Discours sur la connaissance

La philosophie peut se réduire à deux domaines, la métaphysique et l’épistémologie.

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Platon, Aristote, Socrate credits mararie (licence creative commons)

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Discours sur la connaissance

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 novembre 2014
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Par Emmanuel Brunet Bommert.

Platon, Aristote, Socrate credits mararie (licence creative commons)

La philosophie n’est divisible qu’en deux domaines : la métaphysique1 d’un côté, qui s’attache à l’étude de la réalité et l’épistémologie2 de l’autre, qui formalise les méthodes que l’on peut en déduire et par là former les différents discours.

L’éthique, l’esthétique et la politique ne sont pas des domaines à part, au sein de la philosophie, mais des sous-domaines autant de la métaphysique que de l’épistémologie, dont ils tirent leurs assises et ne peuvent se passer pour fonctionner. Une variation, dans ces fondamentaux, conduirait mécaniquement à l’entière révision de leur étude. Alors qu’à l’inverse, une correction dans notre compréhension éthique, politique ou esthétique de notre environnement n’aura pas d’impact sur la métaphysique même, à moins d’avoir été justement causée par une erreur dans cette dernière.

Les mathématiques3 sont une part de la philosophie, du fait qu’elles n’ont trait qu’aux lois de la réalité et à elles seules. Par elles, nous disposons aujourd’hui de divers outils de « calcul » portant sur la manipulation des données fondamentales de notre univers tels que, par exemple, les quantités ou les positions. Dans une opération aussi élémentaire que « 2 x 2 = 4 », le chiffre 2 et le chiffre 4 sont des données de la réalité, métaphysiques, et les opérateurs « que multiplie » et « est égal à » sont des connecteurs formalisés, épistémologiques, que l’on a entièrement déduits des premières.

Toutes les règles mathématiques sont métaphysiques et toutes ses méthodes sont épistémologiques. C’est par ce fait, et par lui seulement, que l’usage de cette matière s’est autant généralisé aujourd’hui dans les sciences : non pas parce qu’elle se serait placé comme un outil de compréhension concurrent à la philosophie, que l’on aurait pu créer à notre service pour l’étude de notre monde, mais parce que ce sont les lois du monde.

Cependant, il n’en demeure pas moins que nos découvertes en ce domaine sont limitées par notre entendement : les sciences, les arts comme toutes les activités de notre intellect s’avèrent faillibles par ce que l’on ignore ou ce que l’on ne comprend pas. Si les mathématiques nous offrent une photographie des lois de l’univers, ce seront uniquement celles que nous parvenons à déchiffrer, ainsi que notre manière rudimentaire de les concevoir, qui pourront être ainsi dépeintes.

Puisque l’épistémologie représente un ensemble de méthodes, il n’est pas possible de s’entretenir de la « vérité », sans en recourir à ses services. Au même titre qu’il est impossible de discourir sans utiliser de cette même « vérité », telle qu’elle est découverte par ces méthodes. Aussi, l’épistémologie est non seulement nécessaire à la formation de nos discours sur le monde métaphysique, mais peut aussi s’étudier elle-même, en tant que discours distinct. Si les sciences sont filles de l’épistémologie et en appellent à son étude pour former leurs moyens, seule l’épistémologie peut avoir pour fonction de s’étudier elle-même, du fait qu’elle est l’étude incarnée.

Tous les intellectuels sont des épistémologues dès lors qu’ils forment ou amplifient des discours. Alors même que tous les discours s’appuieront, plus ou moins, sur la métaphysique elle-même. Par-là, nous pouvons affirmer que la « métaphysique », en tant que matière intellectuelle, est elle-même une part de l’épistémologie, dont l’objet de discours est alors la « métaphysique », en tant que concept. Pour nous, humains, la philosophie est toute entière contenue dans l’épistémologie, du fait que notre compréhension de l’univers dépend de ce que nous pouvons savoir sur lui.

