Par Gérard-Michel Thermeau.

Paradoxe des héros mythiques : ils sont sans âge tout en étant ancrés dans une réalité historique bien datée. Sherlock Holmes reste le détective de la fin de l’ère victorienne, associé à Londres, métropole noyée dans un épais brouillard provoqué par les activités industrielles, et où rôde Jack l’Éventreur.
Un libéral pourrait y voir un héros exemplaire : après tout, excentrique et individualiste, ce détective qui travaille à son compte et raille les méthodes routinières de la police officielle ne témoigne-t-il pas de la supériorité de l’initiative privée sur le secteur public ? Mais chacun peut avoir sa vision de ce personnage trop riche pour être enfermé dans des catégories étroites.
Dès le cinéma parlant, on s’est efforcé de le moderniser : le très médiocre Sherlock Holmes, campé par Clive Brook en 1932, est un homme de son temps qui ne songe qu’à épouser sa petite amie ! Basil Rathbone, après avoir incarné pour la première fois à l’écran un Holmes plus vrai que nature dans deux films, a été abonné à une série de petits films de série de la Universal, où pour des raisons d’économie, le détective exerçait son activité dans les années 1940, luttant notamment contre les nazis. Plus récemment, Hollywood a cru devoir confondre le détective avec les super-héros Marvel : Robert Downey Jr y campait un Holmes mal rasé, ce qui suffit d’emblée à disqualifier l’entreprise. En revanche, la série Sherlock réussissait à transposer le héros de Conan Doyle dans le Londres contemporain : Benedict Cumberbatch entrant dans le club restreint des grands interprètes du personnage.
En somme, Sherlock Holmes n’a pas pris un ride ou, du moins, pouvait-on le penser jusqu’à la sortie du film de Bill Condon : plutôt que de rajeunir le personnage, le film le vieillit considérablement. Si en 1985 Barry Levinson se penchait sur un Holmes adolescent, en 2016, dans un monde marqué par le vieillissement, la question est : à quoi ressemblait Sherlock à la fin de sa vie ? Et la réponse est : à Ian McKellen bien sûr.
En 1947, Sherlock Holmes vit toujours mais dans un triste état au vu de ses 93 ans. Inspiré d’un roman de Mitch Cullin, le film est avant tout porté par son interprète principal et omniprésent, Ian McKellen. Le détective au bord de la tombe, retiré dans un trou perdu au bord de la mer, est obsédé par sa « dernière affaire » dont il n’arrive pas à se souvenir : c’était peu avant la Grande Guerre qui allait détruire ce « monde d’autrefois ». Notons que l’acteur, parfait en nonagénaire, paraît un peu vieux en jeune sexagénaire.
Le personnage est suffisamment sénile pour aller jusqu’au Japon à la recherche d’un arbre dont les vertus seraient supérieures à celles de la gelée royale pour lutter contre le vieillissement. Par le plus grand des hasards, cet arbre pousse à … Hiroshima.
Même s’il s’occupe de ses abeilles, il est désormais bien seul : Watson est mort depuis longtemps, son frère Mycroft vient de trépasser. Mais par chance, sa revêche gouvernante (Laura Linney) a un fils, Roger (Milo Parker) absolument fasciné par le vieillard. Puisant dans ce juvénile enthousiasme, le truc japonais étant aussi infect qu’inefficace, Sherlock Holmes va réussir à reconstituer cette affaire qui lui avait laissé un sentiment d’échec.
Le film joue, comme il se doit, avec les références holmesiennes et cinématographiques (ainsi un clin d’œil à L’homme qui en savait trop de Hitchcock). Une vieille dame japonaise s’étonne qu’il ne porte pas sa double casquette et sa pipe, accessoires caractéristiques des adaptations paresseuses de Doyle : le détective en haut de forme n’a pourtant rien de très original. Les meilleurs interprètes de Holmes, Basil Rathbone dans les deux films des années 30, Peter Cushing dans la série BBC de 1968, sans parler de Jeremy Brett dans la mythique série Granada arboraient déjà le huit-reflets. À un moment, notre héros, soucieux de savoir comment le cinéma le représente, assiste à la projection d’un film médiocre, il y en eut tant, où Nicholas Rowe, qui avait été le Young Sherlock Holmes (Le secret de la Pyramide, 1985), campe un détective raide comme un mannequin.
Parmi les innombrables films consacrés au locataire de Baker Street, Mr. Holmes se distingue par l’absence de Watson, même si son ombre plane tout au long du film : son bureau, avec son tiroir secret, ses « romans de gare écrits avec élégance » (les œuvres de Conan Doyle !), sa silhouette sans visage dans les flash-backs et d’une certaine façon, le jeune Roger, avec sa bonne bouille, n’est-il pas un mini-Watson de 12 ans ?
Film modeste, refusant le spectaculaire, à l’exception de la séquence Hiroshima dont la signification peut laisser perplexe, parlant d’abeilles et de guêpes, de la mort et de l’amour, Mr. Holmes est avant tout le one man show d’un acteur formidable très bien entouré.
Mr. Holmes, par Bill Condon. Film policier britannique, avec Ian McKellen, Laura Linney, Milo Parker (1h44).