La minuterie de la crise de la dette est dorénavant mise en route, le détonateur devant se déclencher le 20 mars.
Par Stéphane Montabert
La vie est injuste. La semaine dernière avait commencé sur les chapeaux de roues: enfermés dans leurs propres délires, les traders (rarement réputés pour leur appréciation pertinente de la réalité) se prenaient à rêver qu’on sortirait de la crise; les taux italiens s’effondraient pendant que les Espagnols empruntaient le double ni vu ni connu, l’argent imprimé par la BCE pour les banques commerciales faisant son office.
Tout allait bien, disons, jusqu’au vendredi 13 – ça ne s’invente pas – vers le milieu de l’après-midi, où les fourbes analystes de Standards & Poor’s annoncèrent soudain qu’ils dégradaient la note d’une ribambelle de pays de la zone euro, dont la France.
Enfin, “soudain”, façon de parler.
La perte du triple-A français était dans l’air du temps depuis des mois. Son officialisation n’en reste pas moins gênante, puisqu’elle oblige les politiciens à en tenir compte. Plus possible de jouer les naïfs. Les manœuvres dilatoires ne dureront pas longtemps; le centre de gravité du couple franco-allemand a franchi le Rhin pour de bon, vraisemblablement pour toujours.
Cerise sur le gâteau, en plus d’avoir dégradé la note de sept membres de la zone euro, S&P a aussi gardé la note de la France sous surveillance négative. Sachant l’équipe d’élite qui gouverne le pays (ou qui se prépare à la remplacer au nom de l’alternance) les prochaines dégradations semblent acquises.
Mais ce n’est pas tout. Les mauvaises nouvelles ne viennent pas seules. Non seulement on apprend sans grande surprise que le triple-A du Fonds Européen de Stabilité Financière est compromis, mais surtout, en Grèce, rien ne va plus. L’accord négocié avec les banques pour leur tordre le bras avec le sourire et leur infliger une décote de 50% sur la dette grecque prend encore plus l’eau qu’un paquebot de croisière empalé sur un récif. Or, si les banques refusent et que la Grèce les y contraint, nous sommes en situation de défaut tout ce qu’il y a d’officiel, avec activation des garanties sur les prêts – les fameux CDS – garanties assurées par des banques européennes, qui sauteront devant l’ampleur de la facture…
François Leclerc parle de bombe à retardement sur La Tribune en expliquant plus précisément le mécanisme de la minuterie, le détonateur devant se déclencher le 20 mars. Il ne faut pas se voiler la face sur les chances de fonctionnement d’un plan vicié au départ, auquel le FMI de Mme Lagarde vient de donner le coup de grâce:
L’écart entre le montant initialement envisagé de décote de la dette de 50% et la demande du gouvernement grec de la porter à 75% n’a été que partiellement résorbé, les grandes banques ayant, semble-t-il, accepté d’accroître leur effort pour la porter à 60%. Mais le FMI est venu apporter un soutien inattendu aux autorités grecques, considérant que ce n’était pas suffisant pour que le “plan de sauvetage” puisse remplir sa fonction, étant donné la détérioration de la situation économique du pays, estimant qu’il fallait atteindre la fourchette 65-70%.
Il fallait être naïf comme un technocrate pour croire que 90% des détenteurs de dette grecque, possédant pour 206 milliards d’euros de créance, accepteraient sans ciller une décote de 50%, puis de 70% de leurs titres sans jamais perdre le sourire ni évoquer le terme défaut. Les Hedge Funds, “insensibles aux pressions exercées sur les banques par les autorités politiques et les banques centrales” comme le regrettent certains, ont ainsi flairé le bon coup:
[Les hedge funds] ont ces derniers mois considérablement renforcé leurs positions en rachetant de la dette grecque aux banques, trop contentes de s’en délester, et s’arrachent actuellement les titres arrivant à maturité le 20 mars prochain, à des prix bradés en raison des taux très élevés qui prévalent sur le marché secondaire. A l’arrivée, les hedge funds ont acquis le pouvoir de faire capoter l’ensemble du “plan de sauvetage” de la Grèce… Selon JP Morgan Chase, ceux-ci détiendraient avec des fonds souverains la valeur de 80 milliards d’euros de titres de la dette grecque.
