TTIP : un accord protectionniste et corporatiste

L’enjeu des traités consiste à imposer à l’échelle mondiale des normes qui procureraient un avantage compétitif en entravant la concurrence tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bloc occidental.

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Barbelés (Crédits Emmanuel Huybrechts, licence Creative Commons)

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TTIP : un accord protectionniste et corporatiste

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 avril 2015
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Les perspectives d’un accord sur le commerce et l’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique ont donné lieu à un abondant flot d’articles pour commenter les implications et les enjeux d’un accord qui serait d’inspiration libre-échangiste. Il n’en est absolument rien. Ce projet d’accord s’inscrit au contraire dans une logique protectionniste centrée sur l’Occident pour satisfaire des corporatismes politiquement organisés.

Par Ferghane Azihari

Barbelés (Crédits Emmanuel Huybrechts, licence Creative Commons)
Barbelés (Crédits Emmanuel Huybrechts, (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Protectionnisme déguisé, libre-échange dévoyé

Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP en anglais) est désigné comme d’inspiration libre-échangiste alors que sa finalité consiste plus à harmoniser certains standards techniques ainsi que d’autres normes commerciales. La décision d’emprunter la voie bilatérale en lieu et place du multilatéralisme a été motivée par l’échec du cycle de Doha. Il avait officiellement l’ambition de libéraliser le commerce international. Il faut cependant se méfier du vocable libre-échangiste lorsqu’il est entre les mains des politiciens qui incarnent bien souvent les intérêts catégoriels des élites économiques. Ces élites aiment faire précéder les faits par des mots en vantant les vertus du libre-marché tout en faisant pression auprès des instances politiques pour neutraliser la concurrence par le biais d’artifices bureaucratiques divers et variés, le tout pour concentrer des industries qui aspirent à atteindre une position monopolistique.

Ce discours est pratique. En entretenant l’illusion de liberté et d’égalité, il permet de légitimer l’ordre social établi pour obtenir la docilité de celles et ceux qui ne sont pas dans la possibilité d’y tirer leur épingle du jeu. Cet accord de « libre-échange » ne fait hélas pas exception à la règle.

L’Union européenne et les États-Unis sont les plus grandes puissances commerciales de la planète. L’enjeu pour les grandes corporations consiste à imposer à l’échelle mondiale des normes qui procureraient un avantage compétitif en entravant la concurrence tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bloc occidental. Il ne s’agit donc pas d’abolir les entraves aux échanges mais d’harmoniser des standards techniques afin de façonner les barrières en fonction des intérêts des acteurs économiques dominants, le tout pour favoriser la concentration des industries à l’échelle supranationale. La place de la propriété intellectuelle dans ces négociations est en ce sens très révélatrice.

Consolider les oligopoles à l’échelle planétaire, l’exemple emblématique de la propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle est un concept clé de l’économie moderne. Elle n’en reste pas moins une institution fondamentalement liberticide. En réservant un droit exclusif à l’exploitation d’une idée, elle constitue une puissante barrière pour neutraliser la concurrence. Ce privilège prétend revêtir la même légitimité que la propriété privée classique alors que l’analogie est impertinente. Au XIXe siècle déjà, le célèbre journaliste Benjamin Tucker affirmait que la propriété intellectuelle fait partie des quatre principaux dispositifs bureaucratiques qui nuisent à une juste répartition des richesses en favorisant l’apparition de monopoles infondés. La place que cette notion occupe dans cette négociation confirme le fait que le partenariat transatlantique ne s’inscrit nullement dans une logique libre-échangiste.

Le mandat de négociation énonce en effet que le projet d’accord « reflètera la grande valeur accordée par les deux parties sur la protection de la propriété intellectuelle ». L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce rattaché à l’OMC servira de base de travail pour conduire les négociations. Or ce traité est justement réputé pour favoriser les concentrations notamment dans l’industrie pharmaceutique. Il handicape les pays émergents et sous-développés qui ne se voient pas dotés de la possibilité de favoriser la naissance de structures pouvant concurrencer les industries occidentales malgré les enjeux humanitaires auxquels ils font face. Loin de favoriser les « libertés économiques », de tels accords ne font que les restreindre pour satisfaire une minorité d’acteurs qui ont les moyens de s’affranchir des coûts engendrés par ces barrières.

