Lecture en France : le nivellement par le bas ?

Où je parle de quelques « nivellements » : Réforme du collège, langue française et romans pour la jeunesse.

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Lecture en France : le nivellement par le bas ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 juin 2015
- A +

Par Nathalie MP.

Livre lectures (Crédits Skyline-Photo, licence Creative Commons)
Livre lectures (Crédits Skyline-Photo, licence Creative Commons)

Le scandale de l’abus de bien public commis par Manuel Valls samedi dernier continuait d’occuper hier la première place de nos actualités. Réunion, pas réunion avec Michel Platini ? Remboursera, remboursera pas son trajet en avion pour la finale de la Ligue des Champions ? Après les notes de taxi mirobolantes de Mme Saal, les phobies administratives de M. Thévenoud et les chaussures que M. Morel, conseiller du Président, se faisait cirer dans les salons de l’Élysée, cette nouvelle atteinte à l’exemplarité des comportements politiques passe mal auprès des Français, et c’est bien normal.

Le petit bémol de toute cette agitation, c’est que la nouvelle mobilisation des enseignants contre la réforme du collège, « décrétée en force » par la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, semble être presque passée inaperçue. Pourtant, selon un sondage IFOP pour SOS-Éducation réalisé au début du mois auprès de 601 enseignants représentatifs du secondaire, 74% d’entre eux se déclarent contre la réforme et ils sont même jusqu’à 87% à dénoncer la suppression des classes européennes. En ce qui concerne la refonte des programmes, ils sont 76% à penser que cette réforme va « niveler par le bas le niveau global des collégiens ». Pour l’ensemble des Français, l’opposition atteint 61%. L’enthousiasme n’est pas au rendez-vous, c’est le moins que l’on puisse dire.

La crainte du nivellement par le bas exprimée par les enseignants est partagée par un collectif d’étudiants et de jeunes professionnels. Ils ont publié la semaine passée une tribune dans le Huffington Post ainsi qu’une lettre ouverte à la ministre de l’Éducation dans Le Figaro. Ils expliquent qu’ils sont issus des filières d’excellence sans pour autant faire partie des classes sociales favorisées et que l’accès aux classes bilangues, au latin et au grec, ainsi qu’à un enseignement scientifique et littéraire complet, fut pour eux le moteur riche et passionnant de la réussite. Ils demandent à la ministre de suspendre l’exécution du décret d’application de la réforme du collège afin d’ouvrir un vrai débat démocratique sur la question.

Il se trouve qu’au même moment, le Projet Voltaire, service internet de formation à l’orthographe et à la grammaire, publiait les résultats d’une étude conduite auprès de 50 000 participants : en 2010, ils étaient 51% à maîtriser correctement l’ensemble des règles de la langue française tandis qu’ils ne sont plus que 45% en 2015. « Je ne pensais pas que la baisse serait aussi spectaculaire en seulement cinq ans ! » se désole Pascal Hostachy, fondateur du projet. Il souligne que la qualité orthographique dépend directement de notre confrontation à l’écrit, c’est-à-dire à la lecture. Si dans cette étude les femmes réalisent de meilleures performances que les hommes, c’est parce qu’elles lisent plus. La lecture est au cœur de notre apprentissage et de notre maîtrise du français, et cela commence dès l’enfance.

Contrepoints548 Lecture - René Le HonzecQuant à moi, chaque année à la même époque, je me lance dans une vaste opération de tri et de rangement en prévision de la célèbre braderie de la rue d’Isly. C’est l’occasion de me replonger avec délice et nostalgie dans les livres que j’ai dévorés passionnément quand j’étais élève à l’école primaire ou en classe de sixième. Parmi eux, Les six compagnons de la Croix-Rousse, et surtout, Alice, mon héroïne préférée. Et c’est aussi l’occasion de faire quelques comparaisons entre les éditions successives.

