Comment l’Asie devient le centre du monde

La mondialisation tourne à l’avantage de l’Asie. Faut-il s’en inquiéter ?

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Comment l’Asie devient le centre du monde

Publié le 9 août 2013
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La mondialisation tourne à l’avantage de l’Asie. Faut-il s’en inquiéter ?

Par Fang Shuo, depuis Shanghai, Chine.

D’après les prévisions du FMI, la croissance économique des différents pays d’Asie [1] fera de cette aire géographique la région la plus dynamique du monde au cours des cinq prochaines années (au moins).


Peu d’entre nous en sont conscients : l’Asie, qui était déjà la zone géographique créant le plus de richesse en 2012 avec 34,6% du PIB mondial [2], loin devant les Amériques réunies (Nord et Sud, 29,3% à elles deux) et l’Europe (bonne troisième avec 24,7% seulement), devrait continuer de croître à un rythme supérieur à ses deux concurrentes.

Sa position centrale dans l’économie mondiale se verra ainsi renforcée, avec un PIB régional représentant plus de 38% du PIB mondial dès 2017. Le graphique ci-dessous montre l’évolution prévue de la part des plus grandes économies dans le PIB mondial entre 2012 et 2017.

En raison de leur croissances plus lentes, l’Amérique et l’Europe perdent petit-à-petit des parts de marché dans la production globale de richesse.

Attention : ce graphique ne signifie pas que les économies européennes et américaines vont se contracter, mais seulement que leurs croissances seront plus faibles que celle des économies asiatiques. En effet, la croissance attendue pour cette période et pour ces économies reste positive (cf. infra).

Le graphique ci-contre compare ainsi les PIB des deux premières économies mondiales, la Chine et les États-Unis, avec celui de la Zone euro (regroupant 17 pays). Pour la comparaison, les PIB sont exprimés en milliers de milliards de dollar international, une monnaie théorique incluant la variation de valeur des monnaies entre elles, et à parité de pouvoir d’achat : ils représentent ainsi moins le taux réel de croissance des économies que leur croissance relative les unes par rapport aux autres.

On voit que la Chine, première économie asiatique par la taille depuis qu’elle a dépassé le Japon en 2010, et véritable moteur de la région, devrait également dépasser les États-Unis vers 2017. Son taux de croissance annuel moyen (TCAM) sur la période est en effet de 10,3%, soit plus du double de celui des États-Unis et du triple de celui de l’Eurozone.

Les raisons de cette croissance effrénée sont multiples : une partie du pays est encore largement sous-développée, la population est immense, le pouvoir politique a fait de la croissance une de ses priorités et bénéficie de processus de décision non-démocratiques mais très efficaces. Bien sûr, tout ceci à un coût non négligeable, tant politique qu’environnemental, que nous ne discuterons pas ici.

Remarque : que ceux que le chiffre de 10,3% par an surprend relisent les trois paragraphes ci-dessus : ce taux n’est pas celui de la croissance nominale que connaîtra l’économie chinoise jusqu’en 2017, mais bien celui de la croissance d’un PIB exprimé en PPP. Il est en effet logique de penser qu’avec la croissance de l’économie chinoise, la monnaie de ce pays, le RenMinBi (RMB), va également continuer de s’apprécier, comme elle l’a fait depuis plusieurs années, amplifiant ainsi le phénomène de richesse relative par rapport aux autres économies.

En dehors de la Chine…

Véritable moteur de la croissance asiatique tant par la taille prépondérante de son économique que par son dynamisme (le Japon, en comparaison, a un PIB de taille comparable, mais en stagnation : -0,7% en 2011), l’Asie compte encore de nombreux pays aux économies en croissance. Le tableau ci-dessous, réalisé par mes soins toujours d’après les prévisions du FMI, présente un classement des pays en fonction de leur part dans le PIB mondial en 2012 et en 2017.

À la lecture de ce tableaux on peut faire deux remarques principales :

  • La plupart des pays qui gagnent les places dans ce classement sont situés en Asie (Chine, Corée, Indonésie, Taiwan, Thaïlande, Malaisie, etc.).
  • La plupart des pays européens stagnent (Allemagne, France) ou reculent (Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique), souvent de plusieurs places.