Politiser les standards techniques, une manœuvre dangereuse

Le cas de la propriété intellectuelle est paradigmatique pour illustrer la nocivité de l’action normative des institutions politiques. Celle-ci est généralement au service d’intérêts catégoriels dont il faut se méfier. En effet, si les standards techniques que le TTIP veut promouvoir étaient réellement bienveillants, alors la société civile n’aurait aucun mal à s’en emparer pour les promouvoir sans l’assistance de l’État. De nombreux standards techniques dont nous bénéficions quotidiennement ont été développés grâce à des coopérations volontaires et spontanées. C’est par exemple le cas du standard Bluetooth géré par le Bluetooth Special Interest Group fondé en 1998 et comptant environ 20 000 membres. C’est également le cas du WiFi. Certes le second s’est imposé sur le premier pour ce qui est des ordinateurs. Cela n’a pas empêché le Bluetooth de se retrancher vers d’autres appareils.

La coexistence du Bluetooth et du Wifi montre que les coopérations spontanées ont l’avantage de respecter la diversité des revendications sociales. Quant aux instances politiques, elles ne savent qu’utiliser la violence pour uniformiser au détriment d’une partie de la société. Derrière la définition politique des standards techniques se cachent souvent des velléités hégémoniques d’acteurs privés. Si je suis dans le secteur de l’informatique et que je fabrique des écrans de type X tandis que mon concurrent fabrique des écrans Y, il peut être intéressant pour moi d’inciter la puissance publique à rendre obligatoire les écrans de type X afin de jouir d’un avantage compétitif en mettant mes concurrents en difficulté ou dans l’illégalité. Dans ces conditions, sans doute est-il opportun de réfléchir à des coopérations volontaires pour résoudre des problèmes techniques avant de recourir aux instances politiques. Tout ceci n’est finalement qu’une question de subsidiarité.

Pendant ce temps, le marché européen…

Les élites politiques européennes prétendent vouloir étendre jusqu’aux États-Unis une zone de libre-échange qui n’existe pas sur le continent européen. Leur soi-disant libre-échangisme n’est qu’un vocabulaire politique destiné à dissimuler leur volonté d’étendre le terrain de jeu des corporations dominantes par la consolidation de leurs privilèges à l’échelle supranationale. Avant de songer à un marché transatlantique, peut-être y a t-il lieu de considérer la nécessité d’amorcer la déconstruction de l’environnement institutionnel qui a favorisé le développement actif de ce capitalisme corporatiste qui dénature la finalité de notre marché. Celui-ci s’apparente désormais à une arène dans laquelle chacun essaie d’obtenir un avantage au détriment d’autrui afin de mieux le piller. Outre la propriété intellectuelle, faut-il énoncer d’autres exemples pour s’en apercevoir ?

La carte des professions réglementées établie par la Commission européenne montre que la libre-circulation des services et des personnes est une fiction. Ces professions réglementées seraient au nombre de 5088. L’exécutif communautaire ne semble malheureusement pas décidé à abolir ces privilèges. Rajoutons à cela les nombreuses activités productives qui font l’objet de règlementations insidieuses pour conforter les cartels. C’est par exemple le cas du secteur agroalimentaire qui fait l’objet d’une concentration inquiétante avec le soutien actif de la politique agricole commune. En ce qui concerne la régulation financière, l’Union européenne érige de manière hypocrite un système chimérique de supervision des banques tout en refusant de s’attaquer à leur monopole et en perpétuant leur déresponsabilisation via des politiques monétaires interventionnistes.