Quelques mots sur Alice Roy, jeune américaine intelligente, indépendante et sportive, dont les talents de détective et les qualités de cœur vont redonner le sourire à maintes personnes abusées, trompées ou terrorisées. En anglais, elle s’appelle Nancy Drew. Son auteur, Caroline Quine (Carolyn Keene en anglais) est en fait un nom de plume regroupant plusieurs rédacteurs. Elle apparaît aux États-Unis en 1930 et en France en 1955. Le directeur des collections jeunesse chez Hachette, ancien professeur d’anglais, souhaite alors relancer la Bibliothèque verte en éditant des séries anglo-saxonnes qui mettent en scène des héros récurrents. Le premier titre publié sera Alice détective, bientôt suivi de Alice au bal masqué. Commence alors une carrière pleine de succès pour la série Alice qui sera très longtemps en tête des ventes de la Bibliothèque verte. La première traductrice de la série fut Hélène Commin et le premier dessinateur, celui qui fixera un certain nombre de caractéristiques visuelles du personnage, tel que le bandeau dans les cheveux, fut Albert Chazelle.

Mais au fil des années, textes et illustrations subissent quelques aménagements. Quand j’ouvre mon exemplaire d’Alice au bal masqué, par exemple, et que je le rapproche de celui que j’ai acheté pour ma fille quelques décennies plus tard, je découvre que les traductions et les textes de quatrième de couverture ont évolué comme ceci :

alice-au-bal-masque-99987-250-400Texte de 1962 :

« « Ce costume te va à ravir, Alice », dit la vieille Sarah. Elle enveloppa la jeune fille d’un regard plein de tendresse, puis ajouta en souriant : « Il te donne, de plus, un air si mystérieux… » Alice Roy achevait de s’habiller pour le bal masqué auquel elle était invitée ce soir-là chez les parents de Gloria Harwick, son ancienne camarade de lycée. Elle devait s’y rendre en compagnie de Ned Nickerson, ami d’enfance qui se faisait volontairement son chevalier servant. Pour l’occasion, elle avait revêtu un déguisement de grande dame espagnole : longue robe rouge à volants et mantille de dentelle. Debout devant sa psyché, Alice assura soigneusement la perruque brune qui dissimulait ses boucles blondes. Un loup de satin noir au bavolet de tulle dissimulait entièrement son visage, ne laissant voir que les yeux bleus, pétillant de malice derrière les fentes du masque. »

alice2Texte de 2008 :

« « Ce costume te va à ravir, Alice », affirme Sarah. Elle ajoute en souriant : « Il te donne un petit air mystérieux… » Alice Roy achève de s’habiller pour le bal masqué auquel elle était invitée ce soir-là chez les parents de Gloria Hendrick, une ancienne camarade de lycée. Elle doit s’y rendre en compagnie de Ned Nickerson, son chevalier servant. Pour l’occasion, elle a revêtu un déguisement de grande dame espagnole : longue robe rouge à volants et mantille de dentelle. Debout devant son miroir, Alice ajuste soigneusement la perruque brune qui dissimule ses boucles blondes. Un loup de satin noir cache son visage, ne laissant apparaître que ses yeux bleus pétillant de malice. »

Entre 1962 et 2008, s’intercalent d’autres versions qui concourent toutes à la cure d’amincissement du texte, provoquant parfois de grandes déceptions chez les adultes qui ont grandi avec Alice, le Club des cinq ou les Six compagnons. À travers cet exemple, on a tout loisir de constater  : 1. que le récit ne se fait plus à l’imparfait et au passé simple, mais au temps présent, 2. que les détails descriptifs sont limités voire supprimés (regard plein de tendresse, bavolet de tulle) et 3. que le vocabulaire est simplifié de manière à ne garder que les termes génériques à l’exclusion de tout terme spécialisé (psyché devient miroir, dissimuler devient cacher).

La réaction immédiate consiste à se dire que décidément nos enfants ne sont pas aidés. Si la lecture est le vecteur de la connaissance de la langue, si elle est le moyen d’apprendre à exprimer des idées variées avec des mots et des connecteurs logiques variés utilisés dans une concordance des temps également logique, il n’est guère étonnant qu’ils aient de plus en plus de mal à s’exprimer à l’écrit comme à l’oral, tant les modèles qu’on leur donne sont allégés. On se demande à quoi pensent les éditeurs : jugent-ils avec un total réalisme que les jeunes d’aujourd’hui sont tellement mal formés à l’école que s’ils veulent encore vendre des livres il faut leur donner de la lecture basée sur un ensemble très limité de vocabulaire et de syntaxe ?

