Produit brut : la victoire de J-B Say contre Keynes

Bien que le Keynes le futé ait pu temporairement enterrer le français Jean-Baptiste Say, ce dernier est de retour.

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Produit brut : la victoire de J-B Say contre Keynes

Publié le 15 août 2014
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Le gouvernement américain tient désormais en compte dans ses indicateurs économiques des données de l’offre (GO), autant que de la demande (PIB). Faut-il voir ici le triomphe posthume de l’économie de l’offre proposée par Jean-Baptiste Say sur celle de la demande de Keynes ?

Par Steve H. Hanke.
Un article du Cato Institute.

Adam Smith credits surfstyle (licence creative commons)
Adam Smith

À la fin d’avril dernier, le Bureau d’analyse économique (BEA) et le Département de commerce ont annoncé qu’ils commenceraient à calculer de nouvelles statistiques sur les comptes nationaux aux États-Unis. Après le produit intérieur brut (PIB), le BEA calculera aussi le produit brut (gross output ou GO). Cette annonce s’est faite sans tambour ni trompette et a été largement ignorée. C’est dommage, mais un tel oubli est commun dans la presse financière du pays. Surtout quand on comprend que le GO représente une avancée significative.

Une brève analyse de l’histoire de la pensée économique nous montre qu’il est très important. L’École classique s’étend de La richesse des nations d’Adam Smith (1776) jusqu’à environ la moitié du 19e siècle et se concentrait sur le côté de l’offre de l’économie. La production y était vue comme le tremplin de la prospérité. L’économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832) fut l’un des membres les plus estimés de l’École classique. À ce jour, il est mieux connu pour la loi de Say des marchés. Dans le langage populaire – gracieuseté de John Maynard Keynes –, la loi dit simplement que « l’offre crée sa propre demande ». Mais selon Steve Kates, un des plus grands experts mondiaux sur Say, l’interprétation par Keynes de la loi de Say change complètement le sens de cette dernière et coupe le cœur du message au montage.

L’enseignement de Say

Le message de Say était clair : une baisse importante de la demande ne pouvait pas causer de récession. Ce message fut accepté par à peu près tous les économistes influents avant la publication de la Théorie générale de Keynes en 1936. Avant ce livre, même si les économistes voyaient souvent l’apparition de cycles économiques, une baisse importante de la demande ne faisait pas partie des raisons d’un creux économique.

Keynes a chambardé les mentalités. Il a transformé Say en homme de paille, affirme Kates, afin que les idées de Say puissent disparaître du discours économique et de la mentalité populaire. Keynes a agi de la sorte parce que toute sa théorie repose sur l’analyse d’une baisse importante de la demande et sur sa prescription pour revigorer la demande agrégée, soit un plan de relance (lire : une baisse d’impôts et/ou une hausse des dépenses publiques).

Le succès de Keynes ne se dément pas. Avec la publication de sa Théorie générale, l’économie de l’offre a presque entièrement disparu. Elle a été remplacée par la demande agrégée, qui fut fidèlement calculée dans les comptes économiques nationaux. Par conséquent, la demande agrégée domine les politiques et le discours économique depuis ce temps.

Entre autres choses, Keynes a propulsé l’économie dans la sphère de la macroéconomie. C’est là que les agrégats économiques sont traités comme des variables homogènes pour fin d’analyse. Toutefois, un danger rôde autour de ces agrégats à l’air innocent. En effet, les analyses de Keynes nous ont limités à des agrégats du côté de la demande. Nous nous sommes ainsi retrouvés avec la taille de la consommation et des dépenses publiques agrégées, ignorant complètement la structure même de l’économie – le côté de l’offre.

Quelques garde-fous

Certes, il y avait quelques garde-fous contre cette négligence de l’offre. On peut citer les économistes de l’École autrichienne d’économie, tel que le Prix Nobel Friedrich Hayek. Il y avait également des inconditionnels de l’analyse intrant-extrant comme le Prix Nobel Wassily Leontief. Lui et ses partisans évitaient les grands agrégats économiques et se focalisaient plutôt sur la structure de l’économie. Il y avait également certaines branches de l’économie – dont l’économie agricole – qui regardaient la production et le côté de l’offre de l’économie. Aucun de ces champs n’a prétendu faire partie de la macroéconomie.

