« Aux sources du libéralisme » avec Alain Laurent et Olivier Meuwly

Dans le cadre historique et somptueux de la Société de Lecture de  Genève, l’Institut Libéral recevait mercredi dernier deux historiens des idées libérales : Alain Laurent et Olivier Meuwly.

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Alain Laurent (Crédits : Alain Laurent, tous droits réservés)

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« Aux sources du libéralisme » avec Alain Laurent et Olivier Meuwly

Publié le 2 octobre 2013
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Alain Laurent est philosophe, directeur de la collection « Bibliothèque classique de la liberté » et de la collection des « Penseurs de la liberté » aux Belles Lettres et auteur de l’anthologie Les penseurs libéraux. Olivier Meuwly est historien, auteur de nombreux ouvrages, chargé de cours à l’Université de Genève, chroniqueur au Temps.

Alain Laurent est ému de parler du libéralisme en ce lieu, proche de ces lieux mythiques pour les libéraux que sont le Château de Coppet et le Mont-Pèlerin, qui a donné son nom à la société fondée par Friedrich Hayek.

Alain Laurent remonte aux sources du libéralisme pour démonter les cinq fables que racontent ses détracteurs.

1) Nous assisterions au triomphe du libéralisme, alors qu’il y a toujours plus de réglementations et toujours plus d’État (en France les dépenses publiques représentent 57% du PIB).

2) Le libéralisme serait à l’origine de la crise, alors que l’État-providence en est le responsable en ayant donné l’accès à la propriété à des personnes insolvables et que la crise se poursuit en raison d’endettements publics faramineux.

3) Il y aurait un néolibéralisme, qui serait en rupture avec le libéralisme des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, celui des Turgot, Tocqueville, Bastiat, Constant. Or, il n’en est rien. Hayek, Mises, Friedman se sont inspirés des libéraux fondateurs qui, comme eux, défendaient la souveraineté individuelle, le caractère intangible de la propriété, la liberté d’échanger etc. Ils n’ont fait que l’adapter au contexte nouveau.

4) Il y aurait même, quelle horreur, un ultra-libéralisme, que dénoncent pêle-mêle les sociologues, les économistes, les socialistes etc. En employant le préfixe ultra, oubliant qu’il signifie au-delà (c’est l’étymologie d’outre-mer), ils entendent dénoncer le caractère excessif du libéralisme contemporain qui prônerait, en opposition aux fondateurs, la liberté de la concurrence et la liberté du travail. Or, leurs textes à l’appui, tous les libéraux fondateurs en sont les défenseurs…

5) Il y aurait un bon libéralisme, le libéralisme politique, et un mauvais, le libéralisme économique. Or, les deux libertés, en économie et en politique, sont indissociables. Elles sont toutes deux issues de la liberté individuelle et présentes dans les écrits des fondateurs. L’État ne doit pas intervenir dans l’économie ; c’est indispensable pour que la liberté individuelle et, en conséquence, la liberté politique puissent exister. Dans une démocratie libérale, il s’agit de réduire au maximum les occasions pour la tyrannie de la majorité de s’exercer.

En conclusion, Alain Laurent souligne que les auteurs libéraux du XXe siècle et du début du XXIe sont bien dans la lignée de ceux qui les ont précédés au XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles et qu’il n’y a pas discontinuité entre eux.

Alain Laurent exclut toutefois de la famille libérale un auteur, considéré à tort comme tel, et qui ne figure d’ailleurs pas dans son anthologie. Il s’agit de John Rawls, qui a usurpé ce qualificatif pour avoir écrit, dans Théorie de la justice, qu’un individu n’est jamais propriétaire de ses dons et de ses qualités et que la société est en droit de lui demander des comptes et d’en disposer comme elle veut…

Qu’en est-il des penseurs libéraux en Suisse romande ?

Olivier Meuwly constate qu’il n’y a pas de théoriciens professionnels libéraux en Suisse romande. Aussi est-il nécessaire de reconstituer le puzzle de leur pensée dans leurs écrits parus dans la presse, ou dans leurs interventions dans les parlements.