J’ai eu la chance de pouvoir contacter par téléphone un responsable d’édition de Hachette Jeunesse, et je le remercie ici du temps qu’il m’a consacré. Je lui ai fait part de mon étonnement devant ce que je qualifierais d’appauvrissement des textes proposés aux jeunes et je lui ai expliqué que j’aimerais beaucoup avoir son point de vue d’éditeur. Il m’a tout de suite reprise. Il n’est pas du tout question d’appauvrissement, mais de modernisation. La société a évolué, les enfants ont changé et sont confrontés à des modes de communication très diversifiés. Ils ont l’habitude de passer très rapidement d’un centre d’intérêt à un autre. Pour les attirer vers la lecture, il faut donc qu’ils y retrouvent les caractéristiques des autres médias. L’utilisation systématique du présent vise à accélérer le récit, de même que la suppression des passages trop descriptifs. Hachette considère que les textes comme Alice sont intemporels : on garde l’histoire, mais on la transpose et on l’adapte au fil du temps. Par contre, les textes dits « d’auteurs » sont conservés en l’état, des renvois en bas de page apportant les éventuelles explications nécessaires. C’est le traitement appliqué à la comtesse de Ségur, par exemple.

Sous les propos de l’éditeur, on comprend malgré tout que le public des lecteurs doit être encouragé1 et qu’il importe d’aller au devant de lui. Les Bibliothèques rose et verte sont maintenant pratiquement entièrement dédiées à la transposition à l’écrit de séries télévisées en vogue auprès des enfants. Quant à la modernisation d’Alice, elle correspond bien à une perte de contenu dans la mesure où ces textes sont maintenant édités en Bibliothèque rose, c’est-à-dire pour un lectorat beaucoup plus jeune que lorsque la série a démarré en France en 1955.

S’il est vrai que le monde évolue, il me semble que c’est plutôt dans le sens d’une complexification croissante. J’ai du mal à croire que le langage qui sert à décrire le monde puisse dans le même temps se recroqueviller sur lui-même. Ne parlons pas spécifiquement vocabulaire, il est très possible que sur ce plan-là nous ne soyons pas en train de vivre un appauvrissement mais un glissement vers un remplacement : psyché devient désuet, mais fournisseur d’accès internet va peut-être faire son entrée dans le dictionnaire. Parlons plutôt syntaxe, conjugaison et variété de la langue : ce sont les éléments centraux d’un langage évolué car il est question de subtilité, de logique et d’articulation des pensées. Toute éducation qui voudrait s’en affranchir constituerait selon moi une régression intellectuelle grave.


Sur le web.

  1.  Hachette Jeunesse me fait savoir que la collection en question est en pleine santé.
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  • Bravo pour la comparaison des deux traductions ! Quelle évolution en quelques années.

    Déjà il y a quelques décénnies, la perte de l’imparfait du subjonctif, maintenant la perte du passé simple. Avec des concordance des temps massacrées …

    Mais beaucoup d’enfants ne lisent plus du tout, télé et jeux vidéo ayant remplacé cette activité … c’est le nivellement pas forcément par le « bas », mais par les medias de masse (la fameux « mainstream » des anglosaxons). Alors n’était-il pas normal que l’écrit et l’oral se rapprochassent enfin ?… en caricaturant, le français n’est-il pas un ancien « patois » dérivé du latin, et qui a fini par l’emporter ? Ceux qui comme moi ont étudié le latin seront peut-être d’accord pour dire que le français est réellement une simplification du latin, et que l’avenir est probablement à la simplification du français actuel …

    Et n’oublions pas de réformer encore plus l’orthographe afin que ça devienne plus simple et que ça libère du temps pour d’autres apprentissages.

