Venezuela : Un socialisme tout petit petit

Un an après le décès d’Hugo Chávez, le chavisme n’inspire plus personne. Les dirigeants des pays voisins regardent le Venezuela comme une sorte de contre-modèle à ne pas copier

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Venezuela : Un socialisme tout petit petit

Publié le 2 mai 2014
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Par Fabio Rafael Fiallo

 

Parmi les films qui ont marqué le dernier quart du XXe siècle se trouve Un bourgeois tout petit petit de l’Italien Mario Monicelli, dans lequel l’acteur Alberto Sordi interprète le personnage principal : un bureaucrate sans éclat arrivé à l’âge de la retraite.

L’une des premières scènes du film dépeint le cocktail de départ organisé en honneur du fonctionnaire, au cours duquel il prend la parole. Or, voilà qu’après une ou deux phrases, les collègues commencent à partir, indifférents à sa péroraison.

bourgeoisSa vie privée n’a rien d’enthousiasmante. Le fils est tué dans la rue par une balle perdue, mais le spectateur (en tout cas cet auteur) est amené à se demander si des fois il ne s’agit pas d’une hallucination du père, réticent à admettre la réalité : le fiston a tout simplement fui le foyer afin de s’émanciper. Quoi qu’il en soit, le père se met à la recherche du coupable du supposé meurtre. Quant à l’épouse, elle est devenue muette du fait de n’avoir jamais été prise en compte dans les décisions concernant la vie du foyer.

À la fin du film on voit le retraité assis sur le banc d’un parc, balbutiant des vétilles dans le but de faire conversation à des jeunes mères qui promènent leurs enfants sans lui prêter attention.

Histoire triste et drôle à la fois qui, comme on le verra ci-dessous, présente une prémonitoire similarité avec celle du « socialisme du XXIe siècle » instauré au Venezuela voici 15 ans par le commandant Hugo Chávez.

Commençons par un événement qui rappelle le cocktail de départ du film, à savoir : la cérémonie autour du premier anniversaire de la mort de Chávez.

Dans celle-ci brillèrent par leur absence plusieurs chefs d’État politiquement proches de Chávez. Ce fut le cas de Dilma Rousseff (Brésil), Cristina Fernández de Kirchner (Argentine) et Rafael Correa (Équateur). Pour sa part, le président du Nicaragua, Daniel Ortega, bien qu’ayant fait le voyage au Venezuela, s’abstint de prendre part au défilé organisé à cette occasion.

Pourquoi un tel désintérêt semblable à celui des collègues du bureaucrate du film ? Eh bien, tout simplement parce que le chavisme n’inspire plus personne – d’autant que, d’après les estimations pour 2014 de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, organe régional des Nations Unies, le Venezuela sera le seul pays du continent en récession.

Ainsi, voyant comment le contrôle des changes a conduit le Venezuela à une pénurie de devises et à une inflation annuelle de 57%, Rafael Correa a maintenu la dollarisation de l’économie équatorienne en dépit d’avoir précédemment promis de l’abolir. Voyant comment le gouvernement vénézuélien doit payer des intérêts exorbitants pour les obligations d’État, le président de la Bolivie, Evo Morales, a choisi de financer la dépense publique par le biais des impôts. Voyant comment les expropriations ont entraîné la paralysie du secteur productif du Venezuela, Daniel Ortega a ouvert l’économie du Nicaragua aux investissements étrangers.

Certes, ces dirigeants continuent à être des alliés, voire des complices, du gouvernement vénézuélien. Non seulement parce qu’ils reçoivent des pétrodollars du Venezuela à des termes avantageux, mais aussi parce qu’ils partagent avec Caracas la même rhétorique anti-USA, la même tendance à harceler l’opposition et la presse indépendante et le même désir de se perpétuer au pouvoir par des moyens inavouables. Mais pour ce qui est du domaine économique, ils regardent le Venezuela comme une sorte de contre-modèle à ne pas copier.

En Amérique latine, vanter le « socialisme du XXIe siècle » n’aide plus à gagner des élections. Cela a été compris par l’actuel président du Pérou, Ollanta Humala, qui pour sortir vainqueur de la campagne électorale de 2011 se démarqua de Chávez. À l’inverse, lors des élections présidentielles au Costa Rica cette année, le candidat perçu comme partisan du modèle vénézuélien, José María Villalta, arriva en 3ème position avec seulement 17% des voix.

D’autre part, à l’instar du fils du bureaucrate du film qui disparut par mort ou émancipation, la jeunesse du Venezuela s’émancipe du chavisme et manifeste massivement dans les rues, payant pour cela un tribut qui se compte en centaines de détenus et de blessés et en dizaines de morts et de torturés.

Et à l’instar du bureaucrate du film qui partit à la recherche du coupable de la mort supposée de son fils, le régime vénézuélien cherche un coupable pour expliquer le désamour de la jeunesse, le trouvant dans des conspirations orchestrées par l’« empire » américain – sans jamais apporter la moindre preuve de ces accusations.

Pour leur part, les forces militaires et paramilitaires du Venezuela ne peuvent pas exprimer des objections aux méthodes musclées que le gouvernent leur impose d’employer contre les manifestants. Comme l’épouse du fonctionnaire du film, ils n’ont qu’à la boucler. Pour contredire la norme, 30 officiers ont été accusés de « conspiration », et plus de 15 de « désobéissance », rien que dans les deux derniers mois.