Ensuite vint la révolution de l’économie de l’offre dans les années 80, grâce à des personnes comme le Prix Nobel Robert Mundell. Cette révolution doit une fière chandelle au Wall Street Journal, où J.-B. Say y ressuscita tel un phénix. L’éditeur du Journal (maintenant décédé) Robert Bartley se rappelle de la centralité de Say dans son livre The Seven Fat Year : And How to Do It Again (1992). « Je me rappelle que Arthur Laffer m’incitait à connaitre la loi de Say. C’est ce en quoi je crois, confiait-il. C’est ce en quoi tu crois. »

Il est intéressant de mentionner que le massacre de Say par Keynes a été largement ignoré par plusieurs économistes qui tentaient d’anticiper le cours de l’économie. Pour eux, le côté de l’offre a toujours été minutieusement observé. Par exemple, les principaux indicateurs économiques du Conference Board pour l’économie des États-Unis concernent surtout le côté de l’offre. La fonction d’analyse de la chaîne d’approvisionnement (SPLC) de Bloomberg est un autre outil montrant ce à quoi les économistes pensent quand ils effectuent leurs analyses économiques et financières.

Mais quand on parle du débat public et des politiques publiques, rien ne vaut les données officielles. Jusqu’à maintenant, les données sur le PIB du côté de la demande produites par le gouvernement ont dominé le discours. Avec le GO, le PIB perd son monopole car le gouvernement des États-Unis va désormais offrir des données du côté de l’offre. Le GO complètera les données traditionnelles du PIB plutôt que de les supplanter. Cela dit, il améliorera notre compréhension des cycles économiques et aussi la qualité du discours sur les politiques économiques.

Alors, de quoi est composée la mesure conventionnelle du PIB et la nouvelle mesure du GO ? Qu’en est-il de la dépense domestique brute (GDE), une proche cousine plus détaillée du GO ? Voyez ici et ici une réponse (dans l’ordre des questions posées) à ces deux questions. Pour les personnes plus visuelles, voyez leurs composantes ici et ici (toujours dans l’ordre des questions posées) dans des diagrammes à barres.

C’est maintenant officiel : les données sur l’offre (GO) et la demande (PIB) sont maintenant compilées par le gouvernement des États-Unis. Comment s’est produite cette contre-révolution ? Plusieurs y ont participé, mais un seul se distingue : Mark Skousen de l’Université Chapman. Son livre, The Structure of Production, publié pour la première fois en 1990, sortait l’artillerie lourde pour défendre son plaidoyer. En effet, c’est Skousen qui est en partie responsable de cette volonté du gouvernement d’offrir un portrait plus clair et détaillé de l’économie avec le GO. C’est d’ailleurs lui le seul à calculer la GDE.

Ces changements sont gigantesques, conceptuellement et numériquement. En effet, le GO était 76,4% plus grand que le PIB et la GDE, 120,4%. Pourquoi ? Parce que le PIB ne calcule que la valeur des biens et services finaux dans l’économie. Le PIB ignore complètement les étapes intermédiaires requises pour produire le PIB. Le GO corrige la plupart de ces omissions, et la GDE pousse les choses encore plus loin en étant plus exhaustive que le GO.

Bien que le Keynes le futé ait pu temporairement enterrer Say, ce dernier est de retour. Ainsi, l’importance relative de la consommation et des dépenses publiques s’évanouit, tout comme celle des politiques budgétaires.

Contrairement à ce que les livres d’économie standards nous ont enseigné et ce que les commentateurs nous répètent ad nauseam, la consommation n’est pas l’éléphant dans la salle. Cet éléphant, c’est plutôt les dépenses des entreprises.


Traduction par Pierre-Guy Veer d’un article paru sur le site du Cato Institute intitulé « GO: J.M. Keynes Versus J.-B. Say ».

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  • Pour bien expliquer la loi de Say à vos interlocuteurs, notamment les retraités de la répartition et autres assistés sociaux, il convient de leur dire : « ce n’est pas parce que tu ne consommes pas que je ne peux (veux) pas vendre mes produits mais parce que tu ne travailles pas assez. »

    La consommation est conséquence de la production, jamais l’inverse, tant il est vrai qu’on ne peut détruire que ce qui a d’abord été créé.

    La dette publique peut tromper les esprits quelques décennies mais ce jour fatal où il faut payer l’addition finit par arriver. Et ce jour là, il faudra retourner bosser dur.