  • Entre en ligne Umberto Eco. Je cite:

    « Echte Kultur beinhaltet auch die Fähigkeit sich korrekt und differenziert auszudrücken d.h. sie verabscheut den ‘NewSpeak’, so Umberto Eco: ‘Ur-Faschismus spricht NewSpeak. ‘NewSpeak’ wurde erfunden von Orwell, in 1984 … Gewisse Elemente des Ur-Faschismus sind verschiedenen Formen von Diktatur gemeinsam. Alle Nazi- oder Faschisten-Schulbücher benutzten ein verarmtes Vokabular und eine Elementarsyntax, um die Instrumente für komplexes und kritisches Denken zu begrenzen’. // La véritable culture inclut également la capacité de s’exprimer correctement et de façon différenciée, càd elle a horreur du NewSpeak. ‘Newspeak’ a été inventé par Orwell, dans ‘1984’… Certains éléments de l’Ur-Faschismus sont communs à de différentes formes de dictature. Tous les livres scolaires nazis ou fascistes utilisaient un vocabulaire appauvri et une syntaxe élémentaire, en vue delimiter les instruments pour (développer) une pensée complexe et critique »

    • L’éditeur jeunesse que j’ai eu au téléphone semblait sincère dans son désir de ramener les enfants vers la lecture, mais sans s’en rendre vraiment compte, il a pris la pente descendante (et terrifiante) décrite par Eco. A mon tour une petite citation, que j’aime beaucoup : Gide « suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant ».
      Et petit hors sujet : si vous aimez Umberto Eco, je vous conseille la visite de la spectaculaire Sacra de San Michele (près de Turin), lieu qui a inspiré Eco pour la Nom de la Rose. Cordialement, Nathalie MP.

      • « aimer Eco », pardi! je lisais régulièrement sa rubrique « La bustina di Minerva » dans l' »Espresso » (version papier) du temps que j’apprenais l’Italien pour pouvoir lire Dante dans l’original (et je le lisais parfois encore sur sur internet jusqu’au moment où je dus lire « spiacenti, la ricerca di la bustina di minerva non ha prodotto nessun risultato »). C’était donc dans les années 80, et je me souviens que cette édition de la Divine Comédie – Mondadori si mes souvenirs sont exacts – était plutôt mince mais grand format, avec, pour environ 8 à 10 vers de texte (original) proprement dit par page, des notes infinies, pullulantes et très savantes en tout petits caractères; je dois cependant avouer que ma connaissance du latin, à l’époque meilleure que maintenant, m’aidait assez souvent (je pus laisser de côté pas mal d’explications) – un peu comme ma connaissance de l’allemand m’aide à comprendre des textes anglais anciens

  • « en vue de limiter » bien sûr

    • Bravo pour la comparaison des deux traductions ! Quelle évolution en si peu d’années. Mais croyez-vous vraiment en une manipulation, ou n’y aurait-il pas un mouvement de fond depuis que le français … est le français ?

      Déjà il y a quelques décénnies, la perte de l’imparfait du subjonctif, avec actuellement des concordance de temps massacrées, surtout à l’écrit (« je voulais que tu prennes » plutôt que « je voulais que tu prisses »… Mais plus personne ne s’en offusque à présent; c’est rentré dans l’ordre. Maintenant la perte du passé simple, qui n’est plus utilisé à l’oral depuis des lustres. Quel dommage, mais qui s’en offusquera dans quelques décennies ?

      Beaucoup d’enfants ne lisent plus du tout, télé et jeux vidéo ayant remplacé cette noble activité … c’est un nivellement pas forcément par le « bas », mais par les medias de masse (la fameux « mainstream » des anglosaxons). Alors n’était-il pas prévisible que l’écrit et l’oral se rapprochassent enfin ?… Historiquement, le français n’est-il pas un ancien « patois » dérivé du latin, et qui pourtant a fini par l’emporter ?

      Ceux qui comme moi ont étudié le latin seront sûrement d’accord pour dire que le français est réellement une simplification du latin, et que l’avenir est probablement à la simplification du français actuel … ce qui ne signifie pas que la langue doive s’interdire de s’enrichir de nouveaux termes pour coller à son époque, ou d’en effacer les plus désuets. Et si à l’inverse ne fallait-il pas réformer encore plus l’orthographe afin qu’elle devienne plus simple, plus logique, et que du temps soit libéré pour d’autres apprentissages, comme la grammaire et l’histoire de la langue ?

      N’y a-t-il pas exactement le même procédé linguistique avec la globalisation de l’anglais et l’apparition d’un globish plus basique parlé et compris par les non anglophones?