Finalement, de même que le fonctionnaire du film passe ses vieux jours tenant des propos saugrenus dans un parc, ainsi le « socialisme du XXIe siècle » entame sa phase de déclin dirigé par quelqu’un, le président Nicolás Maduro, qui cultive les annonces décousues.

On le voit créer un biscornu Ministère du Bonheur Suprême. Lancer un comminatoire « Accouchez ! » à l’adresse des femmes vénézuéliennes. Expulser des fonctionnaires de l’ambassade de l’« empire » et aussitôt proposer à ce même « empire » de restaurer les relations bilatérales au niveau d’ambassadeurs. Plaider pour un dialogue avec l’opposition et ensuite exiger à cette opposition de ne pas réclamer que ledit dialogue « produise des résultats ».

Toutefois, en dépit de toutes ces similarités entre le bureaucrate du film et le socialisme vénézuélien, il existe entre eux une différence fondamentale : le premier n’aura eu aucun impact sur ce monde, tandis que le socialisme vénézuélien laissera une trace lamentable en termes de déroutes économiques et de révoltes réprimées.


Une version espagnole de cet article a été publiée dans www.diariodecuba.com.

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  • « À la fin du film on voit le retraité assis sur le banc d’un parc, balbutiant des vétilles dans le but de faire conversation à des jeunes mères qui promènent leurs enfants sans lui prêter attention. »

    Donc, Cuba est l’avenir du Venezuéla. Réjouissant 🙁

    • Pas sûr que les vénézuéliens acceptent ça, en tout cas espérons qu’ils se bougeront.
      Et puis même ans ça le pays s’écroule de lui-même, on prévoit une récession d’1,5% cette année, pour un pays qui a une population jeune, en forte augmentation et avec de grosses réserves de pétrole ça fait mal, très mal. La montée du chômage et l’inflation méga élevée finiront forcément par mettre de plus en plus de gens à bout, même les plus pauvres qui ont jusque là soutenu ce régime. Combien de temps avant que ces pauvres ne se rebellent quand ils verront que leur pouvoir d’achat s’écroule dû à l’inflation ? Comment réagira la jeunesse qui s’apercevra qu’elle n’a pas d’avenir ?

      • Le pouvoir expliquera aux pauvres que c’est la faute aux méchants Américains et capitalistes apatrides si leur porte-monnaie et leurs frigos sont vides. Ils pointeront du doigt des entrepreneurs et les livreront à la vindicte populaire comme jadis la crise des assignats s’acheva par des massacres de commerçants donnés en pature par le pouvoir pour se dédouaner de ses échecs.

        • Probable vu ce gouvernement, mais tu admettras que ça n’a aucune chance de changer les choses :p
          En Novembre avant les élections ils ont déjà fait ça, baissant de force les prix de 70% et gagnant en popularité mais de nombreux magasins ont de fait coulé et la pénurie s’est aggravée fortement.
          A un moment donné il n’y aura plus de bouc émissaire et de plus en plus verront la réalité, sans oublier qu’il peut y avoir des dissensions au sein du gouvernement ou même de l’armée, car tout le monde n’est pas aveugle. Bref, ça pourra pas durer indéfiniment, au mieux quelques années.

        • « Le pouvoir expliquera aux pauvres que c’est la faute aux méchants Américains et capitalistes apatrides si leur porte-monnaie et leurs frigos sont vides. Ils pointeront du doigt des entrepreneurs et les livreront à la vindicte populaire comme jadis la crise des assignats s’acheva par des massacres de commerçants donnés en pature par le pouvoir pour se dédouaner de ses échecs. »

          Comme en France quoi…

  • La Colombie, le Mexique et le Pérou ont compris qu’elle était la voie à emprunter : ouverture au libéralisme et au libre-échange ainsi que le respect des règles démocratiques. C’est pourquoi leur économie marche si bien.
    L’économie mexicaine était un peu à la traîne du continent ces dernières années mais depuis que leur président réformateur Enrique Pena Nieto est arrivé au pouvoir les investisseurs et la population ont gagné en confiance et l’économie a ànouveau un avenir radieux.
    Le Vénézuela de Chavez aura été une excellente chose, montrant absolument à l’Amérique Latine la voie à ne pas prendre, cela permettra un bel avenir à cette région émergente.

  • Chavez a fait reculer son pays d’une génération (au minimum) une « expérience » de plus à inscrire au tableau d’infamie du socialisme.

  • Merci pour votre excellent article et le parfait résumé du rôle de tous les acteurs de ce désastre de révolution…… J’espère que ça ouvrira les yeux à tous ses…..qui osent encore dire Viva Chavez, quand on leur dit qu’on est vénézuéliens. Savez que Chavez est le plus grand traitre de l’histoire de mon pays, et non pas Viva, Chavez est MORT et il brule en enfer!

    • Oui, enfin un article qui dépeint bien ce qui se passe! Il est déjà en enfer l’autre…je pensais qu’il pourrissait encore dans son coffre…bin il etait temps. Il sera bientôt rejoint par plusieurs membres du gouvernement qui ont une santé bien précaire….

  • Avant un tel article attirait un tas de collectivistes façon les oiseaux d’Hitchcock, prêts à défendre le paradis socialiste Vénézuélien contre la turbo engeance libérale.

    Ils ont tous disparus… 🙂

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