La mère de toutes les crises

Une « bulle spéculative » ça n’est rien d’autre que de l’inflation sur des actifs financiers ou immobiliers

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Bulles (Crédits : Charbel Akhras, licence CC-BY-ND 2.0), via Flickr.

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La mère de toutes les crises

Publié le 4 avril 2011
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Par Guillaume Nicoulaud.

Bulles (Crédits : Charbel Akhras, licence CC-BY-ND 2.0), via Flickr.
Bulles (Crédits : Charbel Akhras, licence CC-BY-ND 2.0), via Flickr.

Aux lendemains immédiats de l’explosion de ce que l’histoire retiendra sous le nom de « bulle Internet », la banque centrale américaine a fait baisser les taux du marché interbancaire à des niveaux historiquement bas. L’objectif d’une telle politique consiste à inciter les banques – qui peuvent désormais emprunter à moindre coût entre elles – à baisser le taux des crédits qu’elles accordent à l’économie de manière à ce que les entreprises et les particuliers soient à leur tour encouragés à s’endetter pour investir et, c’est la finalité, relancer l’activité économique. C’est ce qu’on appelle une « politique monétaire accommodante » et c’est ce que la Fed a fait de 2001 à 2004 en maintenant le taux des Fed Funds en deçà de 2%. Répétons le point précédent pour qu’il soit bien clair. La Federal Reserve a mis en place une politique dont l’objectif explicite et tout ce qu’il y a de plus officiel est de faire en sorte que les ménages et les entreprises américaines s’endettent, investissent et relancent la croissance.

Pour faire baisser le taux des Fed Funds, la Fed a procédé comme à son habitude par ce qu’on appelle une opération d’Open Market. Une petite explication s’impose : vous en avez certainement entendu parler, « le gouvernement américain dispose d’une technologie, appelée la planche à billet, qui lui permet d’imprimer autant de dollars américains qu’il le souhaite pour un coût virtuellement nul » [1]. Eh bien une opération d’Open Market consiste à faire tourner cette planche à billet [2] et à utiliser ces dollars fraîchement imprimés pour acheter des obligations émises par Oncle Sam. Lorsque les créanciers du gouvernement cèdent leurs obligations à la banque centrale, ils reçoivent en échange les dollars en question qui finissent naturellement au crédit de leurs comptes bancaires. Du coup, les banques disposent d’argent frais qu’elles vont pouvoir à leur tour prêter dans les limites des réserves obligatoires imposées par la même Fed : c’est ce qu’on appelle le « multiplicateur monétaire ». Le système bancaire étant maintenant inondé d’argent frais, les banques acceptent de se prêter entre elles à des taux plus bas : c’est l’effet recherché, le taux moyen du marché interbancaire – les Fed Funds aux Etats-Unis – baisse, les gens s’endettent et si tout va bien la croissance repart.

Vous vous en doutez, ce genre de manipulations a ses limites. Et la limite la plus immédiate et la plus importante, c’est l’inflation. À ce stade, vous devez savoir ce qu’est une monnaie : en principe, une monnaie c’est un bien comme un autre que nous utilisons pour trois raisons principales : c’est un intermédiaire de nos échanges (elle permet d’éviter les nombreux inconvénients du troc), une unité de compte (elle permet de chiffrer le prix des choses) et c’est une réserve de valeur (elle nous permet de décaler notre consommation dans le temps). Un machin – quel qu’il soit, de la pièce d’or au collier de coquillage – qui permet de remplir ces trois fonctions est de facto une monnaie. À tout moment, dans une économie, il y a une demande de monnaie qui dépend des besoins des acteurs de la vie économique tandis que l’offre est définie par la banque centrale. Si cette dernière crée un offre trop abondante de monnaie par rapport à la demande, la valeur de la monnaie – c’est-à-dire son pouvoir d’achat – baisse et ce phénomène, qui se matérialise par une hausse des prix, on l’appelle l’inflation.

