Urgence, oubli et politique : réflexions d’après le 11 janvier

L’élan du 11 janvier est-il destiné à s’estomper ? Et si oui, qu’est-ce que cela signifie sur le plan de l’action politique ?

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Urgence, oubli et politique : réflexions d’après le 11 janvier

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 février 2015
- A +

Par Julien De Sanctis.

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L’urgence qui caractérise le rythme de vie quotidien des sociétés modernes pose un double problème politique : celui du cadre qualitatif de prise de décision et celui du rapport des citoyens à la République. Le mouvement républicain suscité par les sombres événements de début janvier a déclenché une revitalisation citoyenne et morale du pays. La France, que l’on décrivait comme une nation vieillissante et lasse, a été soudainement arrachée à sa torpeur. S’il y aura, de toute évidence, un avant et un après, le quotidien de nombreux Français n’est pourtant pas favorable à l’entretien durable de l’élan citoyen du 11 janvier 2015. Ainsi, derrière la foule de défis sociaux, économiques et sécuritaires que le pays va devoir relever, se cache celui, politique et moral, du rôle concret du citoyen dans la mécanique démocratique et de l’épreuve des valeurs communes autrement que sur le mode des circonstances extraordinaires.

L’inefficacité de l’urgence

Liberté, démocratie, sécurité, république, voici des mots que l’on entend plus que de coutume, en ces temps de deuil national. Les analyses sur les causes et les conséquences des attentats des 7 et 8 janvier 2015 fusent aussi rapidement qu’elles divergent. C’est une bonne chose pourvu que les actions futures s’inspirent de ces divergences pour embrasser le réel dans toute sa complexité. Le débat démocratique, bien que salutaire, pêche régulièrement par excès d’opinions tranchées, de replis idéologiques mais aussi par dédain pour une « perte » de temps pourtant nécessaire à l’épanouissement d’une pensée complète et rassembleuse. La nécessité de ne pas céder à l’urgence est d’autant plus importante qu’elle permettra d’effectuer les bons diagnostics et d’engager les bonnes actions. La liberté de changer d’avis découle également de cette résistance à l’inefficacité de l’urgence.

La critique de l’urgence n’est en aucun cas une invitation à la lenteur. Elle n’est pas, non plus, un appel à la « gestion » du temps. La nature insidieuse de l’urgence est de s’imposer comme une nécessité. « [Elle] est cette maladie qui se prend pour sa propre thérapie »1. Elle favorise les mesures d’exception et non les mesures exceptionnelles, pour reprendre la distinction faite par Manuel Valls lors de son discours à l’Assemblée. Résister à l’urgence revient à prendre conscience de la durée incompressible du temps de la pensée dans un monde complexe. Un action justifiée par une pensée qui a « pris son temps » est plus en phase avec le réel et donc plus durable. Résister à l’urgence permet, en réalité, de gagner du temps. L’apparence paradoxale de cette réalité est un héritage du phénomène moderne d’accélération sociale décrit par Hartmut Rosa. Ainsi, plus qu’une ressource à rationaliser ou à maximiser, le temps est un allié de la pensée et du « bien agir » en politique.

Cette éthique de l’action concerne directement la sphère décisionnaire ; or, le problème politique de l’urgence ne touche pas uniquement les professionnels du domaine mais aussi les citoyens dans leur ensemble.

Engourdissement démocratique

Sans rentrer dans le détail de la théorie de l’accélération sociale, on peut, sans trop de risque, invoquer l’expérience commune pour affirmer que la gestion quotidienne du temps ne nous permet pas de venir à bout de tous les objectifs que nous nous fixons à titre personnel ou professionnel. Cette accélération perpétuelle du rythme de vie est politiquement délétère en ce qu’elle favorise l’engourdissement démocratique. Combinée à un individualisme triomphant, l’urgence entrave la possibilité d’une citoyenneté active et transforme trop souvent la volonté en velléité. Face au cercle vicieux de l’accélération, l’apparente évidence du manque de temps excuse presque d’office l’individu et occulte la question de sa responsabilité : on dit « désolé, je n’ai pas eu le temps » et non « désolé, je n’ai pas pris le temps ». Le cours de nos vies semble nous échapper et, avec lui, toute possibilité d’être ou d’agir autrement.

Sursaut moral

Puis surviennent des événements terribles comme ceux des 7 et 8 janvier 2015. Une faille s’ouvre dans le quotidien : la France et ses valeurs fondamentales nous apparaissent menacées. On se « souvient » alors de ce qu’elles sont, de ce qu’elles représentent. On prend conscience de leur force mais aussi de leur grande vulnérabilité et de leur travers éventuels. On réalise que nos vies sont encadrées par de grands principes bienveillants fondés en philosophie, en droit et en actes ; mais aussi que certains de ces fondamentaux restent désespérément rivés à la philosophie et au droit, et peinent à trouver une traduction suffisante en actes. En somme, la catastrophe est un catalyseur de souvenirs passés, de conscience présente et de mémoires à venir. L’horreur réactualise des valeurs que le temps et ses contingences banalisent. On clame alors qu’on ne s’était pas senti Français depuis longtemps ou qu’on ne l’avait jamais éprouvé avec autant de force. C’est que le quotidien ne nous permet pas d’en faire l’expérience. Il nous divise, il nous éloigne, il nous fait oublier que la France ne nous abreuve pas uniquement de bons vins mais aussi de valeurs communes. Il faut alors attendre des événements atroces pour contrer la torpeur citoyenne et se recentrer sur l’essentiel.

Pharmakon

L’un des principaux ennemis du mouvement du dimanche 11 janvier 2015, c’est donc le retour au temps « normal » de l’urgence. Beaucoup se demandent quelle sera la durée de vie de l’élan impulsé par cette énorme mobilisation. Sans cynisme complaisant, il y a fort à parier qu’il ne fera pas long feu. C’est thérapeutique : quand l’émotion est trop forte, l’aspiration au retour à la normale se concrétise dans l’oubli. Il faut toutefois rester vigilant : ici, l’oubli est un pharmakon, remède et poison à la fois. Remède car il nous déleste de la trop grande charge émotive liée aux événements ; poison car il peut conduire à entretenir l’illusion du « tout va bien », l’indifférence et/ou le quiétisme politique face aux causes réelles de la tragédie. Cet oubli empoisonné est largement favorisé par l’urgence, grand adjuvant du déni de réalité et du repli sur soi. Ne nous berçons donc pas d’illusions. L’élan du 11 janvier n’est pas fait pour durer. Il faut cependant allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté disait Gramsci.

Thérapeutique

Dès lors, qu’est-il permis d’espérer ? Une thérapeutique de l’oubli en favorisant le potentiel curatif du pharmakon : un délestage émotionnel laissant place à une culture du souvenir. Un simple retour à la normale ne permettra pas d’entretenir la prise de conscience citoyenne dont le pays a tant besoin. Pour se souvenir activement, c’est-à-dire pour agir en accord avec ce souvenir, notre pays a besoin de plus de participation citoyenne. Sans orientation plus participative de notre démocratie impliquant, à terme, un aménagement du quotidien, l’urgence reprendra ses droits sur l’oubli.

Article publié sur iPhilo.

Sur le web

  1. Bruno Jarrosson, « L’urgence de la lenteur », iPhilo, 01/07/2014

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