiques et Politiques, lequel prévoit cinq critères à respecter, à savoir : l’existence d’un danger public, la légalité (i.e. caractère publique de la décision), la proportionnalité (temporelle et spatiale), la conformité aux engagements internationaux, et la non-discrimination. La circulaire susmentionnée respecte-t-elle ces prescriptions ? Pas si sûr.
Si la décision a été rendue publique et que le danger qui la sous-entend est bien manifeste et ce au vu du nombre grandissant des attentats avortés, mais aussi et surtout le rapatriement depuis l’Europe de djihadistes maghrébins, sans compter les multiples menaces directes reçues à ce jour de Daech ; on ne sait encore rien de sa proportionnalité, plus particulièrement son caractère provisoire, étant entendu que la temporalité limitée est l’essence de toute mesure d’exception ayant pour objectif ultime le retour à la normalité.
Contre la religiosité d’une partie de la population
Qui plus est, cette mesure serait discriminatoire à l’égard des adeptes de la burqa et contreviendrait aux engagements internationaux souscrits par le Maroc en termes de liberté vestimentaire d’abord, puisque cette décision renferme implicitement une interdiction progressive du port de ce vêtement ; puis la liberté de religion. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que se couvrir à l’aide d’une burqa fait partie intégrante de la religiosité d’une portion de la population.
Cela ne fera que générer des indignations profondes parmi les milieux salafistes s’étant sentis visés au fond de leur foi musulmane, ainsi que parmi les intellectuels libéraux (nonobstant leur retenue idéologique) lesquels estiment que la liberté couvre deux acceptions indivisibles : choisir de porter la burqa ou de ne pas la porter.
Ainsi, combattre le terrorisme ne peut se faire par n’importe quel moyen, surtout quand cela sape un vivre-ensemble sain, ainsi que les valeurs promues par l’État et codifiées par ce dernier dans la Constitution qui figure au sommet de la hiérarchie juridique. Pour cela, on ne devrait donc pas cautionner l’interdiction de la burqa, compte tenu en plus de l’efficacité douteuse de pareille mesure d’un point de vue pratique.
Burqa et terrorisme
D’abord, celle-ci reposant sur une logique de suspicion comme quoi les terroristes peuvent se déguiser avec une burqa, on se demanderait quelle serait la véritable probabilité de pareil scénario ? Combien d’attentats ont été commis par des hommes déguisés avec une burqa ? Si le port de la burqa nourrit des doutes sur l’identité de la personne en question, les terroristes potentiels chercheront surtout à éviter de la porter car elle est un mauvais déguisement. Bien au contraire, ils s’habilleront plutôt comme les autres pour ne pas attirer l’attention. De même, qu’en raisonnant par analogie : si pour contrer la menace terroriste, on interdit la burqa ; ne devrait-il pas en être fait autant pour les mini-jupes afin de réduire le taux des agressions sexuelles ?
Ensuite, cette prohibition peut avoir un effet contreproductif en ce qu’elle susciterait un ressentiment des conservateurs qui se sentiraient stigmatisés et résisteraient – en guise de riposte – en contournant ladite prohibition par la création d’un marché noir de la burqa. Notons que ça pourrait aussi induire une réaction de violence en chaîne, ce qui favoriserait le terrain d’une radicalisation encore plus profonde, à des actes terroristes usant du caractère injuste du bannissement de la burqa comme instrument de propagande.
Somme toute, pour les raisons tant de droit que des fait évoqués, nous concluons qu’en déclarant la guerre à la burqa, l’État pourrait pêcher par excès de zèle. Un compromis serait possible en respectant la liberté vestimentaire, dont le port de la burqa. Les femmes concernées devraient par contre accepter les contrôles de police quand le besoin est manifeste et légitime.
Bien évidemment, il faudrait que ce soit encadré et circonscrit dans le temps pour ne pas respecter une liberté en piétiner une autre. Enfin, l’État devrait attaquer le mal à la racine, c’est-à-dire agir sur les origines tant économique que socioculturelle de l’extrémisme, en misant sur des mesures qui porteront leurs fruits dans le long terme, notamment l’éducation et la réforme du discours religieux lui-même responsable de la subordination de la femme.
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C’est une conclusion sage à laquelle arrive le rédacteur de cet article très instructif. C’est cette position que doit adopter l’État marocain et non pas décréter une ligne de conduite qui n’aura d’effet que de favoriser la propagande de l’extrémisme et de leur adeptes.