Super Mario aime-t-il l’inflation?

Avec l’Italien Mario Draghi aux commandes, la BCE va-t-elle oublier son orthodoxie monétaire et perdre son indépendance?

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Super Mario aime-t-il l’inflation?

Publié le 23 novembre 2011
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Avec l’Italien Mario Draghi aux commandes, la BCE va-t-elle oublier son orthodoxie monétaire et perdre son indépendance?

Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’aleps

Voici maintenant trois semaines (depuis le 1er novembre 2011) que l’Italien Mario Draghi, surnommé « Super Mario » dans les instances européennes, a pris ses fonctions de Président de la Banque centrale européenne (BCE), succédant au Français Jean-Claude Trichet. On attendait avec curiosité ses premières décisions : elles laissent perplexe, car dès le 3 novembre il a décidé d’abaisser le principal taux directeur de la BCE pour « lutter contre la récession », ce qui pourrait relancer l’inflation, tout en réaffirmant «  sa grande admiration pour la tradition de la Bundesbank », c’est-à-dire la priorité à la lutte contre l’inflation. Comprenne qui pourra. La question d’un éventuel retour de l’inflation est en tous cas posée.

Quelle est la mission d’une banque centrale ?

Quel est le rôle d’une banque centrale ? Les économistes savent depuis bien longtemps que « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire « (Milton Friedman).

Contrairement à ce que suggérait Keynes, la politique monétaire, par les taux d’intérêt ou par la quantité de monnaie, est incapable de relancer la croissance. La monnaie n’importe au fond que quand elle est mal gérée c’est-à-dire, quand la Banque centrale manipule taux d’intérêt ou création monétaire dans l’espoir de soutenir l’activité économique. À ces politiques monétaires « discrétionnaires », laissées à la fantaisie de la Banque Centrale, il faut substituer une politique « automatique », c’est-à-dire un accroissement raisonnable et régulier de la masse monétaire : en quelque sorte « remplacer le gouverneur de la Banque centrale par une exponentielle ». La meilleure solution, à laquelle on viendra tôt ou tard, sera de sortir du système de Banques Centrales pour instaurer une concurrence entre monnaies émises par des banques ou réseaux de banques privées.

Mais pour l’instant, les banques centrales existent ; il faut faire avec. La BCE a un statut, prévu par les traités européens, qui se rapproche de celui de la Bundesbank allemande : elle est indépendante des gouvernements et donc des pressions politiques. N’en déplaise au Président Sarkozy, au G20 ou à la Commission européenne, statutairement personne ne peut lui donner d’ordre. Sa mission est définie par les textes : « L’objectif principal du SEBC (Système européen de banques centrales, BCE et banques nationales) est de maintenir la stabilité des prix », donc d’éviter toute inflation. Ce n’est donc pas de relancer l’économie.

C’est ce qu’a essayé de faire la BCE pendant des années. Certes, on peut discuter la technique (le maniement des taux d’intérêt préféré à la limitation de la masse monétaire émise). On peut aussi discuter de l’objectif : pas une inflation nulle, mais une inflation  » maitrisée « , ne devant pas dépasser 2% par an. Mais cet objectif a été en gros atteint. L’inflation moyenne dans la zone euro a presque toujours été inférieure à 2%, (0,3% en 2009 (année de récession), 1,6% en 2010).

Les politiques monétaires non conventionnelles

Depuis fort longtemps, les banques centrales nationales avaient pris quelque distance avec leur mission traditionnelle, pour devenir des « prêteurs en dernier ressort » : elles refinançaient les banques « de second rang » engagées dans des opérations de crédit qu’elles ne pouvaient mener à leur terme (par manque de fonds propres ou de liquidités).

C’est évident pour la FED aux États-Unis. On peut remonter jusqu’à Allan Greenspan en 2001, qui a voulu une politique « d’argent facile » pour éviter la récession dans un pays secoué par l’attentat des Tours Jumelles. Ensuite, la FED a poussé les banques à accorder des crédits immobiliers aux ménages non solvables, avec l’entremise des deux agences Fanny Mae et Freddy Mac : voilà la crise des subprimes.

Depuis deux ans, les politiques de relance budgétaire ont aggravé les dettes souveraines, et le paradoxe a été que les gouvernements se présentent aujourd’hui en sauveurs d’une faillite qu’ils ont provoquée. S’est généralisée alors une politique monétaire « non conventionnelle » : un rachat massif de dette publique par la Banque centrale, qui émet à cette occasion de la monnaie. C’est le fameux miracle de l’hélicoptère : des billets tombés du ciel ramènent les emplois et la croissance, tout en sauvant les États.

La BCE à son tour aurait-elle oublié son orthodoxie monétaire et son indépendance ? Depuis quelques mois elle a baissé ses taux d’intérêt, dans l’illusion de soutenir la croissance, puis elle s’est mise à son tour à racheter les dettes souveraines les moins solvables, grecque, portugaise, espagnole ou italienne. Ne devra-t-elle pas aussi refinancer les banques privées créditrices des dettes souveraines ? L’avenir est entre les mains du président Draghi.

Qui croire ? Super Mario ou M. Draghi ?

