Euro 2016 : portrait du hooligan

Le monde des supporters de foot est d’une grande variété : qu’est-ce qu’un hooligan ?

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Supporter ? Hooligan ? By: Conor Lawless - CC BY 2.0

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Euro 2016 : portrait du hooligan

Publié le 3 juillet 2016
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Par Nicolas Hourcade.1

Supporter ? Hooligan ? By: Conor LawlessCC BY 2.0

Depuis ses débuts, l’Euro 2016 de football a été émaillé de nombreux incidents. Les médias ont généralement présenté les fauteurs de troubles comme des « hooligans », tant à l’occasion des violences entre Russes et Anglais à Marseille, le 11 juin dernier, que lors des jets de fumigènes sur le terrain par des fans croates à Saint-Étienne. Ce texte s’attache à montrer en quoi les notions communes de « hooligans » et de « hooliganisme » sont floues et induisent des confusions entre différents phénomènes qu’il conviendrait de distinguer et de nommer de manière plus précise.

Histoire du terme hooligans

Le terme hooligans apparaît au début du XXe siècle, en Angleterre puis en Europe de l’Est. Il désigne alors des voyous au comportement asocial, indépendamment d’un quelconque contexte sportif. Son utilisation dans le monde du football date des années 60, quand des groupes de jeunes supporters britanniques se mettent à causer des incidents de manière récurrente.

Ces fans violents sont qualifiés par les médias de thugs (voyous) ou de football hooligans, nom qu’ils finissent par s’approprier. Dans les années 70 et 80, du fait notamment de l’essor des compétitions internationales, les hooligans britanniques font des émules sur le continent, la violence se répand autour des stades de football européens et des groupes de jeunes hommes revendiquent le nom de hooligans dans de nombreux pays.

Ce terme entre dans le langage courant le 29 mai 1985 à l’occasion du drame du stade bruxellois du Heysel. Peu avant la finale de la coupe d’Europe des clubs champions opposant Liverpool à la Juventus de Turin, des hooligans anglais attaquent les occupants de la tribune jouxtant la leur, pour l’essentiel des amateurs de la Juventus. Cet assaut crée un mouvement de panique. Prises au piège par les grilles les séparant du terrain et par un mur d’enceinte qui finit par partiellement s’effondrer, 39 personnes trouvent la mort devant les caméras de télévision.

À partir de cette date, la violence des supporters devient un problème social à l’échelle européenne. Le terme hooligans est alors accolé aux supporters de football violents et celui de hooliganisme est utilisé pour désigner les incidents causés par des supporters.

Des amalgames entre des phénomènes très différents

Une première confusion dans l’usage de la notion de hooliganisme intervient quand elle sert à englober tous les drames ayant provoqué la mort de supporters. Or, des comportements violents ne sont pas en cause quand, en 1992, une tribune provisoire, montée à la hâte, s’effondre au stade bastiais de Furiani faisant 18 victimes, ou quand, en 1985, le stade de Bradford prend feu, tuant 56 personnes. Les drames des stades de football sont parfois liés à des infrastructures défectueuses ou à une organisation déficiente.

Mettre en cause la violence des hooligans peut cependant être un moyen de masquer d’autres responsabilités : ce fut la stratégie de la police anglaise en 1989 lors de la tragédie du stade d’Hillsborough à Sheffield, au cours de laquelle 96 supporters de Liverpool sont morts étouffés contre les grilles séparant leur tribune du terrain parce qu’un trop grand nombre de personnes avait été orienté dans ce secteur. La responsabilité de la police, qui a mal géré les flux des supporters, n’a été officiellement reconnue qu’en avril dernier…

Une deuxième confusion, beaucoup plus fréquente, apparaît quand les polices européennes présentent les chiffres du hooliganisme et quand les médias reprennent ces informations. En effet, ces statistiques amalgament tous les comportements répréhensibles des supporters : violences entre fans, outrages aux forces de l’ordre, slogans racistes, jets de projectiles, abus d’alcool, usage d’engins pyrotechniques, consommation de drogue…

Pendant l’Euro, des incidents très différents ont ainsi été mis sur le même plan. L’allumage de fumigènes a été stigmatisé comme un comportement violent, alors que certains supporters revendiquent leur usage pour animer de manière festive les tribunes. Dans ces cas-là, il n’y a pas de volonté violente mais un désaccord sur les normes qui doivent prévaloir à l’intérieur des stades.

Le qualificatif de hooligans a également été accolé aux supporters croates qui ont lancé des fumigènes sur le terrain lors de Croatie – République tchèque, le 17 juin, conduisant à l’interruption du match. Si certains usages de ces engins peuvent s’avérer dangereux, les motivations des lanceurs de fumigènes n’étaient pas de créer des violences physiques ou de blesser quiconque, mais de dénoncer le fonctionnement, qu’ils considèrent mafieux, de la fédération de football croate.