La métaphysique, en tant que concept, est l’unité de l’ensemble des choses, de l’ensemble de l’être et de l’ensemble du monde. Pour être classée comme une « chose », il faut disposer de toutes les « propriétés d’une chose », au maximum. Pour être définissable comme un « être », il faut coïncider avec l’ensemble des « propriétés d’un être », au minimum. Alors que le « monde » doit correspondre exactement à la totalité des « propriétés du monde ».

Si nous connaissions la liste des propriétés d’au moins l’un de ces trois ensembles, nous pourrions, dès lors, aisément déterminer celles des deux autres. Cette organisation de l’univers, en catégories, est un outil très utilisé depuis l’aube des temps dans l’instruction et l’enseignement, notamment mathématique.

L’être, les choses et le Monde ont une « nature », c’est-à-dire une série de principes qui déterminent leur « fonctionnement », tant dans l’isolement que dans la communauté de leurs semblables ou lointains. Ces disparités permettent non seulement de spécifier dans quelle catégorie se classe chaque constituant de la réalité, mais autorise aussi la formation d’une infinité de nouvelles sous-catégories, plus précises, ainsi que les divers connecteurs qui relient ces éléments.

La relativité est l’un de ces connecteurs. « Relatif à » est un marqueur de « relation », qui signifie « qui est relié à ». Il détermine les propriétés que peut avoir un objet sur un autre : un élément isolé qui soutien son existence par lui-même et n’a aucune des espèces de relations, n’est pas relatif. Nous disons aujourd’hui du « temps » qu’il est relatif par rapport à « l’espace », car ce sont bien deux choses, deux concepts, qui soutiennent leur existence commune : l’un ne peut exister ou évoluer sans l’autre.

Monde, subjectivité, propriétés

Le Monde est un ensemble : il est toute la réalité. Il n’est pas une part de quoi que ce soit d’autre qui puisse lui être supérieur. Il soutien sa propre existence, par lui-même. En cela, on dit de lui qu’il est « absolu » et « objectif ». Tout ce qui se trouve à l’intérieur est obligatoirement « relatif à lui », à son existence. Puisque tout ce qui est au sein de la réalité partage au moins la propriété d’être réel, avec elle. Cependant, le fait que tous les éléments du Monde soient relatifs à celui-ci, n’implique en rien qu’ils le soient obligatoirement entre eux.

La subjectivité, qui classe les choses qui sont « subjectives à », un autre marqueur de relation, analogue au précédent, mais qui détermine quant à lui de quoi un objet est sujet. C’est un attribut de subordination, là où la relativité n’est qu’un attribut de relation. Un objet subjectif à un autre est aussi, et obligatoirement, relatif à lui4.

Comprendre cet état de fait est indispensable et primordial à la conception même de la réalité. Dans la proposition « le chien est bleu », « est bleu » implique une égalité. Ainsi, l’on peut dire que « le chien est égal à bleu », puisque le chien dispose effectivement de l’intégralité du principe de « bleu ». Néanmoins, telle égalité n’est pas totale : tout ce qui est bleu n’est pas un chien et tous les chiens ne sont pas bleus.

Nous nommons ce type de relation subjective une « propriété », au sens que le « bleu est une propriété du chien ». La propriété est subjective, au sens qu’il s’agit là d’une relation d’objet à sujet. La couleur se trouve en relation avec l’objet, elle est possédée par celui-ci et lui est subordonnée, comme un que caractère nécessaire à sa définition en tant qu’élément distinct des autres.
Un animal peut être grand, coloré, vif et intelligent, mais c’est l’ensemble de ces caractéristiques combinées à l’état spécifique de « chien » qui peuvent décider de cet être comme distinct de l’ensemble général de ses semblables. Par exemple, le chien nommé « Médor » = bleu + grand + vif + Husky + chien. Chacune de ces propriétés est, elle-même, décomposable en d’autres caractéristiques de plus en plus élémentaires. Ainsi, tous les êtres sont composés de choses plus simples, qui forment l’ensemble de leurs propriétés.

