La Fed laisse son taux directeur inchangé, quelles conséquences ?

La Fed a annoncé le maintien inchangé de son principal taux directeur après avoir beaucoup parlé initialement de l’augmenter avant la fin de l’année. Signal d’alerte ?

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Marchés financier bourse (Crédits : Rafael Matsunaga, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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La Fed laisse son taux directeur inchangé, quelles conséquences ?

Publié le 19 septembre 2015
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Par Michel Leter.

Marchés financier bourse (Crédits : Rafael Matsunaga, licence CC-BY 2.0), via Flickr.
Marchés financier bourse (Crédits : Rafael Matsunaga, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

 

Le verdict est tombé, sans appel. Les sectateurs de la Fed qui s’imaginaient que Janet Yellen allait tenir un discours hawkish (de faucon) afin de préparer une hausse des taux en octobre en sont pour leurs frais. C’est le discours dovish (de colombe) qui a dominé dans la bouche d’or de l’oracle Yellen répondant à l’unanimité des membres du comité. Et puisqu’il est de tradition qu’il y ait une voix dissidente pour que le résultat du vote n’ait pas une allure trop soviétique, c’est Jeffrey Lacker, le président de la Fed de Richmond, qui a joué le faucon en demandant une hausse des taux de 0,25% points. Nous proposons à la fin cet article la traduction du poème publié hier soir par la Fed (disponible en anglais sur federalreserve.gov) :

Nihil novi sub sole : la montagne de questions reste entière

Comme nous l’annoncions hier, la Fed a donc pris pour prétexte qu’une partie seulement de ses objectifs en matière d’emploi, d’inflation et de croissance n’ont pas été atteints pour maintenir le statu quo sur ses taux directeurs. Pour que le liftoff, le fameux décollage de la hausse des taux ait lieu il eût fallut que les trois objectifs fixés par madame Yellen soit atteints : soit une inflation de 2%, un taux de chômage de 5% et un taux de croissance à 2,5%. Si les résultats de l’emploi se sont améliorés selon le comité, ce qui est contestable comme nous le suggérions hier en nous appuyant sur l’analyse de Jim Rickards, l’inflation reste donc bien au-dessous de l’objectif de 2% de la Fed. La Fed considère dans son communiqué que le bas prix de l’énergie et les baisse du coût des importations dus à la force du dollar (qui ne tient lui-même qu’aux anticipations de la hausse des taux) sont transitoires et affiche son optimisme que tout rentre dans l’ordre ce qui dans son scénario idéal conduirait mécaniquement à un taux d’inflation de 2%. Or, à ce jour, rien ne permet d’affirmer que le dollar va reprendre l’initiative dans la guerre des monnaies et que les prix des matières premières vont remonter. C’est encore s’imaginer que les effets n’ont pas de cause et que le capitalisme, comme disent les oligarques de la finance néosocialiste, est soumis à des cycles naturels comme les saisons.

Jusqu’où ira la crédulité des marchés-zombies qui vivent des seules anticipations de la Fed et de sa fausse monnaie dans un système financier de plus en plus résolument anticapitaliste ?

Le poste d’attaché de presse de la Fed est une sinécure, car il suffit a celui qui en joui de faire un copier-coller des précédents communiqués. Sous le ciel du FOMC, les lendemains de l’économie américaine sont toujours roses. Même si les indicateurs progressent « modérément » le FOMC s’attend toujours à une amélioration oubliant que le diable est dans les statistiques : comme le soulignait Disraeli : « Il y a trois sortes de mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques ».

Nous nous demandions à la veille de la réunion du Comité jusqu’où pouvait aller la procrastination de la Fed sans entamer sa crédibilité. Il semble évident qu’au yeux d’un Américains un tant soit peu doué d’esprit civique cette crédibilité est en lambeaux. Les marchés s’ils étaient capitalistes, devrait ne plus fonder leurs anticipations sur la Fed mais sur l’état de l’économie réelle. Mais la Fed a dans sa besace de ces laxatifs, de ces assouplissement qui sont susceptibles de calmer les marchés-zombies aussi puissamment que l’opium du peuple.

Pourquoi le statu quo ?