Vouloir négocier précipitamment avec les États-Unis au nom de la liberté et de la prospérité économique laisse entendre que ces notions sont acquises sur le plan européen, ce qui n’est absolument pas le cas. Il semble donc que seule une minorité qui aspire à étendre la portée de ses privilèges ait vraiment intérêt à la signature de cet accord. En effet, si le « libre-échange » tel que les politiciens le conçoivent était aussi bienveillant, il n’y aurait aucun problème à le promouvoir unilatéralement en prenant l’initiative d’abolir toutes nos barrières. Le simple fait de devoir longuement négocier pour aboutir à un accord intergouvernemental constitue en soi la preuve que les libertés individuelles ne seront point au cœur de ces discussions. Faut-il s’en étonner quand ce n’est tout simplement pas dans l’intérêt des corporations à la tête des puissances publiques ?

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  • Moué, je suis pas convaincu.
    Que les multinationales soient avantagées par des accords de libre-échange est logique puisqu’elles sont par définition mondialisées et ont les moyens financiers de profiter des gains, mais ce genre de chose bénéficie aussi aux PME qui peuvent trouver de nouveaux marchés sans avoir à se soucier si les normes sont différentes ou pas, économisant le besoin d’un intermédiaire dans certains cas, favorisant l’expansion de la PME à moindre coût.

    Pour les USA je ne pense pas qu’il y ait une volonté chez eux d’avoir un marché occidental protégé puisqu’un traité appelé TPP est en négociation entre eux et des pays d’Asie (Japon, Vietnam..) et Amérique Latine (Mexique, Pérou..). Le but est de faire en sorte que le monde libre choisisse les normes et règles du commerce international plutôt que des dictatures ultra-protectionnistes telles que la Chine…Et c’est parfaitement dans l’intérêt de tous.

    • si nous voulions réellement du libre-échange, nous abolirions nos barrières unilatéralement pour avoir accès aux ressources et aux services étrangers au meilleur prix. Outre la propriété intellectuelle, le clash des normes et des standards techniques au coeur de ces négociations suffit à penser qu’il n’y a rien de libéral dans ces accords.

      • Je n’aime pas trop cette idée.
        Favoriser les exportations des concurrents tout en laissant les autres se fermer aux nôtres défavoriserait notre économie.
        En effet, si notre économie est 100% ouverte aux concurrents ces derniers n’auront plus aucune incitation à nous ouvrir leurs marchés à eux…Les accords comme le TTIP et le TPP ont l’avantage de proposer une ouverture commune. Dans le cas du TPP on parle d’une suppression des droits de douanes sur environ 97% des biens et services, ce qui serait énorme.

        • L’ouverture unilatérale des frontières est une bêtise car il n’existe pas au niveau mondiale de juridiction surpa national pour appliquer une quelconque loi. La seul loi qui dirige les relations internationales c’est la loi du plus fort, ensuite si le plus fort demande à ce que l’on respecte les traités passés alors là on commence à discuter… Je ne m’appuie pas pour dire ça sur les délires de politiciens ou universitaire dans leurs tours d’ivoire, mais sur la réalité… Dans le commerce international, soit on paie cash avant de laisser partir le bateau et on suit le bateau en croisant les doigts, soit on fait des contrats en trois bandes avec un pays neutre au milieu qui garde la paiement en dépôt…
          Ou pour résumer, ouvrir unilatéralement les frontières c’est aussi con que nos ancêtres qui par politesse ont laissé les anglais tirer les premiers…

          • Non sequitur. Ce n’est pas parce que d’autres décident de mettre des rochers devant leurs ports qu’il faut faire pareil, notamment en espérant qu’il tomberont en premier.

        • « Favoriser les exportations des concurrents tout en laissant les autres se fermer aux nôtres défavoriserait notre économie. »

          Vous semblez faire deux erreurs. La première laisse penser que vous soutenez l’idée que le déficit commercial appauvrit les pays. Rien de plus faux que ce postulat mercantiliste.