      • Je suis d’accord avec vous sur le fait que les langues évoluent depuis toujours.
        Mais il me semble que ce n’est pas ce qui est à l’oeuvre ici. Quand on supprime sciemment des passages et qu’on privilégie arbitrairement le récit au présent, pour « accélérer le rythme », on a affaire à un parti pris visant à mettre l’écrit au niveau des divertissements télévisés et vidéos. C’est à dire qu’on condamne l’écrit, alors que toutes les études supérieures et beaucoup de la vie professionnelle se passe à l’écrit.
        Le plus amusant de l’affaire, c’est que je viens de taper « psyché » dans google pour voir ce qu’il en ressortirait : figurez-vous que dans la colonne de droite, tout plein de commerces en ligne proposent des psychés. Exemple : http://www.maisonsdumonde.com/FR/fr/produits/fiche/miroir-psych-porte-bijoux-en-bois-de-paulownia-blanchi-h-160-cm-camille-131001.htm?gclid=CPvVv9L5jMYCFcnKtAodxzYAwQ
        C’est à dire que ce vocabulaire « technique » existe toujours, que les gens qui les fabriquent savent parfaitement nommer leurs produits, et que le parti de supprimer ce mot pour les jeunes est simplement absurde, car ça correspond spécifiquement à un objet usuel : « grand miroir à inclinaison variable pivotant dans un bâti portant sur le sol ».

        • mon ‘entièrement d’accord’ se rapportait à l’intervention de bbv, mais ‘le parti de supprimer ce mot pour les jeunes est simplement absurde’, voilà qui est évident. Pourquoi ‘les jeunes’ auraient-ils besoin d’un traitement spécial visant à leur faire faire moins d’efforts? le contraire est vrai, suffit de penser à Nietzsche et son image du sapin sur pente rocheuse battue par les tempêtes etcaetera

        • Avatar
          Nafy-Nathalie Diop
          14 juin 2015 at 0 h 14 min
        • Vous avez raison pour le terme technique. Après, si on regarde l’éthymologie d’un miroir « psyché », c’est un peu comme une « marque » de l’époque, concernant une forme de meuble particulière, se référençant à la divinité Psyché, et qui serait rentrée dans le langage populaire. Je soupçonne cet éditeur d’être fortement de gauche, préférant le « concept » à la « réalisation », souhaitant bannir des jeunes lecteurs tout début d’initiative d’objectivation. C’est très tôt que les têtes se façonnent.

          Ou alors, les éditeurs s’adapteraient-ils aux regressions sociétales et éducatives … … de nos jours, la concurrence de la lecture avec les autres medias est cruelle, avec cet « enfant roi », qu’il ne faut plus frustrer, sinon il a la possibilité de « zapper » … Au final, le libéralisme serait-il donc victime de lui-même ? La question est légitime au moment même où on voit commencer les enfants à être (considéré comme) de véritables consommateurs, accessibles directement, sans plus aucuns filtres parentaux ou familiaux. Quelle époque !

      • Entièrement d’accord.

        Mais ‘simplification’ et ‘globish’ ne sont-ils pas la caractéristique essentielle d’une certaine sorte de musique qu’on entend partout et qui est tout, sauf de la musique?

        Vous savez que la musique comporte une sorte de ‘rhétorique’ sui generis, dotée d’un ‘vocabulaire’ extrêmement riche développé au cours des siècles (le grégorien comme base, puis Pérotin, de Lassus, Bach, Mozart, Mahler, Gershwin pour ne citer que les ‘entournures’). Or, la remarque d’Eco reproduite ci-dessus [‘un vocabulaire appauvri et une syntaxe élémentaire, en vue de limiter les instruments pour (développer) une pensée complexe et critique’] ne vaut pas que pour la langue puisque notre cerveau est Un, mais également pour la musique dite ‘classique’; à ce sujet on peut renvoyer à David Shenk, qui dans ‘The Genius in All of Us (Why Everything You’ve been Told About Genetics, Talent, and IQ Is Wrong)’, Doubleday, New York 2010, écrit en p. 77: « Nous savons maintenant que la musique -‘ (classique, selon le contexte où il est question de Yo Yo Ma, de Bach et de Mozart) ‘- active les neurones et ce, dans beaucoup de régions cervicales à la fois, et que chaque expérience significative d’écoute (meaningful listening experience) inspire la formation de mémoires à traces multiples (multiple-trace memories). » Il continue en relevant l’importance primordiale, pour un bon développement des interconnections neuronales, du ‘bain de musique classique’ dans lequel les enfants ont intérêt à être plongés dès leur plus jeune âge (ou même dès avant leur naissance comme j’ai lu autre part, mas vous savez cela sans doute).

