Ukraine : la réalité derrière le combat des chefs

Le conflit ukrainien s’est transformé en combat des chefs, au détriment des populations.

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Le PM Harper accueille le Président ukrainien Petro Porochenko au Canada credits Stephen Harper (CC BY-NC-ND 2.0)

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Ukraine : la réalité derrière le combat des chefs

Publié le 29 août 2015
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Par Cécile Belliard.

Le PM Harper accueille le Président ukrainien Petro Porochenko au Canada credits Stephen Harper (CC BY-NC-ND 2.0)
Le PM Harper accueille le Président ukrainien Petro Porochenko au Canada credits Stephen Harper (CC BY-NC-ND 2.0)

La chancelière allemande Angela Merkel et le Président français François Hollande se sont réunis à Berlin ce lundi avec le président ukrainien Petro Porochenko afin de dresser le bilan des efforts faits pour la paix dans l’est de l’Ukraine. Ils ont souligné surtout la nécessité de respecter les accords de Minsk, et d’abord éviter toute violation du cessez-le-feu dans l’est de l’Ukraine. Pourtant, il apparaît que l’armée de Kiev s’est rendue responsable de plusieurs violations de ce même accord. À mesure que les deux camps s’enferment dans un jeu de blâme et de rhétorique victimaire, la situation se dégrade pour la population ukrainienne, totalement laissée pour compte, ou presque.

La rencontre a eu lieu le jour du 25e anniversaire de l’indépendance ukrainienne. Cette date symbolique faisait craindre un regain des violences – notamment du côté des ultranationalistes ayant pris le parti du régime de Porochenko. Finalement il n’en fut rien. Les accords de paix de Minsk 2 avaient permis d’instaurer une trêve plus ou moins respectée dans un conflit qui en 16 mois a tué 6 800 personnes. Mais le conflit dormant a fait 1 500 victimes supplémentaires depuis la signature de ce cessez-le-feu. Six mois plus tard, le conflit ukrainien perdure sur plusieurs fronts. Pire encore, on assiste à un regain progressif de violences. Kiev et les États-Unis ont mis en cause la Russie, accusée de soutenir militairement les rebelles et d’avoir déployé ses troupes en Ukraine. Moscou, qui rejette toute implication militaire, a pour sa part accusé les Ukrainiens de préparer une offensive contre les séparatistes.

Selon Kiev, la situation au Donbass est tendue à cause des insurgés : dans la nuit du 10 août, ils ont effectué une offensive près de la ville de Starognativka, située à mi-chemin entre le bastion des insurgés de Donetsk et le port de Marioupol, dernière grande ville dans la zone du conflit sous contrôle des autorités ukrainiennes. Pourtant, dimanche 9 août, l’armée ukrainienne avait intensifié ses bombardements massifs et meurtriers sur Gorlovka (un mort, nombreux dégâts de zones habitées et sur l’infrastructure économique), Yasinovataya (avec des dégâts sur les zones habitées) et Telmanovo (une femme tuée). Difficile d’y voir clair parmi toutes ces informations contradictoires, mais ce qui en ressort est qu’aucune partie n’est aussi angélique qu’elle ne le prétend. Et cette réalité semble peiner à faire surface dans le camp occidental, notamment dans la façon dont la sphère occidentale – et plus particulièrement l’UE – appréhende le conflit.

Le format Normandie, c’est-à-dire les trois dirigeants (Ukraine, Allemagne, France) plus le Président Russe Vladimir Poutine, a été retenu pour les négociations à venir pour sortir de la crise. Pourtant, cette formation est loin d’être idéale pour avancer sur ce terrain difficile, tant elle tend à sous représenter les intérêts russes, et totalement ignorer les intérêts régionaux ukrainiens, notamment incarnés par les oligarques. Le mépris affiché à l’égard de la Russie, et les tentatives répétées d’isolation sont un des facteurs clés qui ont mené à cette crise, et les attiser semble être une stratégie bien mal avisée.

L’entêtement européen à croire systématiquement tout ce que lui rapporte le régime de Kiev sur le conflit du Donbass l’empêche de prendre la pleine mesure de la situation. De fait, le conflit ukrainien s’est transformé en combat des chefs. Cette guerre des puissants passe totalement à côté des désirs – et pire, des besoins – de la population locale. Les Ukrainiens, las des menaces et de la propagande mise en place par les deux camps, souhaitent avant tout un retour à la paix, une reprise de l’économie et de la vie normale.

Pendant que les différents camps roulent des mécaniques et manigancent, la population est abandonnée à un sort peu enviable, d’autant que l’hiver approche dangereusement, avec son lot d’affres et de complications. Plusieurs organisations sont sur le terrain, et tentent de subvenir aux besoins d’une population exténuée. En interdisant en mai dernier les ONG occidentales sur le territoire russe le chef du Kremlin a en effet provoqué, plus ou moins directement, la fuite des organisations humanitaires hors du théâtre des opérations, là où elles sont justement le plus indispensables. Dans le Donbass, l’adoption de cette loi a en effet incité Alexandre Zakhartchenko, dirigeant de la République autoproclamée de Donetsk, à interdire lui aussi ces mêmes ONG, « financées par les pays qui soutiennent la politique nationaliste ukrainienne et aident Kiev à mener des opérations politiques, économiques, médiatiques et autres dans les régions (…) occupées par les militaires ukrainiens ».

