Le mystère du capital

Abordable par tous les publics, l’ouvrage d’Hernando de Soto propose une thèse cruciale pour le développement

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Le mystère du capital

Publié le 2 juillet 2011
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Le mystère du capital, de l’économiste péruvien Hernando de Soto avait fait grand bruit au début des années 2000. Bill Clinton avait consacré notre auteur « sans doute le plus grand économiste vivant » et Hernando de Soto était la star de l’économie, juste avant Joseph Stiglitz.

Si, sur la forme, l’auteur a tendance, notamment dans les deux premiers chapitres, à être quelque peu répétitif dans l’élaboration de son argument, l’ouvrage a le double mérite de proposer une thèse cruciale pour le développement, et d’être abordable par tous les publics.

La thèse ? Que si le capitalisme a marché en Occident, et pas dans les pays pauvres, c’est que ces derniers disposent d’un système juridique encore inadéquat. Les richesses sont là, l’esprit d’entreprise, l’esprit du commerce, l’activité économique sont là. Mais, alors que les pays riches vivent sous une cloche de verre, avec des institutions juridiques formelles et légales, ceux en dehors de la cloche de verre, à sa périphérie, vivent dans l’extra-légalité, dans l’informel, ce qui tend à rendre leur capital (essentiellement leurs maisons ici) mort. Et ce capital mort ne peut libérer l’énergie qui initie la dynamique du développement. De Soto et son équipe ont tenté de mesurer la valeur de ce capital mort. Ils l’estiment à 9300 milliards de dollars, soit 40 fois les aides au tiers monde entre 1945 et 2000… Cette extra-légalité constitue un système d’incitations qui ne sont pas propices au développement.

Pourquoi ces peuples vivent-ils dans l’extra-légalité ?

La réponse est que le processus bureaucratique étatique a bien souvent généré d’impressionnantes absurdités en termes d’autorisations d’ouverture de commerce, de permis de construire etc. Lorsqu’il faut plusieurs années et des dizaines voire des centaines de démarches administratives coûteuses en temps et en argent pour obtenir une autorisation de l’administration, le calcul est simple : il est préférable de vivre dans l’extra-légalité. Les États sont donc ici fautifs. Il semblerait qu’ils mettent tout en place pour empêcher le processus de développement de se mettre en marche.

Cette extra-légalité ne signifie cependant pas une absence de droit ou d’institutions. Il existe en effet des institutions locales pour résoudre les problèmes de conflits habituels. Mais ces arrangements ne sont que des micro contrats sociaux entre personnes qui se connaissent, ou des contrats de protection avec des mafias (ce qui ne correspond pas exactement à l’État de droit, fondamental au développement). Ces arrangements ne permettent pas à la division du travail de s’approfondir pour permettre ce que Karl Popper appelait « la Grande Société ».

Car la conséquence de cette extra-légalité est que la plus grande partie du capital de ces pays reste inutilisable, par exemple dans des processus d’hypothèque. Comment mettre sa maison en gage si on n’est même pas certain qu’elle nous appartient ? Quel banquier accepterait un tel marché ? L’incertitude juridique qui règne autour des droits de propriété dans l’extra-légalité est une incitation puissante à ne pas véritablement faire fructifier son capital. Sans un système de propriété moderne, le capital reste flou. En cherchant à sécuriser la propriété privée, les pays occidentaux ont entraîné une conséquence inattendue : le système de propriété a généré un système de représentation qui a eu au moins six effets.

En premier lieu la propriété permet de fixer le potentiel économique des biens. Sans un système de représentation formelle, cette fixation n’est pas possible.

En deuxième lieu, un système formel de propriété intègre des informations (sur les propriétés) jusque-là dispersées. En Occident le processus qui a permis cette unification (cadastres, registres etc) a pris beaucoup de temps, comme le montre le chapitre sur l’histoire des États-Unis. Mais une fois accompli, on note une corrélation frappante avec l’essor plus rapide du monde occidental.

Un troisième effet de la propriété est la responsabilité qu’elle entraîne. Être propriétaire amène une forme d’identification : on peut être poursuivi en cas de non respect de contrats etc. La propriété formelle engendre donc des incitations en responsabilisant les acteurs, ce qui permet de répandre la confiance entre les membres de la société, même s’ils ne se connaissent pas.

Les propriétés deviennent alors fongibles, et c’est le quatrième effet listé par De Soto. Cela permet des combinaisons de capital, la division des actifs etc., processus cruciaux au développement d’entreprises. Cette formalisation et les effets qui en découlent déjà permettent ainsi la constitution de réseaux. C’est un point extrêmement important : le progrès économique vient de la division progressive du travail et de la connaissance, c’est-à-dire une mise en connexion du réseau social.

Enfin, le suivi des propriétés par un système formel permet de rendre plus sûres les transactions.

Hernando de Soto

De Soto est conscient des difficultés à passer d’un système informel où se mêlent différents systèmes institutionnels, à un système formel unifié.

Son chapitre sur l’histoire américaine et celui sur la défaillance du droit témoignent d’ailleurs de la complexité de la tâche. Il reste cependant très optimiste quant à une politique de formalisation rapide.

Pourtant, si on a bien sûr envie avec l’auteur d’accélérer la formalisation rapide des titres de propriété, pour qu’enfin le développement de milliards d’individus se concrétise, on ne peut ignorer que cette propriétarisation forcée des zones extra-légales pourrait mener à une autre forme de chaos social. Particulièrement lorsque le processus de formalisation sera mené par l’administration d’États qui ne sont pas loin d’être des mafiocraties. Exactement comme c’est le cas pour l’importation de la démocratie à l’occidentale, l’importation d’institutions allogènes dans un ordre institutionnel complexe peut générer le contraire de ce que l’on cherche à promouvoir. Le risque est de tomber dans une forme de constructivisme social, venant de l’extérieur, et il faut donc manipuler avec précaution certaines prescriptions possibles. Et l’auteur semble bien conscient des conditions de réussite d’une telle politique.

Cependant, en dépit de ces remarques pour mitiger l’enthousiasme de certains à l’endroit des politiques que pourrait inspirer ce livre, on ne peut que saluer l’initiative de l’auteur et de son Institut pour la liberté et la démocratie. Il a permis en effet de mettre en lumière un aspect crucial du lien entre institutions et développement.

Et De Soto a fait œuvre utile : car s’il parait risqué de mettre en place des politiques massives de propriétarisation forcée venant de la cloche de verre, il est certain que la diffusion de la connaissance et le débat initiés à l’extérieur de la cloche autour des idées forces de cet ouvrage permettront sans doute à beaucoup de réaliser où est la porte de sortie de la pauvreté. Il faut arriver à faire apprécier et partager la valeur de ces idées, qui sont bonnes -rappelons-le, avant de vouloir les imposer par le haut. À cet égard, notons que De Soto a donné nombre de conférences dans les quartiers pauvres pour propager la bonne parole.

 

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Article repris d’UnMondeLibre.org, avec l’aimable autorisation d’Emmanuel Martin.

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