En créant un continuum entre des faits de nature et de gravité bien différentes, qu’il conviendrait plutôt de distinguer, la notion de hooliganisme produit des effets concrets, notamment parce qu’elle conduit parfois à des politiques de gestion des supporters traitant de manière uniforme des comportements sans commune mesure.

Différents rapports à la violence

Même quand le regard est centré sur les violences physiques des supporters, le terme de hooligans s’avère confus. En effet, certains individus se considèrent eux-mêmes comme tels : ils forment des bandes informelles, centrées sur la recherche régulière de la violence.

D’autres supporters sont parfois violents, mais refusent absolument la dénomination de hooligans. C’est en particulier le cas de ceux qui se revendiquent ultras : structurés sous forme associative avec comme objectif premier de soutenir leur équipe et d’animer les tribunes, ils s’engagent de manière extrême dans leurs activités de supporters et acceptent la violence verbale pour déstabiliser l’équipe adverse ou l’arbitre ainsi que la violence physique s’ils estiment que leur club ou leur groupe est menacé.

Ceux qui se définissent comme ultras ont un rapport beaucoup plus ambigu à la violence que les hooligans autoproclamés : d’un côté, celle-ci fait partie de leur conception radicale du « supportérisme » ; de l’autre, elle n’est pas une priorité et doit rester rare afin que les ultras puissent demeurer légitimes en tant que supporters.

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L’un des groupes d’ultras les plus célèbres de France, ceux de Marseille. Med PhotoBlog/Flickr, CC BY-NC-SA

Or, dans les médias, les termes ultras et hooligans sont tantôt utilisés comme synonymes, tantôt comme distincts et renvoyant à des logiques d’action différentes. Dès lors, le terme hooligans désigne tantôt tous les supporters violents, tantôt certains supporters violents parmi d’autres. De même, il est considéré tantôt comme un qualificatif revendiqué par certains individus et groupes violents, tantôt comme une étiquette apposée de l’extérieur sur certains individus et groupes. Pour éviter ces confusions, il est préférable de considérer qu’il existe différentes formes de supportérisme extrême et de réserver le nom de hooligans à ceux qui se conçoivent comme tels et recherchent systématiquement la violence, et celui d’ultras à ceux qui veulent avant tout soutenir leur équipe tout en étant parfois violents.

Un autre exemple illustre ces rapports variés à la violence : celui des incidents de Marseille lors d’Angleterre-Russie. Les principaux affrontements ont opposé des Russes se considérant comme hooligans, ayant l’habitude de se battre et ayant prémédité leurs attaques à des fans anglais, venus pour soutenir leur sélection, boire exagérément, occuper l’espace de manière parfois provocante et, pour certains, se battre un peu si l’opportunité se présentait.

Bataille rangée à Marseille entre hooligans russes et fans anglais alcoolisés.

S’il existe des hooligans anglais, peu d’entre eux étaient présents à Marseille. Les logiques de passage à l’acte violent sont ainsi bien différentes entre ceux qui recherchent la violence, en l’occurrence les hooligans russes, et ceux qui peuvent devenir violents dans certaines circonstances, en l’occurrence les fans anglais. Distinguer les acteurs violents n’est pas seulement un enjeu théorique : il a des conséquences pratiques dans les politiques mises en œuvre pour gérer ces problèmes, en particulier dans les éventuelles mesures préventives.

Une évolution des violences

Une dernière confusion consiste à considérer que les pratiques de ceux qui se considèrent comme hooligans sont uniformes, alors qu’elles varient historiquement et géographiquement. Les violences des premiers hooligans anglais dans les années 60 avaient lieu dans le stade : il s’agissait notamment de prendre par la force la tribune des supporters adverses.

Au fur et à mesure du renforcement de la sécurité des enceintes et des dispositifs policiers, les supporters les plus violents ont adapté leurs comportements. Ils ont d’abord abandonné la tenue voyante des fans et opté pour des vêtements élégants afin d’échapper à la vigilance de la police. Puis leurs bagarres se sont éloignées des matches, tant dans l’espace que dans le temps, également pour contourner la surveillance policière. Certains organisent même désormais des combats entre bandes rivales dans des lieux reculés. Appelées fights, ces bagarres sont particulièrement développées dans le nord-est de l’Europe, notamment en Pologne et en Russie, et mettent aux prises des spécialistes de la violence pour lesquels le hooliganisme ressemble à un sport professionnel de combat.

Si dans toute l’Europe, et même au-delà, des supporters revendiquent le qualificatif de hooligans (ou celui d’ultras) et possèdent des points communs, les spécificités nationales et locales sont importantes : il ne peut donc pas y avoir une théorie unique expliquant le hooliganisme de manière générale, mais plusieurs modèles explicatifs qui peuvent être diversement combinés pour analyser les formes variées de supportérisme extrême et de comportements déviants en fonction des contextes particuliers.

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons-CC-BY-ND 4.0

  1. Nicolas Hourcade est professeur agrégé de sciences sociales, membre associé au CADIS (EHESS-CNRS), École centrale Lyon.

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