L’économie mondiale devient donc bien de plus en plus asiatique.

Eh non, le centre du monde n’est plus en Europe depuis déjà un bon moment

Et surtout, il n’est plus non plus aux États-Unis. Cela peut paraître évident aux non-européens qui ont la bonté de me lire, mais ça l’est nettement moins pour beaucoup d’entre nous en Europe, et en particulier en France. Il est vrai que nous avons tous tendance, en tant qu’homme autant que comme pays, à nous considérer comme le véritable et unique centre du monde. Cela ne saurait pourtant être logiquement vrai que pour un seul d’entre nous à la fois. Chacun son tour, donc. Et Européens, disons-nous le bien, au prix d’un petit vertige intellectuel : à présent, l’exception, c’est nous.

Et ce constat ne saurait alimenter de trop sombres pensées. Il n’est en effet que le reflet d’un équilibrage économique mondial, également appelé « mondialisation », qui ne signifie rien d’autre que l’élévation du niveau de vie de populations nombreuses et jusqu’alors misérables.

Déséquilibres et ré-équilibrage mondiaux

En effet, non seulement 18,5% des hommes d’aujourd’hui sont de nationalité chinoise (soit presque un homme sur cinq) et 17% de nationalité indienne (1 sur 6), mais au total ce sont pas moins de 4,3 milliards de personnes qui vivent en Asie, soit 60% de la population mondiale. Rapportée aux 34,6% du PIB mondial, on peut bien noter une forme « d’inégalité » numérique telle que les aiment les Français.

Nous pouvons toujours nous rassurer en rapportant ces richesses nouvelles et énormes aux populations encore plus gigantesques entre lesquelles elles se répartissent (assez mal, d’ailleurs). De ce point de vue là, l’Europe reste bien un îlot de prospérité (il serait d’ailleurs bon de se demander quand et comment elle l’est devenu). Mais si l’Europe occidentale est moins inégalitaire à l’intérieur de ses murs que toute autre région du monde, ce n’est que pour mieux se distinguer du reste du globe. En effet, avec seulement 7% de la population mondiale, nous produisions et consommons en Europe en 2012 presque 25% du PIB mondial !

Prédire l’avenir est facile

Ce gigantesque déséquilibre doit nous servir de clef pour comprendre l’avenir proche : oui, sans aucun doute, un rééquilibrage est en cours, qui verra notre richesse relative diminuer par rapport à celles des pays dits émergents. Oui, nous sommes déjà en train de nous appauvrir (car toute richesse est relative à celle d’autrui).

Et nous ne pouvons décemment que nous en réjouir, avec humanité, car cela signifie l’accession d’un très grand nombre à l’abondance matérielle qui nous était jusqu’alors réservée. Même si le prix en sera la fin d’un mode de vie qui profitait de ce désavantage, en vivant au-dessous de ses moyens grâce, entre autres, aux délocalisations et à la dette : le nôtre.

De la même façon, les entreprises, les produits et les goûts asiatiques seront de plus en plus présents dans tous les aspects de notre vie. C’est un phénomène largement observable depuis plusieurs décennies : le mode d’emploi des aspirateurs, la majorité des composants de nos ordinateurs et téléphones, un nombre croissance de livres dans nos bibliothèques (Murakami, le Nobel MoYan, les mangas) et jusqu’au contenu des Ipods (on pense bien sûr à Gangnam Style et la Kpop) et des bus de touristes dans nos capitales ne viennent-ils pas d’Asie ?

La question est ainsi posée de notre propre position dans ce monde, de notre propre vision de nous-même, et de nos ambitions, notamment européennes

En termes géopolitique par exemple, le fait d’avoir été le premier du monde à décapiter républicainement son souverain (et écrire une déclaration des droits de l’homme) pourra-t-il encore longtemps nous garantir une place dans des institutions internationales ou des pays plus grands et bientôt plus riches qui n’ont pas encore droit de cité ?