        A mon avis les deux domaines, lecture et musique, pâtissent de concert (sans jeu de mot): en effet, il est nettement plus simple de lire des bandes dessinées que Goethe ou Balzac, et d’écouter les Beatles plutôt que la cinquième symphonie de Shostakovitch

  • C’est bien de régression dont il s’agit. L’imparfait, ou d’autres temps que le présent, peuvent apporter une précision que n’apporte pas le présent qui ne donne qu’un texte sans relief. Une langue qui perd sa précision est une langue qui sera remplacée par une autre sans regret. Sans compter l’impact sur le mental puisque ce que ne peut être décrit par des mots ne se conçoit que très mal.

  • Il me semble que cela relève plutôt de l’évolution de la parentalité, les enfant devint prescripteurs et la majorité de ceux ci refusent de  » se prendre la tête ».
    La langue est importante, mais aussi parce que son apprentissage est exigeant et exige l’utilisation de l’analyse et de la logique qui sont les bases de la compréhension, non pas seulement de la langue mais de TOUT ce qui relève de la rationalité.

    Il ne faut pas oublier que la maîtrise de la langue est un moyen et non une fin. Je lis souvent sur contrepoint des interventions très ben écrites mais qui me semblent complètement idiotes et je ne suis en rien certain que la culture littéraire des masses nous abriterait du totalitarisme sinon par le fait que cette culture est plutôt circonstancuiellement antitotalitaire. La culture est par nature une inertie et donc conservatrice , j’ai bien peur qu’un monde totalitaire développerait sa propre littérature .

    EN somme la forme oui, mais parce que la forme permet de saisir le fond. Le seul bénéfice que je trouve de prime abord à la version ancienne est la difficulté.

    Il faut surtout faire travaille les méninges et profiter de la merveilleuse capacité d’apprentissage des enfants.

    Ce qui me choque avec la langue c’est que inévitablement pointe une forme de supériorité lié à la maîtrise d’un certain langage, il en va de m^me avec la musique classique…si il me semble que l’apprentissage de la musique classique est bénéfique, ça n’importe en rien la supériorité de la musique classique sur tout autre forme de musique.
    La beauté classique de l’écriture d’une personne ne vous renseigne en rien sur la beauté de son âme et encore moins de sa supériorité. malheureusement , très souvent….un pas de trop est fait…

    • oui bon les enfants deviennent prescripteurs. circonstanciellement …liée…etc…

      j’aurais pu faire plus simple le haut de quoi? le bas de quoi?
      Votre article est un billet d’humeur qui croit voir dans un exemple assez dérisoire une illustration d’un phénomène général.
      Mais le phénomène en question est censé conduire à une moindre maîtrise des règles de français, or les enfants allemand ne maîtrisent pas du tout les règles de la langue française et ne s’en sortent pas si mal:

      ce n’est pas pertinent , il me semble que c’est l’évaluation de la compréhension qui importe et non pas des textes mais de la société dans laquelle on vit.

    • …ooops – « la culture est par nature une inertie et donc conservatrice », là je me rebiffe.

      Le 5 juin

      (http://www.contrepoints.org/2015/06/05/209913-les-islandais-attaquent-leurs-banques-pour-faux-monnayage#comment-1134627)

      j’avais eu le plaisir de citer Malinowski [«’la culture dépend essentiellement du degré auquel les sentiments humains peuvent être éduqués, adaptés et organisés en systèmes complexes et plastiques’, dans: ‘La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives’, Payot, Paris 1971, p. 195″, adaptation et organisation étant comme tout le monde sait, des phénomènes de la plus haute inertie, par nature bien évidemment], mais cela n’a manifestement pas suffi. Je vais donc devoir me farcir la traduction d’un passage de Hans Blumenberg, ce philosophe dont j’avais écrit

      (http://www.contrepoints.org/2015/06/06/210002-les-climato-sceptiques-ne-sont-pas-les-bienvenus-sur-radio-france)

      que ‘je possède les 8 textes essentiels, mais il est infernal et à peu près intraduisible’

