“Juliette dans son bain” de Metin Arditi

Metin Arditi met en scène un mécène de la pire espèce. Son grand tort est d’être devenu riche grâce à une clairvoyance inédite dans les affaires.

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“Juliette dans son bain” de Metin Arditi

Publié le 31 janvier 2015
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Par Francis Richard.

FRLe don gêne celui qui le reçoit parce qu’il l’oblige et le responsabilise. Le donataire succombe souvent à la tentation de s’interroger sur les intentions du donateur… Il est évidemment beaucoup plus facile de recevoir quelque chose de la part de la société : elle est anonyme, elle n’est personne en particulier. Dans ce cas-là le don se transsubstantie en dû : c’est tellement plus commode…

Dans Juliette dans son bain, Metin Arditi met en scène un mécène de la pire espèce. Son grand tort en effet est d’être riche et de l’être devenu, semble-t-il, de prime abord, grâce à une clairvoyance inédite dans les affaires et une rapidité de mise à exécution des intuitions que les autres n’ont pas. De quoi exciter l’envie de ceux qui sont moins heureux dans leurs entreprises…

Ronny Kandiotis, quand il avait onze ans, était interne au très sélect institut lausannois Alderson. La responsable des petits, Madame Kowalski, surnommée Miss K, l’avait initié à la peinture moderne en l’emmenant au Musée cantonal. Aussi, une fois devenu riche, très riche même, dans l’immobilier notamment, s’est-il trouvé à même de faire collection de chefs-d’œuvre.

Parmi ses acquisitions il y a deux tableaux, portant le même titre, Juliette dans son bain, d’après le même modèle, Juliette Mény. L’un est de Picasso, peint pendant sa période cubiste, et date de 1912. L’autre est de Braque, revenu par exception à sa manière fauve, et date de 1913. La femme sur ce dernier tableau ressemble à une femme que Ronny a connue :

« Même expression, à la fois soumise et grave. Même ovale du visage. Même nez splendide, à peine busqué. Même bouche ronde et rouge, mêmes épaules, même poitrine. Même regard, surtout, sombre et digne. »

Ronny Kandiotis a décidé de faire don de ces deux toiles au musée des Arts du XXème siècle. Lui qui n’accorde jamais d’interview accepte d’être l’invité du journal télévisé en ce 11 mai 2000, veille de leur accrochage. Il souffre d’insuffisance cardiaque et doit être opéré huit jours plus tard pour le remplacement de sa valve aortique, compte tenu du risque qu’il encourt. C’est pourquoi il est essoufflé quand il se présente ce jour-là sur le plateau du 20 Heures.

Nonobstant, s’il a accepté de venir, c’est qu’il espère secrètement que la femme qu’il a connue verra combien elle ressemble à la femme peinte par Braque et, qui sait, qu’elle se souviendra de lui :

« Peut-être qu’à cet instant, elle est occupée à préparer le repas, se dit Ronny. Quelqu’un l’appelle : « Viens voir ce qu’ils montrent à la télévision ! On dirait toi ! » »

Le même jour, la fille de Ronny, Lara, après son cours de chant dispensé par Angelina Crespi, est enlevée dans la rue, à Paris, par trois hommes sortis d’une voiture, alors qu’elle se rend chez sa petite amie Myriam-Mai… Trois jours se passent avant que les ravisseurs ne se manifestent sous la forme d’une missive, adressée à la police, dans laquelle se trouve le passage suivant :

« Dans quelques jours, nous vous enverrons un texte, le premier d’une série de dix. Chacun d’eux relatera un épisode de la vie de Kandiotis. Ce dernier devra le dater et le signer, après y avoir écrit de sa main : « Telle est l’exacte vérité. » Puis, sans en changer une virgule, il le fera publier à l’échelle, sous quarante-huit heures, dans les pages du Monde, du Figaro, et de La Croix. »

La suite du roman est le récit des remous que provoque la publication dans la presse de la série des textes annoncés, des épisodes de la vie de Ronny qui y sont relatés et qui ne donnent pas une image flatteuse de lui, des investigations que mènent les policiers François Mattéi et Marie Longpré pour retrouver Lara et qui les amènent à fouiller dans le passé du milliardaire.

Au bout de quelques semaines, la presse, après avoir encensé le mécène généreux, s’en prend à l’homme riche, qui n’a pu le devenir que par des moyens détestables, tout en réprouvant le drame personnel qui le touche pour se donner bonne conscience.

Les bénéficiaires de la fondation Kandiotis refusent désormais de recevoir sa manne. Tout le monde, peu à peu, se détourne de Ronny qui n’a qu’une chose en tête le salut de Lara et en oublie les risques qu’il prend avec sa santé, en refusant de se faire opérer.

Un de ses proches collaborateurs, et ami, Paul Amato, avocat qui ne s’occupe plus que de ses affaires, avait dit très vite à Ronny, qui se demandait ce qu’il avait fait de faux : « Être riche, passe encore. Mais être riche, généreux et cultivé, c’est agaçant… » C’était prémonitoire.

Au terme du récit les auteurs du rapt sont démasqués. Et la vérité sur la vie personnelle et professionnelle de Rosny est dévoilée. Comme celle de tout être humain, elle est faite de zones d’ombres et de lumières. Pour ce qui concerne Ronny Kandiotis, un prêtre orthodoxe résume bien les choses :

« Lorsque le Seigneur nous dit qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’au riche d’entrer dans le royaume de Dieu, pensez-vous qu’il le condamne ? Il lui rend justice, au contraire. Il nous dit que sa tentation est à la mesure de ses biens matériels, et qu’il n’arrivera pas à lui résister, tant elle est immense. »


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