Face au rejet éminemment problématique de l’aide humanitaire internationale, des structures locales tentent de prendre le relais. Elles n’auront pas la tâche facile. Selon Jean-Noël Wetterwald, à la tête de la haute commission des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine, le nombre de personnes forcées de quitter leur foyer a explosé dans le pays en 2015 pour atteindre les 60 millions. L’ONG Foundations for Freedom (F4F) veille à favoriser le dialogue dans le cadre de conférences et de séminaires, mais aussi sur le terrain, et ce dans le but de rendre « le pardon, la réconciliation et la collaboration possibles ». Restoring Donbass a ouvert un centre d’accueil des migrants ayant vocation à leur prodiguer des conseils, une assistance légale, etc. Au-delà de son aide immédiate sur le terrain, le projet a pour objectif de promouvoir le dialogue et la paix et, surtout, la nécessaire reconstruction de la région, à feu et à sang. Or c’est de dialogue et de compréhension, précisément, dont a plus que tout besoin l’Ukraine en ce moment. Un dialogue et une compréhension que l’Union européenne est encore loin d’apporter aujourd’hui.

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  • je note:
    « Selon Jean-Noël Wetterwald, à la tête de la haute commission des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine, le nombre de personnes forcées de quitter leur foyer a explosé dans le pays en 2015 pour atteindre les 60 millions. »
    Pour un pays de 46 millions d’habitants c’est pas mal !!!!!
    Mme Cécile BELIARD vous avez encore des progrès à faire. Vous n’avez pas encore compris que quand vous voyez: « Nations unies » vous devez comprendre « manipulation ». Tout ce qui sort de ce « machin » est à prendre avec des pincettes et doit être vérifié. Exemple le GIEC.
    Ce n’est pas la peine de faire de la pub pour telle ou telle ONG, vous ignorez totalement si et comment elle est liée à la CIA.

    • Je pense que c’est une faute de frappe, d’autant plus que l’article est assez critique envers les Occidentaux.

      • A priori, le chiffre de 60 millions concerne le monde entier, il a été donné par Jean-Noël Wetterwald dans une interview le 23/6 à la chaîne Hromadske.TV, interview au cours de laquelle on le voit éviter de répondre aux sollicitations des journalistes quant au nombre en Ukraine, le nombre de plus d’un million étant avancé — comme une évidence — par le seul journaliste. A noter que la chaîne Hromadske.TV fait l’objet de polémique pour avoir interrompu, en 2014, une interview avec une représentante de Human Rights Watch qui se refusait, malgré les sollicitations répétées du présentateur, à condamner la Russie.

        • J’ajoute que « à la tête de la haute commission des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine » est une traduction un peu ambiguë pour « Chief of Operations ad interim at UNHCR Kiev ».

  • Ah, merci! Enfin un article pondéré, qui fait la part des choses et ne sombre pas dans le clivage caricatural USA/UE camp du bien- Russie/Poutine camp du maaal, bêêêêêê !

    • Oui, mais d’un autre côté dire que ça s’enlise, que ça menace de dégénérer et que ce sont les pauvres gens qui soufrent … On peut le dire pour tous les conflits de ce genre sans avoir besoin de vérifier !

      Et avec les haines et le ressentiment futur, les ukrainiens ont simplement fait un pas de 20 ans en arrière. Good Luck et vive le nationalisme …

  • un combat ..de petits chefs , l’origine du conflit est monstrueuse , une simple histoire de douane et de douaniers où l’Europe a tout a perdre et perdra tout.
    a priori , le sort des ukrainiens est le dernier de leurs soucis et cela n’étonnera personne en voyant leur façon de traiter la vague d’immigrés fuyant les conflits !

  • « a explosé dans le pays en 2015 pour atteindre les 60 millions » … Ainsi il n’y a plus d’Ukraine , même les générations a venir ont fuit ….

  • Et pendant ce temps là on découvre, enfin le mot est un peu fort, disons qu’en cherchant beaucoup ou en trouvant par hasard, on apprend que question guerre des chefs et aide internationale en Ukraine, certains se débrouillent nettement mieux que d’autres.
    http://deutsche-wirtschafts-nachrichten.de/2015/08/28/ukrainischer-oligarch-bereichert-sich-an-iwf-krediten/
    Je vous le résume en deux mots: l’oligarque Ihor Kolomoyskyi (les orthographes et la richesse de l’individu varient) aurait tamponné 1.8Mds$ de l’aide du FMI qui se sont retrouvés sur ses comptes à Chypre.
    S’agit-il d’un laisser faire pour le voir se retirer du jeu (il est connu pour avoir armé des milices, y compris contre le pouvoir central et de ne pas faire dans la dentelle).
    Pendant ce temps, on nous abreuve de belles revues de presse sur les efforts des conférenciers et séminaristes de F4F (mais aussi sur le terrain, hein) pour ramener le dialogue…
    Quand comprendrez vous que ces ONG sont des canaux d’influence et de rémunération des personnels recyclés? De parfaites vitrines destinées à promouvoir le profil des intéressés et en retour conduire l’influence (notamment médiatique et presque essentiellement destinées aux occidentaux pour les engager à payer encore plus lesdits canaux) de leurs mandants?

  • « En interdisant en mai dernier les ONG occidentales sur le territoire russe le chef du Kremlin a en effet provoqué, plus ou moins directement, la fuite des organisations humanitaires hors du théâtre des opérations, là où elles sont justement le plus indispensables. » blablabla : si elles ont été flanquées dehors c’est parce qu’ils se sont,enfin, rendu compte que toutes ces révolutions colorées étaient pilotées par ces ong financées par les us,et, sous prétexte de promouvoir la démocrassie,on apporte le chaos. et pour couronner le tout,nous soutenons des nazis…faudrait voir à vous informer.

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