Dévaluation à l’ancienne

Comment les rois de France procédaient-ils à une dévaluation de la monnaie nationale ?

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Dévaluation à l’ancienne

Publié le 1 juin 2013
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Comment les rois de France procédaient-ils à une dévaluation de la monnaie nationale ?

Par Guillaume Nicoulaud.

Louis XI

Le 2 novembre 1475, Louis XI fit frapper à Saint Lo un écu d’or dit écu au soleil (à cause du petit soleil au-dessus de la couronne) à la taille de 70 au marc et d’un aloi de 23⅛ carats auquel il une attribua une valeur d’une livre et 13 sols tournois. Fort bien, me direz-vous, mais qu’est-ce que ça signifie ?

Commençons par le marc. C’est une unité de masse du système de la livre poids de marc (ou livre de Troyes), système dont l’existence est attestée dès le début du XIIIe siècle mais qui n’a été généralisée à tout le royaume qu’à partir de 1266. Dans ce système, la livre pesait 489,50 de nos grammes modernes, le marc valait une demi-livre et l’once [1] était le seizième d’une livre. De ce qui précède, vous déduirez sans difficulté qu’un marc est équivalent à 244,75 grammes. Dire que notre écu d’or était taillé à 70 au marc signifie que, par décision du Roi, on devait frapper 70 écus avec un marc d’or c’est-à-dire que chaque écu au soleil devait peser très exactement un soixante-dixième de marc (3,496 grammes).

Mais ce n’est pas fini. Comme vous le savez sans doute l’or est une matière extrêmement malléable de telle sorte que, lorsque vous souhaitez qu’un objet en or conserve sa forme (une pièce, un lingot…), vous devez le mélanger avec un autre métal. D’où l’aloi [2], mesuré en carats, qui fixe le degré de pureté de l’alliage sur une échelle de zéro (il n’y a point d’or là-dedans) à 24 (c’est de l’or pur). Ainsi, un aloi de 23⅛ carats, c’est un mélange pur à environ 96,4% et donc, nous pouvons en déduire que sur les 3,496 grammes de l’écu de Louis XI, il y avait précisément 3,369 grammes d’or pur et 0,127 grammes d’autre chose. Ce sont naturellement ces grammes d’or qui donnent toute sa valeur à la pièce.

Or, le Roi nous dit que ces 3,369 grammes valent une livre et 13 sols tournois. Il n’est bien sûr plus ici question d’une unité de poids [3] mais d’une unité de compte : la livre tournois, à ne pas confondre avec la livre parisis [4], qui se subdivise en 20 sols (ou sous) et 240 derniers [5]. Dès lors, en décrétant que son nouvel écu d’or vaut une livre et 13 sols tournois (soit 1,65 livre), Louis XI fixait implicitement la valeur de la livre à 2,042 grammes d’or pur.

C’est une dévaluation à la mode de l’ancien régime. Lors de sa précédente émission ordonnée le 4 janvier 1473, l’écu d’or à la couronne (sans soleil) avait été taillé à 72 au marc (même aloi) et avait reçu une valeur de 30 sols et 3 derniers tournois (soit 1,5125 livres) ce qui fixait la valeur-or de la livre tournois à 2,166 grammes d’or pur [6]. La livre tournois vient donc de perdre 6,1% de sa valeur.

Naturellement, lorsque le Roi s’endette, c’est en unités de compte.


Sur le web

Notes :

  1. Chez nos amis américains, le poids des métaux précieux est toujours mesuré en onces de Troyes (troy ounces, oz) même si cette dernière s’est depuis un peu alourdie : de 30,594g sous l’ancien régime, elle vaut aujourd’hui 31,1034768g. À ne pas confondre avec l’once avoirdupois qui, aux États-Unis, est l’once des épiciers.
  2. Aujourd’hui, on parlerait plutôt du titre d’un alliage. En revanche, nous avons gardé l’expression de bon ou de mauvais aloi qui signifie de bonne ou de mauvaise qualité.
  3. C’était bien le cas à l’origine : en 825, par exemple, les derniers d’argent était taillés à raison de 240 pièces par livre d’argent.
  4. La livre concurrente qui coexistera avec la livre tournois jusqu’en avril 1667, date à laquelle Louis XIV fusionnera les deux systèmes.
  5. Système duodécimal comme la livre sterling jusqu’en 1971 (£1 = 20 shillings = 240 pences).
  6. Je n’invente rien et le je prouve.
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  • J’aime cet article. Bravo Contrepoints. Si on apprenait les maths en CE avec des photos et des anecdotes historiques comme celle là, je crois qu’on aurait bien plus d’ingénieurs 15 ans plus tard.

  • Quel pif ! « L’universelle aragne » était un malin. Il nous donne une bonne leçon à travers le temps : l’or, l’étalon-or ou n’importe quel bien physique n’empêchent pas l’inflation monétaire décidée arbitrairement par l’Etat, ce qui confirme que la relique barbare n’est pas l’or mais le monopole monétaire aux mains des politiciens.

    Pour forger l’Etat, Louis XI use et abuse de tous les moyens connus : dévaluation, hausse de la pression fiscale, emprunts forcés, « restructuration » des dettes… Et à quoi peuvent bien servir les richesses spoliées ? A subventionner une « clientèle » d’alliés, pour renforcer le pouvoir central ! Toute ressemblance avec le clientélisme des collectivistes socio-démocrates n’est absolument pas fortuite.

    A lire en complément de l’article : http://www.minefi.gouv.fr/notes_bleues/nbb/nbb237/237_lxi.htm

  • « Ce sont naturellement ces grammes d’or qui donnent toute sa valeur à la pièce ». C’est presque vrai. Mais ce n’est pas tout à fait exact. L’or proposé sous la forme de pièce frappée d’un sceau royal informe que cette pièce est vraisemblablement de bon aloi. En hollande, certains acceptaient de verser 5% de la valeur de leur or afin d’avoir, en échange une pièce frappée. Ce qui montre que, pour certains, la valeur d’une pièce d’or ne se limite pas à son poids en or.

  • De même une catastrophe naturelle comme Flanby ça provoque une dévalorisation massive de la valeur du travail par l’augmentation des charges.

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