La vérité c’est que les données économiques américaines épluchées rituellement par le communiqué de la Fed d’hier n’ont en rien déterminé le choix de maintenir des taux proches du zéro. Comme Bruno Bertez le résumait avant la réunion de la Fed :

« On vous a dit que la hausse des taux serait dépendante de l’évolution des données économiques, c’est un mensonge, elle ne dépend que des conditions financières constatées sur les marchés. La meilleure preuve est que l’inflation mesurée par le PCE aux États-Unis, cette inflation qui est censée guider la Fed, a fortement baissé depuis novembre 2010, date du premier Quantitative Easing. Si le QE avait pour objectif de lutter contre la déflation et de pousser l’inflation à la hausse, c’est un échec lamentable puisque le PCE est maintenant beaucoup plus bas qu’il ne l’était en novembre 2010. Si l’inflation avait la moindre importance, la décision sur les taux ne devrait faire aucun doute.

On vous a dit que la politique monétaire de la Fed était dépendante des statistiques économiques et en particulier de l’emploi. On vous l’a seriné pendant des années. Alors, dans ce cas, il n’y a aucun doute, le chômage est faible, il est revenu dans les zones moyennes de long terme, il faut monter les taux, les maintenir bas n’a plus aucun sens. Si l’emploi avait la moindre importance, la décision ne devrait faire aucun doute.

Ce ne sont que deux exemples pour vous montrer que les arguments invoqués par la Fed sont des rationalisations. Ni l’inflation, ni l’emploi, ne guident les décisions des gouverneurs. Pendant longtemps, ce qui les a guidés, c’était la situation du secteur bancaire, maintenant, ce qui les guide, c’est la situation de ce que l’on peut appeler le complément du secteur bancaire, nous voulons parler des marchés. Car le système financier, dans sa forme moderne, c’est banques+shadow banks+marchés. Et si les banques sont en meilleure santé, et si le shadow tient malgré ses déséquilibres, c’est parce que l’on a inflaté et fait léviter les marchés. La question pour les gouverneurs est celle-ci : est-ce que les marchés peuvent supporter une hausse symbolique des taux de 0,25%. C’est la question centrale et les observateurs n’ont même pas remarqué que, lors de la grand-messe au Grand Teton le mois dernier, ce qui a été analysé, c’est la situation des marchés, et non pas la situation de l’économie américaine. L’idée du report de la hausse des taux du 17 septembre a été produite par l’accès de volatilité sur les marchés et non pas par les fameux datas économiques. C’est un révélateur et il est important d’en prendre conscience.

En effet, comprendre les motivations des responsables est plus important qu’écouter leurs sornettes. Leurs sornettes visent à vous faire partir dans le zig alors qu’il faudrait se diriger dans le zag. Leurs sornettes ont pour objectif de rendre politiquement acceptables des décisions qui, autrement, ne le seraient pas. »

Que va-t-il se passer maintenant ?

Le mouvement vers un changement de discours de la Fed, aussi honteux soit-il, apparaît aujourd’hui comme irréversible. La seule véritable information à l’issue de ce comité est que l’unanimité de façade sur les taux se fissure. En effet, alors que 15 sur 17 des membres du Comité prévoyaient une hausse des taux avant la fin de l’année le Wall Street Journal indique qu’ils ne sont plus que 13 sur 17 à l’évoquer.

La prudence de la Fed, sa résolution réaffirmée dans le communiqué de poursuivre sa politique accommodante de « bad bank » en rachetant des obligations et des produits titrisés toxiques, et cette petite phrase où elle affirme que « le Comité se réserve le droit de garder en l’état les taux en fonction de l’environnement économique », laisse la place à tous les changements de cap. Elle laisse entière l’éventualité que la Fed se lance à terme dans un QE4, un assouplissement quantitatif quatrième du nom. Elle irait ainsi vers des taux d’intérêt non plus positifs mais négatifs; elle reprendrait l’initiative dans la guerre des monnaies, attaquant le dollar en faisant à nouveau couler à flot de l’helicopter money permettant ainsi à Wall Street de retrouver l’open bar, son aliment de prédilection.

Gageons que lors de sa réunion d’octobre le Comité prendra prétexte d’autres « développements économiques et financiers mondiaux récents », comme dit pudiquement le communiqué pour évoquer la guerre des monnaies et les krachs boursiers, afin d’augmenter le nombre de réfractaires à la hausse des taux au sein du Comité.