      (http://www.contrepoints.org/2015/06/06/210002-les-climato-sceptiques-ne-sont-pas-les-bienvenus-sur-radio-france);

      or donc:

      « Kultur besteht darin, dass die Natur es sich leisten kann oder zuzulassen gezwungen wird, ihr selektives Verfahren zugunsten der physisch und reproduktiv Tüchtigsten zurückzunehmen, einzuschränken, auszusetzen und durch abschirmende Empfindungen neuer Art: Wertempfindungen, Vergnügen, Genuβ, überbieten zu lassen (…) Kultur ist und wird bleiben eine ‘Verschwörung’ gegen die exklusive Standardisierung des Menschlichen durch die Tüchtigsten, Nützlichsten, Stärksten (…). Wenn nun das, was zur Rechtfertigung des blanken Daseins und zur Kompensation von Leistungsausfällen erfunden worden war, aufsteigt zum Anlaβ der Bewunderung und sogar zur Qualifikation für den Reproduktionsprozeβ, so ist das nicht nur Ergebnis eines Kunstgriffs der Selbstbehauptung in hoffnungsloser Lage, sondern steht in Konvergenz zum anthropogenetischen Prozeβ selbst, bringt zur vorzeitigen Ausprägung, was in diesem ohnehin und aus immanenter Tendenz bevorsteht // La culture est et restera une conjuration contre la standardisation exclusive de l’humain par les plus débrouillards, les plus utiles, les plus forts (…)
      Si maintenant ce qui avait été inventé comme justification de la pure existence et comme compensation de déficiences matérielles, (si tout cela, dis-je) ‘monte en grade’ pour devenir cause d’admiration et même qualification pour le processus de reproduction: cela n’est pas seulement le résultat d’une pirouette artistique visant à l’autoconservation dans une situation désespérée, mais se trouve en convergence avec le processus anthropologique lui-même, porte à une manifestation précoce ce qui, dans ce dernier, est de toute façon appelé à se manifester et ce, par tendance immanente ».
      (Höhlenausgänge, suhrkamp taschenbuch wissenschaft 1300, Ffm 1996, pp. 32 sq)

      En somme, rien de plus dynamique et novateur que la culture.

      Maintenant et c’est bien évident, chacun a le droit d’avoir SA propre définition de n’importe quoi, et d’en faire part librement. C’est bien à cela que sert la liberté d’expression.

  • Le but n’est-il pas de ne plus avoir
    – sur tous les plans-
    aucun critère de comparaison,afin de définitivement bannir le qualitatif du champ de vision d’avenir?

    La paupérisation de l’esprit et le formatage au jargon dont le sens importe peu, puisqu’il s’agit simplement de l’ingurgiter à satiété, semble le confirmer.

    En patrimoine de l’humanité,celui de l’éducation, de la culture et de l’instruction sont ainsi sacrifiés sur l’autel de la com, nouvelle façade d’un pays surfait.

  • L’article est intéressant et fait réfléchir.

    Le texte de 2008 est effectivement plus simple que celui de 1962 mais ce dernier est loin d’être un joyau de littérature. Les tournures de phrase sont lourdes, certaines descriptions ont très peu d’intérêt et plusieurs mots sont désuets ou trop techniques (bavolet de tulle, psyché).

    Par exemple, dans la phrase « Elle devait s’y rendre en compagnie de Ned Nickerson, ami d’enfance qui se faisait volontairement son chevalier servant », la proposition « qui se faisait volontairement » n’apporte aucune information (on se doute bien qu’il n’est pas forcé) et alourdit la phrase.

    Le passage de la narration du passé au présent et la concordance des temps assez étrange (achève/ était invité) me paraissent par contre assez dommageables.

    Enfin, l’article précise à la fin que cette simplification du texte s’accompagne d’un passage en bibliothèque rose. Dans ce cas là, il me semble que l’on n’est plus du tout dans un nivellement par le bas : faire lire un texte prévu pour un enfant de 10-14, à un enfant de 7 ans justifie bien quelques simplifications.

