Les livres polémiques du père Mariana

Pour Mariana, biens de ses vassaux n’appartenaient pas au roi. Il ouvrait ainsi la voie à une critique qui touche tous les niveaux du monde politique.

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Les livres polémiques du père Mariana

Publié le 19 juillet 2013
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L’affirmation de Mariana selon laquelle les biens de ses vassaux n’appartiennent pas au roi ouvre la voie à une critique qui touche tous les niveaux du monde politique.

Par Francisco Cabrillo

L’an 1610, le bourreau de Paris remplit la peu édifiante mission de brûler publiquement sur le bûcher un livre intitulé Du roi et de l’institution royale dans lequel, entre autres choses, était défendue la licéité du tyrannicide. Son auteur était un jésuite espagnol, le père Juan de Mariana, une des personnalités les plus intéressantes de la culture espagnole des dernières années du 16e siècle et de la première partie du 17e. 1599 fut l’année de publication de ce livre. Qui ne connut pas de problèmes en Espagne. Mais en 1610, Henri IV de France fut assassiné et les autorités tentèrent de faire avouer au régicide, Ravaillac, qu’il avait été induit à commettre son acte par la lecture du livre de Mariana. Malgré le caractère expéditif connu des techniques d’interrogatoire de l’époque, Ravaillac nia le fait et insista pour dire qu’il ne savait rien de cet ouvrage. Mais comme les idées du livre ne plaisaient pas trop, on pensa qu’un bon bûcher public était le destin le plus adéquat pour un écrit aussi peu complaisant avec les privilèges du roi.

Juan de Mariana était né à Talavera de la Reina en 1536. Après avoir intégré la Compagnie de Jésus, il étudia à Alcalá et à Rome. Il acquit rapidement une grande réputation comme théologien et fut nommé en 1569 professeur à la Sorbonne, l’université la plus prestigieuse du monde à cette époque. Cependant, pour des raisons de santé, il dût rentrer en Espagne quatre ans plus tard et s’établit à Tolède, où il passa le reste de sa longue vie et où il décéda en 1623. Malgré son apparent retrait du monde, ses écrits ne cessèrent d’être polémiques. Et celui qui lui causa le plus de soucis fut sans aucun doute un court livre, intitulé De mutatione monetae – traduit par Traité et discours sur la monnaie de billon – publié à Cologne en 1609.

Cet ouvrage est avant tout une charge contre la cupidité fiscale des rois et spécialement contre la politique visant à obtenir des ressources en diminuant la valeur et en créant, par conséquent, l’inflation dans l’économie. Son caractère critique et quelques références au duc de Lerma [favori et ministre de Philippe III d’Espagne] firent que le livre fut pris comme cible en Espagne dès que l’on eut connaissance de sa publication. Mariana fut accusé de crime de lèse-majesté et on demanda au pape l’autorisation de le poursuivre. Le pape délégua au nonce, qui intervint directement dans l’affaire dans le tribunal du roi. Le déjà âgé jésuite fut arrêté et emprisonné dans un couvent franciscain de Madrid. Heureusement, les choses finirent par s’arranger grâce au sens commun. Les théologiens ne trouvèrent pas d’erreur dans le livre ; et le pape ne semblait pas très disposé à accepter une condamnation pour crime de lèse-majesté à l’encontre d’un jésuite prestigieux, qui avait alors soixante treize ans. On ne sait pas si une sentence fut prononcée. Ce qui est sûr, c’est qu’après quatre mois de détention, Mariana put retourner à Tolède sous la condition de modifier quelques pages considérées comme offensantes et d’être plus prudent dans le futur quant à ses observations sur la politique de la monarchie.

La destinée du livre, comme on peut aisément l’imaginer, ne fut pas facile. Philippe III ordonna d’acheter et de détruire tous les exemplaires que l’on trouvait en Europe. L’essai fut inclus dans l’Index des livres interdits, d’où il ne sortit pas avant le 19e siècle. Il ne fait aucun doute qu’aussi bien en France qu’en Espagne les œuvres du père Mariana ne furent des lectures approuvées dans les palais royaux. On trouve peu d’écrivains qui aient osé dénoncer avec autant de force les abus des gouvernants dans la vie économique.

Son affirmation selon laquelle les biens de ses vassaux n’appartiennent pas au roi ouvre la voie à une critique qui touche tous les niveaux du monde politique. On est encore impressionné, par exemple, par la force de son commentaire sur les ministres du roi quand il affirme : « Nous voyons les ministres, couverts en un instant de milliers et de milliers de ducats de rente. » N’échappent pas plus à ses traits, les représentants du peuple à la cour de qui il dit : « La plupart d’entre eux sont peu à propos, comme choisis par hasard, gens de peu de zèle en rien et bien résolus à remplir leurs poches aux dépens du misérable peuple. »

Je crains que plus d’un lecteur ne termine la lecture de cet article en pensant que, sûrement, les choses ont moins changé dans les cours que nous ne le pensions.

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Article paru dans Libertad digital. Traduit de l’espagnol.
Lire aussi : L’École de Salamanque.

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