En attendant puisque la Fed a pris soin pour calmer le jeu ce mois-ci de ne pas provoquer de casus belli en ces temps de turbulences asiatiques, le président chinois va pouvoir effectuer sa visite officielle aux États-Unis sans charger davantage la jonque du contentieux sino-américain et la géopolitique va pouvoir reprendre ses droits avec en point d’orgue une réunion de l’assemblée générale des Nations-Unies où la Russie doit présenter un projet de coalition internationale incluant la Syrie. Durant cette période, les « marchés » sont priés de se tenir tranquilles.

Traduction de la décision de la Fed

« Communiqué de presse du 17 Septembre 2015

Pour diffusion immédiate

Les informations recueillies depuis la réunion du Comité de juillet suggèrent que l’activité économique se développe à un rythme modéré. Les dépenses des ménages et l’investissement des entreprises ont augmenté modérément et les résultats du secteur du logement sont en progrès. Toutefois, les exportations nettes stagnent. Le marché du travail a continué à progresser enregistrant des chiffres de création d’emploi solides et une baisse du chômage. Dans l’ensemble, les indicateurs du marché du travail montrent que la sous-utilisation des ressources de main-d’œuvre a diminué depuis le début de cette année. L’inflation n’a toujours pas atteint l’objectif à long terme du Comité, ce qui est dû en partie à la baisse des prix de l’énergie et au prix des importations hors secteur de l’énergie. Les compensations de l’inflation fondées sur le marché ont été mesurées à la baisse; l’enquête sur les anticipations d’inflation à plus long terme a donné des résultats stables.

Conformément à son mandat statutaire, le Comité cherche à favoriser l’emploi et la stabilité des prix. Les développements économiques et financiers mondiaux récents risquent de limiter l’activité économique et sont susceptibles de générer de la déflation à court terme. Néanmoins, pour peu que l’accompagnement politique soit approprié, le Comité s’attend à ce que l’activité économique croisse à un rythme modéré, avec des indicateurs du marché du travail continuant à évoluer vers des niveaux fixés par le double mandat du Comité. Le Comité observe que les grands équilibres des perspectives de l’activité économique et du marché du travail sont préservés mais suit attentivement l’évolution de l’étranger. L’inflation devrait rester proche de son récent creux à court terme mais le Comité prévoit qu’elle augmente progressivement pour atteindre 2% à moyen terme à mesure que le marché du travail s’améliorera et que se dissiperont les effets temporaires de la baisse des prix de l’énergie et des importation. Le Comité continue de surveiller de près l’évolution de l’inflation.

Pour soutenir les progrès continus de l’emploi et garantir la stabilité des prix, le Comité a confirmé aujourd’hui son point de vue que la fourchette de 0 à 0,25 pour le taux des fonds fédéraux reste appropriée. Pour déterminer combien de temps il sera nécessaire de conserver cette fourchette des taux directeurs, le Comité évaluera les progrès – à la fois réalisés et prévus – vers ses objectifs d’emploi et les 2% d’inflation. Cette évaluation permettra de prendre en compte un large éventail d’informations, comprenant la mesure des conditions du marché du travail, les indicateurs de pressions inflationnistes et des anticipations d’inflation, et l’interprétation des développements financiers à l’échelle internationale. Le Comité juge qu’il sera opportun d’augmenter la fourchette pour le taux des fonds fédéraux quand l’amélioration du marché du travail sera confirmée et que l’inflation aura atteint l’objectif de 2% à moyen terme.

Le Comité maintient sa politique existante de rachat de la dette des agences fédérales, des titres adossés aux hypothèques (mortgage backed securities) de ces mêmes agences, et de rachat aux enchères de bons du trésor arrivés à maturité. Cette politique, en permettant de garder les portefeuilles de titres à long terme du Comité à des niveaux considérables, devrait aider à maintenir des conditions financières accommodantes.

Le Comité ne pourra décider de commencer à réduire cette politique accommodante que lorsqu’il aura atteint ses objectifs sur l’emploi maximum et un taux d’inflation à 2%. Même si ces objectifs sont atteints, le Comité se réserve le droit de garder en l’état les taux en fonction de l’environnement économique.

Ont voté pour ces mesures de politique monétaire du FOMC : Janet L. Yellen, présidente; William C. Dudley, vice-président; Lael Brainard; Charles L. Evans; Stanley Fischer; Dennis P. Lockhart; Jerome H. Powell; Daniel K. Tarullo; et John C. Williams. Monsieur Jeffrey M. Lacker, a voté contre, en proposant d’augmenter la fourchette pour les taux des fonds fédéraux de 0,25 points de base. »


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