Surtout, la question se pose de ce que nous, Européens, avons à offrir au monde. Une conséquence bien connue de la mondialisation est en effet l’uniformisation progressive des modes de vie selon le modèle dominant et par le biais de l’économie. Ainsi le mode de vie occidental (et plus précisément américain) a-t-il largement façonné la nouvelle modernité des pays dits « en développement ». Les iPhones par exemple, modèle de smartphone conçu aux États-Unis et vendu par centaines de millions dans le monde entier, ne sont-ils pas les mêmes en tous points du globe ? Ne contribuent-ils pas fatalement à standardiser la façon de communiquer et de consommer de l’information à la surface de la planète, que l’on soit Belge ou Indonésien ?

Dans une économie globale où le poids de l’Asie devient de plus en plus important, et où des méga-entreprises indiennes, chinoises, coréennes et indonésiennes s’invitent sans difficulté à la table des grands (Lenovo, Samsung, Huawei, Tata, Mittal, etc.), il faut imaginer que nous aussi subirons tôt ou tard, et avec le sourire, d’exotiques influences. Ainsi à « l’occidentalisation » observée, parfois à tort, dans les pays émergents pourrait bien répondre une « asiatisation » partielle de nos vieux mondes, européen et américain. Et cela non plus n’est pas une mauvaise nouvelle. Nous devons nous réjouir du progrès humain qui est en germe dans ces nouveaux échanges. Nous devons nous réjouir de ce que l’Humanité peut y gagner.

À vrai dire, la seule chose effrayante dans tout cela, c’est qu’il y ait encore parmi nous des esprits chagrins qui souhaitent empêcher ce phénomène : des gens qui croient que l’on peut empêcher l’histoire de se produire. Ceux-là n’ont tout simplement pas pris la mesure de ce qu’il se passe, le caractère aussi inéluctable de la mondialisation qu’est inéluctable la fin du système solaire. Et ils sont doublement déclassés dans ce jeu d’influences qu’est la mondialisation. C’est cela que nous devons à tout prix éviter.

En fin de compte, ce que nous devons surtout décider, c’est ce qui nous définit nous, Européens : qu’est-ce qui nous constitue en tant que tels, qu’avons nous de particulier, de propre, et que nous voulons conserver dans cette grande assimilation humaine qui est en cours ? Et des moyens que nous nous donnons pour cela.

Heureusement, les réponses sont nombreuses : c’est là notre dernière, notre principale richesse. Oui, l’Europe est un continent extraordinairement riche de culture (au singulier). Oui, la culture européenne, depuis les prophètes juifs, les poètes Grecs et jusqu’aux philosophes allemands (ou l’inverse), qui a pensé l’homme et la liberté comme aucune autre culture, est unique et exceptionnelle. Oui, l’Europe a toujours un message, un cadeau pour le monde. Un précieux message de liberté par la connaissance, d’espérance, et d’humanité.

Mais encore faut-il qu’elle ne l’oublie pas, ce message. Et qu’elle décide enfin de prendre la parole.


Sur le web.

Notes :

  1. Asie hors Russie extrême-orientale.
  2. PIB : produit intérieur brut, représente la totalité de la richesse, matérielle et immatérielle, produite dans une zone donnée pendant une année. On peut calculer le PIB d’une ville, d’un pays, d’une région, d’un continent, ou encore du monde entier en additionnant la valeur de la production dans l’ensemble des ensembles considérés.
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  • Dans le tableau de classement des 38 principales économies mondiales, notez le « prophétique » changement de nom de Taïwan entre 2012 et 2017 !

  • Selon l’auteur, toute richesse est relative à celle d’autrui.

    Si je brûle ma maison, j’enrichi donc mes voisins. Si je la reconstruit, ils s’appauvrissent.