    • Je ne suis pas réellement d’accord avec vous.
      1°) les éléments descriptifs apportent des détails qui ne sont pas du tout évidents. « Qui se faisait volontairement » indique bien qu’il n’y a pas eu tirage au sort ou appariement prévu par l’organisateur de la soirée. Il implique un intérêt de sa part qui n’est pas nécessairement perceptible sans cette indication.
      2°) les mots désuets existent quand même toujours. Ce n’est pas parce qu’on ne sait plus parler correctement qu’une psyché est devenue synonyme d’un miroir. Rendre le sens de la nuance, de la différence, entre des similaires c’est justement tout l’intérêt de la langue, et c’est ce qu’on s’acharne à détruire de sorte que tout se vaille et que la dictature molle soit la démocratie top cool, etc.
      3°) A 7 ans je lisais des livres de la comtesse de Ségur, Alphonse Daudet ou autres Hector Malot, sans traduction ni simplification, et pourtant c’était plus ancien et plus complexe qu’Alice… C’est au lecteur de décider (et à ses parents)

      Ces changements du texte posent un vrai problème, surtout venant des éditeurs, ardents défenseurs de la « propriété intellectuelle ». En effet, on est ici face à un réel cas de violation d’icelle… On ne peut pas changer le texte d’un auteur parce que ça fera plus moderne ou plus facile. Il est tel qu’il est et la seule petite entorse à ce principe se fait pour la traduction. D’un autre coté vouloir absolument faire payer pour le partage numérique d’une œuvre écrite par quelqu’un mort il y a X années (ou même vivant) et qui ne perd rien directement à cela, c’est plus contestable, mais ça leur semble primordial.

      • Le texte de l’auteur est en anglais, c’est la traduction qui est changée ici. Bien que la traduction de 2008 simplifie surement à outrance le texte d’origine, cela m’étonnerait aussi que la VO soit aussi lourde que la traduction de 1962.

        1) la volonté de la part du « chevalier servant » est implicite tant qu’il n’y a pas de mention contraire.

        2) Avant de lire l’article, je ne savais ni ce qu’était une psyché, ni un bavolet de tulle. Je n’en ai probablement jamais utilisé non plus. Une explication est que suis inculte. Une autre est que ces mots sont sortis du langage courant en même temps que les objets qu’ils désignent s’utilisent de moins en moins.
        Ce n’est pas par contre un appauvrissement du langage. Dans le même temps, un grand nombre de nouveau mots sont venus désigner des objets qui sont apparus depuis les années 60.

        3) Vous lisiez des livres français sans traduction ?!?
        Je lisais aussi beaucoup à 7 ans (le club des 5 et autres) et le lis encore aujourd’hui.
        Mon expérience de lecteur me dit qu’un livre facile à lire se lit vite et pousse à continuer à lire d’autres livres. C’est pour cela que je pense que cette simplification est une bonne chose pour pousser les enfants à lire et les amener vers des livres plus longs et complexes comme Harry Potter dont vous parlez dans votre autre commentaire.

  • Vous avez tout à fait raison.
    Le monde est de plus en plus complexe et enfants comme adultes sont confrontés à de plus en plus de facettes de ce monde.
    Je ne suis pas certain du tout (en fait je suis certain du contraire) que la « simplification du langage » contribue à attirer les jeunes lecteurs, ni ne corresponde à ce qu’ils auront à affronter dans la vie.
    Dans le même sens, en mathématiques il « voient » des théorèmes bien plus avancés qu’avant mais sans en étudier la démonstration, sans en voir réellement d’applications en exercices… On leur donne du facile, sans effort et on camoufle la « perte de niveau » en gardant le « contenu » du texte et la même liste de théorèmes (voire en la gonflant).

    In fine, le classement PISA baisse (je ne suis pas du tout certain que les aventures de Nancy Drew en VO soient réécrites pour rendre ça plus accessible… ) mais les éditeurs, les media et surtout les politiciens continue sur le même mode « allégement ».

    Pourtant le gros succès de la littérature jeunesse, c’est bien Harry Potter, avec des tomes plutôt épais, un vocabulaire plutôt riche et même des mots inventés pour la magie… à base de latin ! Bref, faut arrêter de prendre les gens (et notamment les jeunes et enfants) pour des idiots et admettre que pour transmettre il faut qu’il y ait effort, tant du coté du récepteur que du transmetteur. Même si prof s’agit dans tous les sens, rien ne se passera si « l’apprenant » n’en fait pas au moins le double !

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