Grâce à Weibo, les Chinois ont pris la parole. Ils ne la rendront pas au Parti.
Par Guy Sorman

À Pékin, cette fois-ci, tout m’étonne: plus rien n’arrête la liberté de parole depuis que 300 millions de micro bloggers s’expriment sur leur téléphone portable. Le Parti communiste s’acharne à bloquer internet mais weibo, micro blog de 140 caractères, a supplanté internet: techniquement impossible de censurer weibo sauf à mettre en panne tous les smartphones de Chine.
Comme mon avion n’a pu atterrir à Pékin mais s’est posé en Mongolie intérieure, le commandant de bord d’Air China incrimine le brouillard. Émeute chez les passagers, tous chinois, qui dénoncent le mensonge: par weibo, ils avaient appris que la pollution industrielle et pas le brouillard avait rendu Pékin inaccessible.
À l’Université du Peuple à Pékin, je prononce une conférence prudente sur Benjamin Constant et le libéralisme français: il m’est arrivé naguère en ces lieux que l’on me coupe le micro. Là ce fut l’inverse: les étudiants me trouvent trop timide et me demandent comment passer à la démocratie libérale, sans attendre? À l’Institut français, salle comble, j’ évoque la crise de l’occident : mon interlocuteur, le philosophe Liu Junnin s’en moque , il veut l’occidentalisation de la Chine maintenant c’est à dire la démocratie.
Les Chinois ont pris la parole: ils ne la rendront pas au Parti. Après la révolution de jasmin dans le monde arabe, la révolution des pivoines?
Des facteurs économiques objectifs: une inflation réelle de 20% (source Mao Yushi), la baisse des prix de l’immobilier pour la troisième année consécutive alors que les classes moyennes y ont investi toute leur épargne, une croissance de 8% au lieu de 10, ce qui ne permet plus d’absorber l’exode rural. À quoi s’ajoutent des facteurs permanents: la corruption des officiels, les mensonges du gouvernement (en particulier sur les accidents des trains rapides et les effondrements des mines de charbon), les violences policières, les comportements ostentatoires des enfants des dirigeants du Parti. Ces dirigeants prudents installent leur famille aux États-Unis: on ne sait jamais! Car dorénavant, tous ces faits sont maintenant précisés sur weibo.
—-
Une version extensive de ce texte sera publiée dans L’Hebdo du 22 décembre.