          La seconde tient à ce que vous dénigrez souveraineté du consommateur en vous plaçant du côté du producteur.

          Si les Américains veulent continuer à faire du protectionnisme, c’est leur problème. Nous n’avons pas besoin de réciprocité pour ouvrir nos marchés (en admettant, bien sûr, que le TTIP vise l’ouverture réciproque…ce qui n’est pas le cas).

          • Je suis mercantiliste et j’en suis fier 😀 Est-ce que le déficit commercial appauvrit les pays ? Non, mais un déficit commercial massif est un clair désavantage de long terme, un déficit commercial se doit de rester raisonnable, favoriser les exportations d’un pays est ESSENTIEL : les entreprises exportatrices créent davantage d’emploi dans le pays si elles exportent plus et donc cela crée plus de consommateurs qui en échangent achèteront des produits importés. L’exportation est un aspect essentiel de la prospérité : les autres nous achètent beaucoup -> emplois créés chez nous -> + de consommateurs -> + d’importations -> emplois créés chez les pays partenaires.

            Oui, le mercantilisme c’est BIEN 😉

            • Si je veux échanger avec une entreprise américaine ou autre, de quel droit interférez vous dans cet échange quand celui-ci n’agresse personne ?

      • L’ouverture complète des barrières et la libéralisation des marchés pourrait fonctionner uniquement à condition que les monnaies soient ultimement adossées à des ressources naturelles (des stocks de titane, des lingots d’or, des silos de céréales, des lacs d’eau potable protégés en réserve, etc…)

        Tant que les monnaies seront des devises fiduciaires à cours forcé, le libre-échange ne résultra ultimement qu’à lentement concentrer l’ensemble des ressources naturelles aux mains de ceux qui contrôlent la planche à billets.

        Strictement dans un système de monnaies fiduciaires à cours forcé, toute financiarisation nourrit la plus énorme machine de planification centralisée que l’humanité ait connu.

    •  » le monde libre …  »

      pffffff ! ( pif le chien c’est le monde libre et akim color, c’est l’horrible dictature ultra-protectionniste aux yeux bridés … )

  • « Celles et ceux » : amusant tic de langage de la novlangue, à abandonner sans délai pour éviter le ridicule de « celles et ceux » qui l’emploient à tout propos. « Ceux », forme neutre, fait parfaitement l’affaire.

    • D’autant que si ce tic(que ?) peut à la rigueur contenter, outre les hétéros(es ?) le L et le G de LGBT, il ne rend que très imparfaitement compte de Bi et Trans, dont la grammaire ignore encore l’existence. C’est mal(e).
      Députés et députées, sénateurs et sénateuses, ministres et ministres (tiens, ça ne marche plus), Président et Julie, tous, vite une loi. Pour mettre tout ça au pas de l’oie.

  • Bon, il faut aussi être sérieux car cet article le mérite: il sait mettre en lumière l’absence de bonne foi de nos très antilibéraux gouvernements européens dans cette affaire ; les USA ne sont pas de meilleure foi, mais ce qui reste de libéral chez eux (peu de choses, mais tout de même un peu plus qu’en Europe) tire le traité vers un poil moins d’étatisme planificateur que ce qui est habituel dans la communauté européenne. La possibilité pour une entreprise de mettre en cause la responsabilité des états lorsque (comme d’habitude) ils faussent le marché par des normes et lois artificielles, est plutôt un progrès. Attendons bien sûr de voir si elle sera mise en oeuvre pour de bon, et dans des conditions suffisamment larges, mais c’est une ouverture intéressante, qui pourrait ensuite être la source d’autres : pourquoi ne pas envisager des « class actions » contre les états, regroupant les entrepreneurs et les consommateurs d’un secteur productif ? On va dire que comme dans la publicité bancaire bien connue, il faudrait ajouter « bien sûr, c’est un rêve ». Mais pour une fois il n’est plus totalement interdit, alors que sans traité, il ne viendrait même pas à l’esprit.

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