    • « Si je la reconstruis, ils s’appauvrissent. »

      Cette logique n’est visiblement pas celle de l’auteur mais bien celle des Hollande et autres terroristes socialistes roses, rouges, verts ou bruns qui « n’aiment pas les riches ». On connaît deux définitions de la pauvreté, une relative et une autre absolue. En revanche, il y a autant de définitions de la richesse qu’il existe d’idéologues criminels ou de faibles d’esprits frustrés, manipulés dans leurs instincts les plus bas (envie, paresse, concupiscence…) par les premiers.

      • Il y a une définition de la richesse par personne, parce que la richesse est subjective. Et qui dit subjectif dit jugement, et donc mesure selon des critères vis-à-vis d’un groupe, d’une norme, ou peu importe. Faut pas tomber dans la débilité d’insulter les socialos pour n’importe quoi, ça n’a que l’effet inverse de celui recherché.

    • « Si je brûle ma maison, j’enrichi donc mes voisins. Si je la reconstruit, ils s’appauvrissent. »

      ‘bsolument. C’est pour ça qu’aux US une famille de classe moyenne a une maison et deux voitures, quand en France c’est pas le cas. La richesse se mesure vis-à-vis d’un groupe, ça tombe pas du ciel.

      • Le nombre de voitures ou de maisons, c’est pourtant simple a mesurer non?
        Au contraire, faire des comparaison de groupes c’est le meilleur moyen d’aboutir a n’importe quel résultat.

        • Et dans un monde où tu es absolument seul, t’es riches si t’as 2 maisons ? et 9 ? Et riche par rapport à quoi ?

          La « richesse » c’est un jugement, donc forcément une comparaison.

  • Que l’Asie, à terme, doit devenir le centre économique du monde, ok. Mais en même temps c’est pas demain la veille : pourquoi l’auteur se base-t-il sur les données du miracles chinois pour affirmer à la suite du FMI qu’en 2017 la Chine aura dépassé les USA alors qu’aujourd’hui les gens sérieux s’accordent à penser ce que les gens très sérieux pensaient déjà depuis quelques années : la Chine cale ? On n’a jamais fait d’un gros wagon une locomotive. La Chine n’est plus à 10% de croissance mais à 7%, son plus bas taux depuis 1990… et ce sont des chiffres officiels, donc probablement gonflés. Dans les dix années à venir l’évolution la plus probable pour la Chine c’est soit l’implosion sociale soit, si les dirigeants la voient venir et l’anticipent, la guerre extérieure comme dérivatif. L’Asie d’aujourd’hui s’arme massivement comme l’Europe de 1913. Cela va leur faire prendre du retard sur 2017…

  • La culture n’est rien si elle n’a pas le moral ! 🙂

    L’Europe est devant un choix : oublier son passé, regarder vers l’avenir, constater que ses marchés sont à l’Est, où le pouvoir d’achat explose, et plonger dans l’opportunité fantastique que cela représente ;

    ou jouer le protectionnisme stérile et récessif, un peu comme quelqu’un qui face à l’océan, ne voudrait se baigner que dans sa petite piscine gonflable …

    Oui, il faut délocaliser pur attaquer les marchés porteurs, être partout dans le monde, et ne pas céder au rôle de haltes-garderies pour faux chômeurs qu’on veut faire jouer à nos entreprises.

    Les chinois sont largement implantés dans les économies africaines et américaines, implantons-nous dans les leurs, et apprenons à nos travailleurs à bouger

  • Article très intéressanr. Je lis dans les commentaires plusieurs remarques dont celle selon laquelle la Chine serait en train de caler. C’est très probablement le cas, mais cela ne change en rien la démonstration de cet article. L’Asie représente l’avenir de la croissance et son influence se fait de plus en plus forte. Elle est d’ores et déjà un contributeur important de la mondialisation. Notre mode de vie occidental s’en retrouve forcément influencé… Nous devons réfléchir, nous Européens, comment participer à cette mondialisation si nous souhaitons rester influents. Comme le dit l’auteur, le pire serait de fuir ou de se barricader. Nous ne gagnerons proportionnellement pas autant que le ferons les asiatiques (regardez d’où ils partent), mais nous avons évidemment énormément de bonnes choses à tirer de la mondialisation.

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