Par Thierry Lhôte.

L’Union européenne représente la pointe acérée du modèle organisationnel occidental, tel un circuit imprimé de l’intelligence politique nord-européenne. On a du mal à comprendre que cette construction culturellement très orientée ait pu plaire, jusque-là, à un ensemble très divers de femmes et d’hommes qui partagent le destin des nations de l’Union.
Un dispositif institutionnel verrouillé sur lui-même
Ce mode de gouvernement justifie son existence en donnant l’apparence d’une réponse technique à une complexité digne du concours d’experts. Mais la qualité première d’une technologie est d’être plastique, de se fondre dans l’usage sans donner l’impression d’une contrainte. Les experts attendus se révèlent alors être de simples pontifes car le modèle du canon Bruxellois à directives n’est pas du bois dont on fait les innovations au XXIème siècle. De la détonation de l’idée en chambre de la Commission Européenne, soutenu par un affût de lobbies intéressés économiquement ou idéologiquement, jusqu’au Parlement qui brandit le drapeau à l’expulsion de la balle législative, il est un dispositif institutionnel verrouillé sur lui-même. Raide, plutôt brutal dans le manque de recul, nullement adapté à un usage démocratique direct et transparent.
Un équilibre des institutions est nécessaire
Les États-Unis s’y connaissent en armes, institutionnelles ou non. Ils ne les vénèrent donc pas. Ils tiennent à ce qu’aucune ne domine complètement leur paysage politique. Pis, pour couvrir leurs espaces, ils en édifièrent trois, en parallèle, qui s’ignorent, se surveillent et se concurrencent souverainement : la Cité, l’État, ainsi que l’échelon fédéral ou d’Empire pour s’adresser à l’étranger.
Nous avons désappris les armes en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous ne les connaissons plus dans le civil. Outillés de la sorte, nous avons donc pris soin, au moment de nous unir, d’en fabriquer une qui n’ait pas d’équivalent, ni idéalement de concurrente. Une sorte de Grosse Bertha ou Pariser Kanonen destinée au feu législatif européen.
C’est parce que les Américains connaissent la violence depuis leurs origines, qu’ils estiment que c’est par l’équilibre des armes institutionnelles qu’ils ont une chance d’assurer, à chacun, une protection des libertés. Sans avoir à se mêler outre mesure du sort ou de la vie privée du citoyen.
Et si on pensait coopération plutôt que législation ?
Les Anglais ont décidé, ces derniers jours, que l’on écarte la bouche du canon de leurs assemblées. Cela les rendait nerveux, à la longue. Nous ne le comprenions pas vraiment. L’instrument est sécurisé par le fait que tous les membres du cercle de tir partagent l’accès au chargement et à la détente. C’était sans compter sur l’option qu’un des membres décide unilatéralement de faire cavalier seul. Seul celui animé des valeurs les plus saintes et progressistes serait dorénavant affecté à la maintenance exclusive et idéologique de l’appareil.
Convaincus que leur karma ne les désignait pas spécialement pour la hauteur de cette charge, en toute modestie, en toute sincérité, en toute amitié, les Anglais viennent de filer… Nous venons de perdre une cible confraternelle. Ne pourrions-nous conserver l’estime de nos voisins d’Outre-Manche ? Voire reprendre un chemin commun, si nous remisions le canon législatif bruxellois au placard. Si nous réinventions une coopération pleine de bons sens entre États de fibre européenne. Ce serait un cadeau que nous ferions à nos successeurs qui auront gardé le goût pour l’histoire. Économistes, sociologues, idéologues, pourraient tout à loisir détailler le beau jouet que nous avions là et, entre la camomille du matin et la verveine du soir, s’exercer au tir à blanc.
les Anglais viennent de filer… à l’anglaise… Qu’à cela ne tienne, le général Juncky lancera la cavalerie sous peu pour les coincer. La grosse Bertha Angela pilonnera par la suite avec une finesse incroyable…