  • Merci à l’auteur de nous rappeler combien est stupidement réducteur l’analyse de l’économie au PIB. J’ignore comment seront interprétés les différents GO et GDE, mais je trouve la démarche US intéressante. Mais elle n’est pas exhaustive, restera encore les dimensions mal mesurées car peu ou pas du tout monétisées: la santé, la qualité de l’environnement … qui pourtant impactent et pèseront de plus en plus lourds sur les performances des économies.

    • Pour mesurer quoi que ce soit, il faut une unité de mesure, unité de compte en économie. Ce qui n’est pas monétisé est par définition non mesurable. Après, on peut toujours établir des jugements de valeur arbitraires sur la santé ou l’environnement mais ce ne sont pas des mesures de la valeur.

      • Excellente remarque, c’est pourquoi , en autre, que fut créé le marché des compensations CO2, avec l’échec de cette initiative. Ce qui montre qu’il manque quelque chose pour permettre une allocation des ressources pleinement performante et rationnelle, ce qui est l’objet même de l’économie de marché.
        Mon point de vue est que la préférence pour le présent est tellement forte, que le futur est dévalorisé. Ce qui rend improbable la réussite d’une monétarisation de l’environnement ou de la santé. Alors que faire? Attendre? Il semble que tous les gouvernements sérieux finissent pas prendre conscience du problème et donc font ce qu’ils savent faire: légiférer. Ainsi le tabac, exemple typique de la difficulté pour l’être humain d’arbitrer correctement entre le présent (le plaisir de la cigarette) et le futur lointain (le cancer). etc….dommage pour la liberté d’entreprendre…

        • Un gouvernement sérieux, ça n’existe pas. Les gouvernants sont des être humains comme les autres. Ils possèdent donc les mêmes défauts que vous observez pour le reste de l’humanité. Attendre l’homme providentiel, croire au surhomme, est une impasse logique, dont une issue heureuse vient par hasard une fois tous les 500 ans (et encore). Il va falloir trouver autre chose pour survivre d’ici là. Dommage pour l’étatisme et le collectivisme…

          Une fois épuisé les fausses solutions collectivistes, il ne reste que la liberté d’entreprendre, avec l’accumulation de ses échecs et réussites, par essais successifs, comme seule solution praticable au service de tous.

  • Je ne comprends pas très bien cet article. Plusieurs choses sont sous-entendues pour l’auteur mais ne me paraissent pas évidentes.

    Comment est définie cette chose nommée GO ?
    Comment est définie la demande ?
    Comment est définie l’offre ?
    En quoi le PIB mesure-t-il la demande ?
    En quoi le GO mesure-t-il l’offre ?
    Les notions d’offre et de demande ont-elles vraiment un sens reconnu ou n’ont-elles un sens que dans le cadre de l’économie keynésienne ?

  • Quel rapport entre PIB et demande? Même si l’opposition demande offre n’a aucun sens il est toujours bon de rappeler qu les par tisant de l’offre sont favorable à une amélioration de l’offre par l’investissement et les autres un soutiens de la demande par la consommation. Essaye de faire croire que la demande ou que l’offre joue un rôle mineur dans la dynamique économique n’a aucun sens. Lorsque l’on reconstruit après une guerre c’est bien la DEMANDE qui supérieur à l’offre et qui stimule le marché. De toutes les façons croire que la demande ne stimule pas l’offre c’est vivre en dehors de toutes bases économique sérieuse et l’inverse est aussi vrai. Le prix est une information sur le marché en soit, lorsque l’on a pas compris ça on a rien compris.

  • Tout n’est pas très clair dans mon esprit. Une définition du PIB, outre le C + I + G + X – M, est la somme des VA (valeur ajoutée). Mais si je ne m’abuse, la valeur ajoutée est la différence entre la valeur finale et les consommations intermédiaires. D’où ma question : ces consommations intermédiaires n’ont-elles pas la même chose le « II » (intermediate inputs) du GO ?
    Merci à celui qui m’éclairera !

    • Avec l’approche de Hanke, on est effectivement plus proche de la somme des chiffres d’affaires que de la somme des valeurs ajoutées. De mémoire, l’INSEE publie des séries « production » pour la France, avec déclinaison par secteurs économiques, mais pas de détail fin pour les consommations intermédiaires. Le total des « productions » de l’INSEE est, toujours de mémoire, d’environ 3600 milliards pour un PIB à 2100 milliards, soit un écart d’un peu plus de 70% entre les deux statistiques. L’article précise que le GO de Hanke est « 76,4% plus grand que le PIB ». Il est possible que ces statistiques différentes décrivent les mêmes grandeurs. Il faudrait creuser la question.

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