Blockchain : la nouvelle arme contre « l’or du sang » 

Les Émirats Arabes Unis, la Suisse et la Grande-Bretagne sont à l’avant-garde de l’utilisation de la blockchain pour garantir la traçabilité de l’or. Aliénor Barrière examine comment ces pays mettent en œuvre des mesures pour lutter contre les trafics illégaux, respecter les normes environnementales et promouvoir les droits de l’Homme, en ouvrant ainsi la voie à une industrie aurifère plus éthique et responsable.

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Blockchain : la nouvelle arme contre « l’or du sang » 

Publié le 17 juillet 2023
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Si en 20 ans le Processus de Kimberley a permis d’assurer la traçabilité de 99 % des diamants et de mettre fin aux « Blood diamond », le secteur aurifère a été beaucoup plus lent à se réformer. Mais la blockchain a donné un coup d’accélérateur à la lutte contre les trafics illégaux, et désormais les centres mondiaux de négoce comptent sur les nouvelles technologies pour moraliser le marché de l’or.

En 2013, le scandale de la viande de cheval dans des lasagnes avait défrayé la chronique. Environ 750  tonnes de viande frauduleuse avaient ainsi été écoulées dans treize pays différents par l’entreprise agroalimentaire Spanghero, sous couvert de bœuf européen, grâce à un simple changement d’étiquettes. Cela aurait pu être évité grâce à la blockchain.

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission de données sécurisée et décentralisée. Chaque information et chaque transaction sont copiées sur tous les nœuds de la chaine, de façon perpétuelle et avec l’accord de tous les participants. Pour pirater une telle base d’informations, il faudrait hacker au moins 51 % des nœuds de la blockchain, ce qui, aujourd’hui, est suffisamment difficile pour être présenté comme impossible la plupart du temps. Si l’usage le plus courant qui en est fait est celui de la cryptomonnaie, la blockchain peut également être utilisée pour les assurances, les banques, et même l’agroalimentaire.

C’est le pas qu’a franchi Carrefour en 2018, en se dotant d’une blockchain pour garantir la traçabilité de son poulet d’Auvergne. En amont, les partenaires du groupe disposent d’informations fiables sur les produits qu’ils vont proposer; en aval, les consommateurs peuvent suivre le parcours du produit étape par étape grâce à un QR code. Carrefour peut ainsi se vanter d’un « système innovant qui garantit aux consommateurs une traçabilité complète des produits et davantage de transparence vis-à-vis des consommateurs ».

 

Du poulet à l’or, il n’y a qu’un pas 

Beaucoup de consommateurs la partagent cette exigence, y compris dans le monde du luxe.

C’est encore plus le cas lorsque certains produits peuvent être issus de zones de guerre. Les Émirats Arabes Unis se trouvent justement confrontés à cette problématique : actuellement deuxième plaque tournante du commerce mondial de l’or, ils sont accusés de laisser vendre de l’or issu de la contrebande en provenance de zones de conflits africaines.

Afin de garantir la traçabilité du précieux minerai, le pays s’est lancé dans l’aventure blockchain. La société mixte Primera Gold DRC SA permet désormais de tracer toutes les transactions réalisées dans le cadre du marché RDC/Émirats sur l’or issu de l’exploitation artisanale, ce qui représente 15 tonnes d’or et un milliard de dollars.

Joseph Kazibaziba, son directeur, explique :

« Le fonds passera par notre système bancaire et mettra fin au brassage incontrôlé du cash dans la province du Sud-Kivu ».

Plus de 350 kg d’or équitable ont ainsi pu être exportés depuis son lancement en janvier dernier.

En cela, les Émirats suivent les recommandations de l’OCDE qui rappelle un « devoir de diligence concernant les chaînes d’approvisionnement en or provenant de zones de conflit et à haut risque », ceci « de manière à s’assurer que le commerce de stocks d’or préexistants ne contrevient pas aux sanctions internationales ni ne permet le blanchiment de capitaux découlant de la vente de réserves d’or dans des zones de conflits ou à haut risque, ou lié à cette activité ».

Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls : la Suisse et la Grande-Bretagne utilisent également la blockchain pour lutter contre les trafics illégaux, garantir le respect des normes environnementales et les droits de l’Homme.

La London Bullion Market Association, l’association des professionnels du marché des métaux précieux à Londres, a ainsi lancé une procédure d’homologation d’entreprises afin d’assurer la traçabilité de l’or grâce à la technologie blockchain, et d’exclure le métal extrait illégalement. Des mines jusqu’à la joaillerie, ses 144 banques, courtiers et affineurs pourront contrôler l’authenticité des lingots grâce au Gold Bar Integrity Programme, « une avancée majeure dans la promotion de la transparence pour le bien commun de l’industrie aurifère ».

L’Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux met quant à elle en avant son militantisme « pour des solutions de certification de type blockchain » avec la société suisse aXedras,  estimant que « la traçabilité est un élément clé du système de compliance qui garantit l’excellence de la filière ».

Près de 70 % de l’or mondial est transformé dans les raffineries suisses. Afin de réduire les impacts sociaux et environnementaux du marché du lingot d’or, l’Université de Lausanne réfléchit à plusieurs outils de traçages : la blockchain, bien sûr, mais aussi le marquage optique ou physique avec un sceau d’encre aussi sécurisé que celui des passeports, voire même sa composition chimique.

Depuis 2005, les différents acteurs aurifères peuvent se placer sous l’égide du Conseil pour les pratiques responsables en bijouterie-joaillerie, qui assure au niveau mondial une chaîne d’approvisionnement responsable :

« Dans l’industrie de la bijouterie, nous savons à quel point les perturbations technologiques dans des domaines tels que la blockchain et l’IA sont devenues cruciales pour favoriser des pratiques d’approvisionnement éthiques, des chaînes d’approvisionnement durables et la transparence ».

 

Coup d’arrêt à la fuite de capitaux  

La traçabilité de l’or n’est pas seulement un enjeu de consommateurs, c’est également un enjeu de taille pour les pays producteurs qui perdent chaque année des centaines millions de dollars à cause de la contrebande.

Au Mali, les douanes « estiment à au moins 20 tonnes la production d’or artisanale qui quitte le pays annuellement, majoritairement en fraude ».

L’OCDE confirme également que la seule production d’or issue de l’exploitation artisanale et à petite échelle (EAPE) dans les régions du Mali, du Burkina Faso et du Niger représenterait un volume allant de 15 à 85 tonnes, probablement 50 tonnes annuelles, et que « la très grande majorité de cette production est exportée illégalement ». Le manque à gagner pour les États est affolant : « Plus de 4 milliards de dollars d’or issu de zones de conflits ou à hauts risques en Afrique centrale et de l’Est sont acheminés chaque année vers les marchés internationaux ».

La blockchain ouvre donc des opportunités capitales, dont l’enrichissement des États africains n’est pas la moindre. « L’or du sang » vit peut-être ses derniers instants.

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  • « Le manque à gagner pour les États est affolant « 
    Tout est dit: il s’agit d’une conspiration entre états pour tenter de nationaliser le marché de l’or et protéger leur fausse monnaie fiduciaire.
    Pour confisquer l’or non certifié « équitable » et le recycler vertueusement, pas besoin de blockchain, Roosevelt savait déjà le faire.

  • Lorsque l’on commence à parler de pertes pour l’absence de rentrées fiscales, on sent déjà qu’il y a un problème. C’est non l’esclavagisme dans les mines d’or (qui peut être pratiqué sans souci par les Etats), mais le contournement des droits de douane.
    Moi en lisant l’article, je me dis: et comment faire pour acheter de l’or non équitable ? On sent que ça va être interdit…

  • « La blockchain ouvre donc des opportunités capitales, dont l’enrichissement des États africains n’est pas la moindre. »
    Et l’enrichissement des Africains eux-mêmes ???

  • Les commentaires sont fermés.

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