Ce sont donc des penseurs marqués par le goût de la pratique et bien souvent des juristes, pragmatiques et confrontés au réel. Antoine-Elisée Cherbuliez, Genevois aujourd’hui tombé dans l’oubli, est un représentant typique de ces penseurs, dont les réflexions sont éparses.

Le canton de Neuchâtel ne rompt complètement avec la monarchie prussienne qu’en 1848. Les cantons de Fribourg et du Valais sont longtemps soumis au pouvoir religieux. Restent les cantons de Genève et de Vaud, qui ne s’est libéré de l’assujetissement bernois qu’en 1798.

Dans le canton de Genève les principes libéraux cohabitent avec les principes conservateurs ; c’est le cas d’un Cherbuliez. Dans le canton de Vaud l’obsession est d’être discret pour ne pas indisposer la Diète…

Que pense-t-on de Jean-Jacques Rousseau dans le courant libéral ? Il est plébiscité comme éducateur… et banni comme auteur du Contrat social.

Quelles sont les figures de ce courant ? Olivier Meuwly cite Frédéric-César de La Harpe qui a été précepteur du futur tsar Alexandre 1er, à qui il a enseigné les principes libéraux, et qui a dénoncé le despotisme bernois.

Après avoir participé au groupe de Coppet, Jean de Sismondi s’est éloigné du libéralisme économique de Ricardo et de Smith, convaincu qu’une redistribution des richesses est nécessaire.

Étienne Dumont, qui a été en relation avec Mirabeau, s’est lié, pendant ses années passées en Angleterre, avec Jeremy Bentham, dont il s’est inspiré pour le code pénal genevois.

Pellegrino Rossi, qui a fréquenté les salons de Madame de Staël à Coppet, est à la fois partisan d’une Suisse plus unie et fédéraliste. Les libéraux sont en effet, au début, plutôt centralisateurs…

Certains libéraux romands ont fréquenté les salons de Coppet. D’autres, sans les avoir fréquentés, ont été influencés par leurs membres. Ainsi La Harpe, qui adhérait aux principes de Jean-Baptiste Say, a-t-il annoté des livres de Benjamin Constant, dont il s’est inspiré pour ses interventions publiques.

Le libéralisme vaudois (dans le canton de Vaud tout le monde, ou presque, est protestant) s’inscrit dans la liberté de culte avec Charles Monnard, disciple de La Harpe, et avec son ami Alexandre Vinet, ce qui leur vaut à tous deux bien des avanies.

Quand le mouvement radical émerge, il est le réceptacle de plusieurs courants, dont le courant libéral, et de multiples traditions. C’est ainsi que Louis-Henri Delarageaz, ami de Pierre-Joseph Proudhon, entretiendra avec lui une correspondance et que Charles Secrétan se fera le défenseur de la conservation du paysage et du patrimoine. Les radicaux se rejoignent sur la nécessité d’un État fédéral, sur la souveraineté populaire et sur le rôle de l’État, qui, comme le dit Numa Droz (qui sera Conseiller fédéral pendant des années), doit être « un veilleur de nuit ». Ce sont des pragmatiques, favorables à un libéralisme étatique, mais leur pragmatisme va malheureusement devenir de plus en plus une fin en soi et tarir leurs réflexions.

À l’issue de ces deux conférences, après avoir remercié les deux orateurs de la soirée, Pierre Bessard, directeur de l’Institut Libéral, rappelle que le rôle de l’institut n’est pas de jouer un rôle politique, mais d’insuffler les idées libérales dans ce qui existe.

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  • Pas tellement d’accord sur Rawls. C’est un utilitariste libéral au même titre que les autres. Il n’y a pas à l’exclure sous prétexte qu’il a tenu des propos s’écartant des Classiques. On pourrait tout aussi bien fouiller dans les écrits de Smith et en conclure qu’il n’est pas libéral.

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