Un Homme peut être riche, fort et puissant. Il n’en demeure pas moins composé d’un foie, de deux reins, de deux poumons, d’un cœur, d’un cerveau, etc. Toutes ces propriétés biologiques, il les partages avec les autres représentants de son espèce. Il est aussi fait d’hydrogène qui est là encore une propriété, commune à l’ensemble des espèces vivantes. Ultimement, chaque être est décomposable en d’infimes particules, des choses si fondamentales qu’elles déterminent l’ensemble de toutes les autres, propriétés que l’on nommait « atome » dans l’antiquité, c’est à dire qui sont « insécable », au-delà duquel il n’y a plus que néant.

  1. Qui vient du Grec ancien « méta », ce qui est au-delà, après et « phusikè » la nature. Que l’on peut comprendre autant par ce qui est « au-dessus (et détermine) la nature » que par ce qui « encadre (et définit) la nature ». Aussi, la métaphysique est un mot qui représente simultanément un discours et l’objet de celui-ci. C’est le domaine de ce qui est au-dessus de la nature : la réalité.
  2.  Qui vient du Grec ancien « epistếmê lógos », le discours (au sens d’un exposé) sur la connaissance. Epistếmê est traductible en Latin, par « scientia », que l’on connait, à notre époque, sous le qualificatif moderne de « science ». La métaphysique est l’objet de l’épistémologie, au sens que cette dernière étudie et forme les discours qui ont trait à la première. On peut effectivement déduire qu’ultimement, la métaphysique est l’objet de toutes les sciences du fait qu’elles étudient toutes la réalité, sous au moins un de ses aspects. Nous pouvons dès lors affirmer que les sciences sont de l’épistémologie, et qu’elle-même est un « discours sur les discours ».
  3. Qui vient du Grec ancien « mathēmatikē », soit l’apprentissage, l’enseignement. Elle représente, aujourd’hui, une démarche visant à déterminer des relations entre les faits, numériques, par exemple. Alors qu’à une certaine époque du passé, elle formait un ensemble d’outils, nécessaires à l’enseignement de la métaphysique. Le « théorème de Thalès », par exemple, n’est pas qu’une simple mise en avant quant à une particularité dans les relations spatiales : c’est la formalisation, c’est à dire la traduction sous la forme d’un discours intelligible par l’Homme, d’un principe métaphysique. Il fut ainsi nommé par rapport à Thalès, le premier intellectuel à l’avoir formalisé, et qui fut finalement reconnue comme une « Loi », après quelques siècles d’une critique infructueuse quant à cette explication.
  4. Par exemple, la notion de « valeur » est une donnée subjective, du fait qu’elle est relative à l’Homme, en général et subordonnée à son esprit, en particulier.
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  • Je ne comprends pas pourquoi les mathématiques ont trait aux « lois de la réalité ». Au contraire, elles manipulent des objets définis par certains axiomes qui ont tous une part d’arbitraire. Du point de vue d’un mathématicien, l’exemple que vous donnez « 2 x 2 = 4 » ne sera vu que comme une égalité entre des ensembles définissant les nombres 2 et 4.
    Bien sûr, la définition des objets mathématiques s’inspire du monde dans lequel nous vivons, comme le dit par exemple H. Poincaré à propos de la géométrie : « On voit que si la géométrie n’est pas une science expérimentale, c’est une science née à propos de l’expérience, que nous avons créé l’espace qu’elle étudie, mais en l’adaptant au monde où nous vivons. ». Cependant, l’exigence de plus en plus accrue de rigueur a conduit les définitions à être de plus en plus précises à défaut d’être proches de la « réalité métaphysique ». Peut-on penser par exemple que la paradoxe de Banach-Tarski (http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Banach-Tarski) fait partie de la « réalité métaphysique » ? Alors qu’il découle des axiomes admis par la plupart des mathématiciens…

  • Pou résumer ce que des grands discours et grands mots ne peuvent expliquer en noyant le poisson derrière des concepts eux-mêmes abscons : « le point de vue humain est nécessairement subjectif ».

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