Voltaire et l’éloge du luxe – Réponse à Rousseau

La frugalité est-elle une vertu et le luxe un vice ? Le luxe dispose-t-il à la corruption des mœurs ou bien au contraire adoucit-il les mœurs ?

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Portrait de Voltaire (image libre de droits)

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Voltaire et l’éloge du luxe – Réponse à Rousseau

Publié le 20 février 2012
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La frugalité est-elle une vertu et le luxe un vice ? Le luxe dispose-t-il à la corruption des mœurs ou bien au contraire adoucit-il les mœurs ? Au XVIIIe siècle, Voltaire et Rousseau se sont vigoureusement opposés sur cette question. Nous avons exposé hier le point de vue de Rousseau. Voici celui de Voltaire.

Par Damien Theillier

À gauche comme à droite, certains candidats à la présidentielle nous ressortent une vieille recette fiscale : le relèvement de la TVA au taux majoré (33,3 %) des biens ou produits de luxe : caviar, parfumerie, perles fines et pierres précieuses, fourrures etc. Passons sur l’aberration fiscale d’une telle mesure, aux effets pervers bien connus. La querelle du luxe est bien plus qu’un débat sur le commerce et la richesse. C’est une querelle philosophique à propos des sciences, des arts et du progrès en général.

La question philosophique sous-jacente est de savoir si les progrès de la technique et de l’industrie contribuent au bonheur et au bien-être de l’homme ou au contraire à sa perte. La frugalité est-elle une vertu et le luxe un vice ? Le luxe dispose-t-il à la corruption des mœurs ou bien au contraire adoucit-il les mœurs ?

Au XVIIIe siècle, Voltaire et Rousseau se sont vigoureusement opposés sur cette question.

Voltaire a écrit les Lettres Philosophiques (1734) pour critiquer les mentalités françaises sur les plans religieux, politique, économique ou encore scientifique. Il s’agit de la première critique radicale de l’Ancien Régime. Voltaire propose un nouveau partage des pouvoirs politiques calqué sur le modèle britannique, il défend les classes moyennes face aux privilégiés et aux aristocrates.

Pour Voltaire, ce qui constitue le bonheur d’un individu ou d’une nation, c’est un régime dans lequel les hommes vivent en paix les uns avec les autres, dans un certain confort matériel. C’est pourquoi une société est d’autant plus libre et heureuse qu’elle est fondée sur le commerce au sens de l’échange économique.

Trois points sont à considérer selon Voltaire :

  1. Le bonheur d’une nation nécessite une vie matérielle aisée qui favorise les arts
  2. Le luxe et le commerce qui l’engendrent sont garants des libertés
  3. Le commerce est bon parce qu’il promeut des rapports civilisés et donc pacifiques entre les hommes

 

Le luxe engendre le confort et les arts

Voltaire consacre une partie de ses Lettres philosophiques aux arts.

Les arts rendent la vie plus belle et plus agréable. Ils doivent donc être cultivés. Selon lui, la grandeur et le bonheur d’une société se juge par l’état de ses arts. Quatre âges se sont distingués par le perfectionnement de leurs arts, écrit-il : les siècles d’Alexandre, d’Auguste, des Médicis et de Louis XIV.

Or, le développement intellectuel et artistique n’existe que dans une nation prospère. L’abondance est la mère des arts selon Voltaire. C’est pourquoi le commerce est un moteur du progrès historique. De plus, le confort qu’il procure est en lui-même une source de bonheur.

 

Prospérité et liberté

Dans sa Dixième Lettre (Sur le commerce), Voltaire associe commerce, prospérité et liberté dans un cercle vertueux : le commerce enrichit les citoyens ; la richesse les rend libres ; la liberté étend le commerce et ainsi la nation s’enrichit encore davantage.

Mais il existe plusieurs types de libertés selon Voltaire.

Le commerce est la source d’une première liberté, la liberté individuelle, que Voltaire appelle la liberté de propriété. Par exemple, les paysans anglais possèdent des vêtements, des bestiaux, une maison confortable, et personne ne peut leur enlever arbitrairement la possession de ces biens. En s’enrichissant par le commerce, les citoyens augmentent leur niveau de vie et, de cette façon, deviennent moins dépendants de la nature : ils ne luttent plus pour le nécessaire et vivent plutôt dans le superflu.

Mais la liberté désigne aussi l’équilibre des pouvoirs, c’est la liberté politique. Pour Voltaire, la reconnaissance sociale des commerçants pourrait avoir pour effet d’apporter un partage plus équitable du pouvoir. Il donne l’exemple de l’Angleterre où la monarchie est désormais tempérée dans ses prérogatives par le Parlement, depuis l’action des révolutionnaires constitués surtout de commerçants. Là encore il y a une sorte de cercle vertueux : la liberté de propriété permet de s’enrichir et le luxe permet aux classes moyennes de participer au pouvoir. La liberté politique renforce à son tour la liberté individuelle, car sans la liberté politique, les commerçants comme les paysans ne seraient pas libres de jouir des biens qu’ils ont gagnés à la sueur de leur front.

 

Le commerce engendre la paix civile

Le commerce favorise la tolérance religieuse qui est une composante essentielle de la paix civile, et donc du bonheur selon Voltaire.

Malgré leurs différences confessionnelles, les hommes qui commercent ont tous un même objet au centre de leurs préoccupations : le profit. Or la recherche commune du profit entraîne la coopération et le respect des opinions d’autrui, en particulier de ses croyances religieuses.

Dans la Sixième lettre, Voltaire donne l’exemple de la Bourse de Londres. En ce haut lieu du commerce international, « le juif, le mahométan et le chrétien » font des affaires ensemble, « comme s’ils étaient de la même Religion ». Ils ne donnent « le nom d’infidèles qu’à ceux qui font banqueroute ».

Le passage vaut la peine d’être cité tout entier tellement il est fameux :

Entrez dans la Bourse de Londres, cette place plus respectable que bien des cours ; vous y voyez rassemblés les députés de toutes les nations pour l’utilité des hommes. Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l’un avec l’autre comme s’ils étaient de la même religion, et ne donnent le nom d’infidèles qu’à ceux qui font banqueroute ; là, le presbytérien se fie à l’anabaptiste, et l’anglican reçoit la promesse du quaker. Au sortir de ces pacifiques et libres assemblées, les uns vont à la synagogue, les autres vont boire ; celui-ci va se faire baptiser dans une grande cuve au nom du Père par le Fils au Saint-Esprit ; celui-là fait couper le prépuce de son fils et fait marmotter sur l’enfant des paroles hébraïques qu’il n’entend point ; ces autres vont dans leur église attendre l’inspiration de Dieu, leur chapeau sur la tête, et tous sont contents.

Le commerce réunit donc les hommes autour d’une « même religion », le profit, une religion pacifique.

Concluons par ce jugement de Voltaire sur Rousseau :

« Si l’on entend par luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite naturelle des progrès de l’espèce humaine ; et, pour raisonner conséquemment, tout ennemi du luxe doit croire avec Rousseau que l’état de bonheur et de vertu pour l’homme est celui, non de sauvage, mais d’orang-outang. » (Dictionnaire de philosophie)

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Sur le web.

Lire aussi : Rousseau et la condamnation du luxe

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