L’arrivée de « super Mario » a été marquée par l’abaissement de 1,5% à 1,25% du principal taux directeur. En ouvrant un peu plus les vannes du crédit, le nouveau président doit penser que l’inflation ne menace pas la zone euro, mais aussi que ce faible taux d’intérêt va aider l’Europe à sortir de la récession. Tout en proclamant son indépendance, il n’est pas insensible au chant des sirènes gouvernementales qui protestent depuis des années contre l’euro fort et craignent de casser une relance problématique. Mais le Président a aussi persévéré avec les mauvaises habitudes prises avant lui. Il n’a pas rompu avec les « politiques monétaires non standards » de rachat des dettes publiques. Il a juste rappelé que ce programme était temporaire. Temporaire ou pas, il se poursuit. De la sorte, la BCE a abandonné, au moins un temps, sa politique statutaire de lutte contre l’inflation.

Certes, Mario Draghi, qui se sait sous surveillance des orthodoxes, notamment allemands, a compensé ses actes par des discours rassurants, expliquant « sa grande admiration pour la tradition de la Bundesbank » et même pour le « Doktor Tietmeyer », l’ancien président de la banque centrale allemande avant l’euro. Qui faut-il croire ? « Super Mario » qui cherche à relancer la croissance, ou M. Draghi qui se présente comme le plus Allemand des Italiens ?

L’inflation, une maladie mortelle

Si l’on regarde la réalité de l’inflation, force est de constater qu’elle est aujourd’hui au-delà de la limite des 2% fixés par la BCE (chiffre qui n’a aucune justification scientifique) : selon les derniers chiffres de l’OCDE (douze mois se terminant en septembre) la hausse des prix a atteint 3% dans la zone euro. Un rapide tour d’horizon montre que les pays qui pratiquent le laxisme monétaire connaissent une vraie poussée inflationniste. La Grande-Bretagne est à 5,2%, les États-Unis à 3,9%, et la moyenne de l’OCDE est à 3,3% ; dans les pays émergents, la Chine a dû commencer à se battre contre l’inflation, qui est à 6,1%, comme le Brésil (7,3%), l’Afrique du sud (5,7%), l’Inde (9,0%) ou la Russie (7,2%) : les BRICS sont largement touchés. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».

Pourtant, en dépit de ces chiffres, il est de bon ton, gouvernements en tête, de soutenir que nous sommes menacés par la déflation. Ceux qui tiennent ce discours veulent dire en fait qu’ils souhaitent l’inflation, considérée par eux, en bons keynésiens, comme l’accompagnement normal de la relance budgétaire. D’ailleurs, avec une inflation forte, le poids de la dette publique n’est-il pas allégé ? Le Monde n’hésite pas à titrer « L’inflation peut-elle résorber les dettes publiques ? » C’est une manière discrète de voler l’épargnant, qui a commis l’imprudence de faire confiance aux États. On accepte ainsi l’idée de « l’impôt d’inflation », impôt le plus injuste parce qu’il diminue le pouvoir d’achat de ceux qui n’en ont pas beaucoup, et parce qu’il ruine l’épargne et la propriété.

Super Mario a-t-il choisi son camp ? La presse hésite. Le Figaro titre « La BCE baisse ses taux dans la crainte d’une récession » et Les Échos « La BCE desserre par surprise l’étau monétaire pour contrer une récession modérée ». Mais Draghi lui-même a rappelé que « la mission de la BCE était la stabilité des prix ». Le Monde est perplexe, titrant « Mario Draghi baise les taux sans s’écarter des dogmes de la Bundesbank » : on est en pleine confusion. Ce journal suggère à M. Draghi de faire « encore un petit effort », employer l’arme monétaire pour la relance ; il lui demande d’être un peu moins allemand et de « rester un peu italien » ! Il faut souhaiter au contraire que M. Draghi, s’il veut être le vrai « super Mario », en fasse le moins possible, s’en tienne au rôle de la BCE fixé par les traités, et n’oublie jamais que l’inflation est une maladie mortelle et que la stabilité des prix est la condition d’une croissance économique durable.

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  • L’objectif, officiel, de la BCE est la stabilité des prix mesurés par l’indice des prix à la consommation. C’est un problème dès qu’il est question de monnaie: les autres possibilités d’inflation sont ignorés, comme celle sur les marchés de matières premières. D’autre part, il n’est pas fait de distinction entre la hausse des prix provoquée par le hausse de la masse monétaire, et celle provoquée par la demande.
    C’est la notion même d’inflation, telle qu’elle est diffusée, comme hausse généralisée des prix à la consommation, qui est à revoir.
    La BCE est-elle indépendante? Elle subit la pression des Etats. Elle a accepté des rachats de dettes, ce qui est une entorse à ses statuts.
    Je crains une fuite en avant monétaire. Quel dommage qu’Axel Weber ne soit pas le nouveau président de la BCE. Mais pourquoi s’est-il retiré ainsi?

  • Mario Draghi ouvrira-t-il les vannes de l’inflation? Poser la question c’est y répondre.

    Il a été nommé précisément pour cela. C’est un ancien de Goldman Sachs, et qu’il a été précisément choisi à ce poste face à un « orthodoxe » allemand.

    Du reste, l’inflation en euro à 3% est donc de 50% supérieure au mandat de la BCE, on le sait depuis septembre, et M. Draghi a baissé le taux directeur de 1.5% à .125%. Emprunter de l’argent n’a jamais été aussi bon marché: c’est moins cher que l’inflation!

    Et nous n’en sommes qu’au début de la politique inflationniste de la BCE.

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