Le mandat d’une banque centrale moderne comporte en général deux volets : le premier, nous venons de le voir, consiste à créer les conditions de la croissance en maintenant un niveau de taux d’intérêts raisonnablement bas mais le second consiste précisément à préserver la valeur à long terme de la monnaie – c’est-à-dire à pratiquer une politique de taux raisonnablement élevés afin d’éviter que l’inflation ne dérape. Un banquier central, c’est un petit peu comme un équilibriste aveugle qui marche sur un fil placé à dix mètres du sol et qui sait que, s’il trébuche, c’est une économie toute entière qu’il entraine dans sa chute. C’est pour pallier cette difficulté – qui consiste ni plus ni moins qu’à se substituer au marché pour fixer le niveau optimal des taux d’intérêt – que nos équilibristes se sont dotés d’une véritable armada d’économistes et de statisticiens qui surveillent en permanence le moindre mouvement de prix et le moindre soubresaut de croissance. En particulier les banques centrales utilisent un outil central – les indices des prix à la consommation – pour repérer le plus rapidement possible un éventuel dérapage de l’inflation. Si de tels signes apparaissent, ces vénérables institutions procèdent en sens inverse : elles cherchent à faire remonter le taux du marché interbancaire en revendant leurs obligations pour « pomper » les liquidités en circulation dans l’économie et assécher le marché interbancaire – on parle alors d’une « politique monétaire restrictive ».

Or voilà, lorsque la Fed pratique sa politique accommodante entre 2001 et 2004, il très vraisemblable qu’elle ait maintenu les taux trop bas et trop longtemps. Mais il y aurait dû avoir de l’inflation me direz-vous ? Oui mais cette inflation est arrivée à un endroit où la Fed ne l’attendait pas. Le problème qui se posait à l’époque, c’est que les entreprises s’étaient trop endettées et avaient beaucoup trop investi – notamment dans les fameuses « nouvelles technologies ». La bulle Internet est une crise de surinvestissement parfaitement similaire à celle qu’a connu le Japon à la fin des années 1980 [3]. En conséquence de quoi, lorsque la Fed fait baisser les taux, les entreprises refusent de contracter de nouveaux crédits et, au contraire, se concentrent sur leur désendettement. On se retrouve dans une situation où le système bancaire est littéralement inondé de dollars frais mais où les entreprises n’empruntent pas. Résultat : ces dollars ne créent pas d’investissement, pas de croissance, pas d’embauche, pas de hausse des salaires et donc, in fine, pas d’inflation au sens des fameux indices des prix à la consommation.

Par contre, cet argent a bien fini par circuler : il a servi à accorder massivement des prêts immobiliers et le surplus s’est retrouvé sur les marchés financiers. Ce qui fit qu’il y avait bien de l’inflation mais sur les prix de l’immobilier et les actifs financiers – actions, obligations, etc. Ce fut, comme vous le savez certainement, une période faste pour les banquiers qui profitaient des politiques volontaristes en faveur de l’accession à la propriété, de la garantie implicite d’Oncle Sam et d’une source virtuellement infinie de dollars pratiquement gratuits. Ça devait mal finir et, en effet, ça a mal fini.

Le plus triste, finalement, c’est que plusieurs économistes avaient décrit ce phénomène… dans les années 1920. Cette théorie porte même un nom : la « théorie autrichienne des cycles économiques ». J’avais étudié cette idée dans mes années de fac et, pour être honnête, je n’avais pas compris grand-chose et n’était du coup pas du tout convaincu. Mais cette fois-ci, je l’ai vu le cycle. Il était là, devant moi, en train de dérouler sa logique implacable devant mes yeux. Et tout est arrivé comme dans une histoire déjà écrite : c’était de l’inflation ; une « bulle spéculative » ça n’est rien d’autre que de l’inflation sur des actifs financiers ou immobiliers.

Et pour conclure, une simple question : qu’ont fait les banques centrales depuis fin 2008 ?

Notes :

[1] Ben S. Bernanke, gouverneur de la Fed, dans un discours du 21 novembre 2002.
[2] En réalité, c’est une image. La plupart des dollars créés par la Fed ne le sont pas sous forme de billets de banque mais sous forme électronique.
[3] Et je laisse deviner ce que fut la politique monétaire à la fin des années 90 aux USA et au milieu des années ’80 au Japon…

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