Leur calcul est simple : ils attendent soit que la Grèce n’honore pas son échéance, avec pour conséquence l’activation des CDS et le remboursement de leurs pertes par les émetteurs de ceux-ci ; soit d’être remboursés par le gouvernement grec à la valeur nominale, si suffisamment d’autres investisseurs acceptent la décote qu’eux refusent, le “plan de sauvetage” fonctionnant alors. Dans les deux cas, un bénéfice substantiel est à la clé. Le risque qu’ils prennent est relativement mineur, car il faudrait pour qu’ils se pincent les doigts dans la porte que la loi grecque soit changée en urgence, vu qu’elle ne prévoit pas de clauses d’action collective (CAC) obligeant tous les investisseurs à appliquer les décisions prises par une majorité qualifiée d’entre eux.
La manœuvre tombe sous le sens: les hedge funds se contentent de racheter avec une grosse décote les obligations détenues par les banques, trop heureuses de s’en délester, et prévoient de refuser la décote lors du remboursement du nominal. Comme la décote est “volontaire”, les autorités n’ont pas le choix: soient elles remboursent effectivement, permettant une grosse plus-value au détenteur de l’obligation, soit elles refusent, et on est alors officiellement en situation de défaut. Les fonds activent alors les CDS au titre d’assurance et retrouvent encore leur mise. C’est gagnant-gagnant – à supposer que personne ne manque d’argent pour payer toutes ces ardoises…
Retenez donc la date du 20 mars !
Mais laissons tomber la Grèce et concluons ce point de situation en revenant en Europe pour entendre l’analyse d’Andreas Hoffert, chef économise de l’UBS, interviewé au journal de la TSR:
Darius Rochebin: Andreas Hoffert, bonjour, vous êtes chef économiste de l’UBS… La grande différence, c’est l’Allemagne qui reste triple-A, la France dégradée, ça ce sera une dimension très importante.
Andreas Hoffert: Oui effectivement, ça, à mon avis, c’est la mauvaise nouvelle ; la dégradation de la France était prévue mais ce qui était moins prévu, c’est que l’Allemagne ne soit pas dégradée en même temps, donc M. Sarkozy ne pourra pas dire “c’est un problème européen” c’est effectivement un problème français.
DR: L’euro est affaibli durablement?
AH: Oui, très certainement, parce que finalement il ne reste plus beaucoup de pays qui ont le triple-A. L’Autriche, probablement, va aussi perdre son triple-A [c’est chose acquise] donc il restera les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Allemagne et peut-être la Finlande.
DR: Le fameux fonds de solidarité européen pour aider les pays en difficultés, alors tout s’aggrave, aujourd’hui même les négociations sur la Grèce bloquent, et ce fonds, il est affaibli par la perte de la France?
AH: Tout à fait, ce fonds était financé en grande partie par l’Allemagne et la France, les deux plus grands contributeurs à ce fonds, et ce fonds profitait du triple-A de la France qu’elle n’a plus à partir de ce soir, et donc ce fonds sera aussi dégradé… Il faut retenir que c’est quand même le fonds qui est sensé sauver les pays faibles de l’Europe qui lui-même s’affaiblit maintenant.
DR: Expliquez-nous pour être très concret. Être dégradé ça veut dire qu’on va payer sa dette plus cher, les taux d’intérêt montent?
AH: Théoriquement ça signifie cela, ce n’est pas nécessairement le cas, on a vu par exemple aux États-Unis ça n’a pas été le cas, les États-Unis ont été dégradés l’année passée et néanmoins les taux d’intérêt ont plutôt eu tendance à baisser, mais dans le cas précis ce qui s’est passé c’est tout simplement que les marchés ont déjà anticipé cela et on a vu les taux d’intérêt français quand même flamber vis-à-vis des taux d’intérêt allemands, le différentiel est relativement important, il est de l’ordre d’à peu près 0,8 à 1%.
DR: Il y a des complotistes, notamment des gens très pro-européens qui disent, ce soir, “l’Europe commençait à aller mieux, voilà une agence de notation anglo-saxonne mal intentionnée qui tape sur la tête de l’Europe…”
AH: Euh non, l’Europe n’allait pas mieux du tout, j’entends, nous avons eu l’année passée cinq sommets de la dernière chance, trois plans de sauvetage pour définitivement sortir l’Europe de la crise, nous allons au devant d’un autre sommet et systématiquement rien n’a été fait pour calmer cette spirale qui est une spirale de la banqueroute…
L’année 2012 vient vraiment de commencer.
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