C’est Turgot qu’il nous faut !

Si, à l’évidence, Manuel Valls n’est pas Turgot, ne devrait-il pas toutefois s’inspirer du physiocrate ?

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C’est Turgot qu’il nous faut !

Publié le 7 septembre 2014
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Par Jean Sénié [*] et Louis Nayberg [**]

Turgot (Image libre de droits)« Sire, en sortant du cabinet de Votre Majesté encore tout plein du trouble où me jette l’immensité du fardeau qu’elle m’impose […], j’aurais désiré pouvoir lui développer les réflexions que me suggère la position où se trouvent les finances ; le temps ne me le permets pas, je me borne en ce moment à vous rappeler ces trois paroles : point de banqueroute, point d’augmentation d’impôt, point d’emprunt. »1 Par ces quelques mots Turgot dresse un programme politique simple et ambitieux pour sortir la France du gouffre  vers lequel elle penche. La situation politique et économique de l’époque, si elle n’a rien à voir avec celle du notre présent, n’en demeure pas moins riche d’enseignements.

Le retour de Turgot ?

Contrairement à Gaspard Koenig qui explique dans L’Opinion du 16 avril 2014 que « comme Turgot, Manuel Valls s’emploie tragiquement à rapiécer un monde qui s’effondre », il existe des différences fondamentales entre les deux hommes. Pour débuter par de simples évidences, l’un est un authentique libéral, un grand théoricien de l’économie politique et praticien de sa mise en œuvre2, tandis que l’autre peine à assumer son libéralisme au point de se demander s’il ne s’agit pas d’un simple pragmatisme gestionnaire, sans aucune vision.

De manière plus significative, le programme économique de Turgot vise à combattre les dirigismes économiques en promouvant la liberté économique3. La liberté totale du travail en est un bon exemple, lui qui voulait l’abolition des corvées. Lorsque Manuel Valls renonce à utiliser les ordonnances sur le travail du dimanche non pas dans un souci de dialogue démocratique accru mais dans un réflexe de reculade par rapport à l’opinion parlementaire de son parti, il apparaît clairement que les deux hommes ne cherchent pas la même chose et, plus généralement, qu’ils ne se situent pas sur le même plan. Par ailleurs, il faut ajouter que Turgot agissait souvent sans le soutien du roi, voire parfois contre son indécision chronique, alors que Manuel Valls est censé mener à bien une politique dont il aurait les moyens. On attend ainsi toujours que le Premier ministre dans un élan de courage ose prononcer des mots aussi véritablement révolutionnaire que « Il suffit évidemment que le gouvernement protège toujours la liberté naturelle que l’acheteur a d’acheter et le vendeur de vendre ».

Le domaine financier ne joue pas non plus en faveur de Manuel Valls et de son gouvernement dont on attend toujours une politique ambitieuse de réduction des dépenses. Une seule mesure de Turgot fait saisir l’ampleur de la différence entre les deux hommes : sa proposition de remplacer tous les impôts existants par un impôt unique, sans exception liée à un privilège4.

Ainsi Manuel Valls n’est pas Turgot, ni intellectuellement, ni économiquement, ni politiquement, ni même sur le plan de l’audace, qualité dont il aurait pourtant cruellement besoin lorsque l’on considère la situation politique actuelle. D’autant plus que, si les deux hommes n’ont rien à voir, les difficultés auxquelles ils sont confrontés ne sont pas sans revêtir une ampleur qui les rapproche.

Un échec à méditer

Si la comparaison n’est, un de plus, pas raison, en revanche Gaspard Koenig a entièrement raison lorsqu’il écrit qu’ils sont confrontés à une tâche qui excède leurs forces. Or l’histoire a montré que l’échec des réformes de Turgot, et par là même de la monarchie française à se réformer, lui a été fatale. En effet, celle-ci n’a plus, par la suite, renoué avec l’élan réformateur de l’ami de Vincent de Gournay. La « disgrâce de Turgot » (Edgar Faure5) s’avère lourde de conséquences et signale la fin de l’été indien de la monarchie française.

Bienheureux celui qui pourra prédire les effets qu’aura la politique de Manuel Valls sur la France. En revanche, il est possible d’avancer l’hypothèse qu’un échec dans la conduite des réformes signifierait un risque de décrochage quasi assuré de la France dans le concert des nations.

Si Turgot a échoué c’est en grande partie à cause des résistances qu’il a rencontrées. Les conséquences en sont connues. Si Manuel Valls n’est pas Turgot, il faut en revanche qu’il s’inspire du physiocrate, aussi bien de ses idées que de son histoire. Pour terminer sur une note triviale, on pourrait dire qu’il est plus que temps que Manuel Valls mette le Turgot.


[*] Jean Sénié est normalien, agrégé d’histoire, allocataire-moniteur à l’université Paris-Sorbonne.
[**] Louis Nayberg est ancien élève d’HEC, élève-avocat à l’EFB.

  1. Cité dans Cornette Joël, Histoire de la France. Absolutisme et Lumières 1652-1783, Paris, Hachette, 2008 (5ème éd. Revue et augmentée), p.197.
  2. Grenier Jean-Yves, Histoire de la pensée économique et politique de la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 2007, p. 223-232.
  3. Poirier Jean-Pierre, Turgot, Paris, Perrin, 1999, p. 282-296.
  4. Proposition que l’on retrouve, par exemple, dans la note de Rivaton Robin, Taxer mieux, gagner plus, Paris, Fondapol (en téléchargement libre ici).
  5. Faure Edgar, La disgrâce de Turgot : 12 mai 1776, Paris, Gallimard, coll. « Trente journées qui ont fait la France »,‎ 1961, 616 p.
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  • Ce serait une bonne idée 🙂

    Pour l’instant on suit plutôt la voie du Venezuela :

    http://www.economist.com/blogs/americasview/2014/09/venezuelas-economy

    L’économie va si mal que le gouvernement ne publie même plus les chiffres du PIB..Mais selon une fuite de la banque centrale du pays le PIB aurait chuté de 5% sur la 1ère moitié de l’année, c’est une catastrophe économique majeure, que nos médias en parlent si peu est vraiment de la trahison.

  • Avant d’affirmer le bien fondé d’une théorie, il faudrait peut être en décliner sa raison d’être.

  • Pour Marx, in Le livre IV du Capital ou la théorie sur la Plus Value, les physiocrates sont les premiers a vouloir comprendre l’économie de manière scientifique.

    Turgot voulait faire payer l’impôt à la noblesse. Il s’est fait évincer. La révolution a appliqué cette même imposition. Mais, la Noblesse est devenue libérale : contre l’état et l’impôt.

    La libéralisation du blé par Turgot comme la NEP par Lénine a conduit à des spéculations sur le blés. De la même manière que dans certains pays d’Afrique, cela génère des disettes et des famines. Comme pour Staline, on a accusé Louis XV d’avoir voulu affamer le peuple. La calomnie a perduré jusqu’après la révolution.

    Les libertés économiques, c’est à dire la liberté des propriétaires des moyens de productions, ne suffisent pour avoir une société stable. Il faut aussi la liberté des producteurs (esclave, travailleur, paysans, artisans, coolies, ingénieurs…etc), c’est à dire l’abolition du privé de la propriété des moyens de production. Adam Smith va à la préférence au gouvernement despotique contre le gouvernement de propriétaire d’esclave.

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