Pourquoi je déteste l’État-providence

Pousser un soupir d’épuisement et de soulagement avant d’aller travailler pour 1500 euros bruts par mois

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Bisounours sur un mur à San Francisco (Crédits istolethetv, licence Creative Commons)

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Pourquoi je déteste l’État-providence

Publié le 20 février 2011
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Un article de Marion Messina, repris de Marie-Thérèse Bouchard avec son aimable autorisation.

 

Lorsque la sonnerie de son réveil retentit, les heures passées depuis minuit se comptent sur les doigts d’une main. Elle prend ses fringues, les enfile, boit un verre d’eau, s’étrangle à moitié, sort de chez elle, claque la porte, ne retrouve pas ses clefs, vide son sac, râle, maudit, court dans les escaliers, remonte la rue péniblement, arrive à la gare, valide son pass, court dans un couloir, monte les escaliers, descend en escalator, remonte des marches, revalide son pass, regarde l’écran, fonce sur le quai, bouscule, s’excuse, monte dans le train et s’affale sur son siège, la poitrine douloureuse et le souffle coupé. À la même seconde, des millions de vendeuses en boulangerie, agents de sécurité, hôtesses d’accueil, chargées de clientèle, conseillères de vente, agents d’entretien, hôtesses de caisse, assistantes maternelles, agents de restauration poussent le même soupir d’épuisement et de soulagement avant d’aller travailler pour 1500 euros brut par mois.

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En France, le pays où il fait bon vivre et où le pouvoir d’achat progresse d’année en année, le couple lambda a peu à peu remplacé Carrefour par ED, les caddies ne se remplissent plus qu’à moitié de produits avec smileys annonçant le prix numéro 1, les enfants ont chacun leur portable et dans le salon, le vieux poste de télévision est remplacé par un superbe Plasma payé avec le 13e mois. Même si la femme travaille, il devient inenvisageable de pouvoir un jour devenir propriétaires d’un F3 en banlieue sans un crédit de 25 ans, alors que le simple loyer, le chariot mensuel et la facture d’électricité pompent déjà 75 % du salaire de madame. En travaillant 39 heures comme vendeuse de croissants à La Mie câline rue Robespierre elle gagne 1195 euros net, ce qui lui permet parfois de se payer des petits plaisirs comme un shamp-coop-brush chez Liné’Hair coiff’ au centre commercial.
Une vie aussi bandante qu’un viol de prostituée dans une séquence de Derrick qui en dit long sur le niveau de vie de nos concitoyens, sommés de ne pas se plaindre puisque l’État, mère poule et père fouettard, leur file généreusement et sans explication aucune une allocation pour alléger le loyer, un chiffre appelé « quotient familial » qui détermine le coût des coquillettes-dinde hallal-compote de pommes à la cantine de l’école Paul-Langevin et le prix d’une année de batterie à l’école de musique Jean Ferrat pour l’aîné. Quand le cadet aura 12 ans on lui expliquera durant ses cours d’éducation civique que cet ensemble d’allocations versées, c’est l’État-providence.
Et l’État-providence, ses parents, ils l’aiment puisqu’il leur permet de se faire soigner « gratos » et ça, ça n’a pas de prix. Avec l’État-providence, souvent désigné par ses avatars « Sécu » et « Caf », on peut se faire enlever un cor au pied et avoir une trithérapie sans avance de frais, cas dans lesquels 95 % des personnes finançant ce régime se trouvent confrontées au moins une fois dans leur vie. En revanche, pour peu que Jean-Pierre qui cotise comme un porc depuis des années ne coche pas la bonne case sur son formulaire de prise en charge en milieu hospitalier, l’avance est bel et bien pour lui tandis qu’il doit se faire opérer de son hernie sous anesthésie générale. Ah, Jean-Pierre s’il avait su ! Bien entendu, si sa banque est un peu conciliante il pourra traîner sur plusieurs mois un découvert de plusieurs milliers d’euros avant qu’une technicienne de dossier à la cpam réalise qu’elle n’a pas son rib pour le remboursement.
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Puisque tous les méchants « réacs » d’extrême droite écoutent en larmes les chœurs de l’Armée Rouge et les discours de Georges Marchais, je me permets de publier à ce niveau du billet cet extrait du Pavillon des cancéreux d’Alexandre Soljenitsyne (qui n’écrivait pas sous pseudo à sa sortie du Goulag pour critiquer l’URSS).
Contexte : une cancérologue adepte de mener des thérapies sans donner d’explications au patient apprend qu’elle est atteinte du trouble dont elle est la spécialiste. Désireuse d’avoir un avis franc et sincère sur son cas, elle se rend chez un ancien médecin, privé du droit d’exercer par les communistes.
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« Combien en faudrait-il de ces médecins de famille ? Cela ne pourrait plus entrer dans notre système de médecine publique, populaire et gratuite.

– Publique et populaire, si. Gratuite, certes non.

– Et pourtant la gratuité, c’est notre principale réussite.

– Est-ce vraiment une réussite ? Que signifie « gratuite » ? Les docteurs, eux, ne travaillent pas pour rien. Seulement, ce n’est pas le patient qui les paye mais le Trésor de l’Etat qui, lui, est alimenté par ces mêmes patients. Et si cet argent était laissé au patient, il y regarderait peut-être à deux fois avant d’aller voir le docteur ; mais s’il en avait réellement besoin, il irait plutôt deux fois qu’une.

– Mais voyons, ce ne serait plus dans ses moyens !

– Au Diable les rideaux neufs et la seconde paire de chaussures si la santé n’y est pas ! Et c’est mieux maintenant ? On donnerait n’importe quoi pour être reçu avec un peu de chaleur et on n’a pas où aller : partout ce ne sont qu’horaires, normes de travail, au suivant ! Même dans la polyclinique payante où c’est encore plus expéditif qu’ailleurs. Et encore, pourquoi y va-t-on? Pour des certificats, des demandes de congé, des examens de contrôle, et le travail du docteur consiste à démasquer les impostures. Le malade et le docteur sont de véritables ennemis. C’est ça qu’on appelle la médecine ? »

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Ok, là, Jean-Pierre est en interdit bancaire, il ne rencontre pour son problème de remboursement que des licenciées en moldave et des géothermiciens qui ont passé un concours de la fonction publique pour accomplir leur vocation de fonctionnaire au sein de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Clermont-Ferrand. Mais faire autrement, ce serait du libéralisme et comme il l’a entendu aussi bien sur Causeur que chez les Guignols de l’Info, le libéralisme est à l’origine de la perte des identités, de la baisse des salaires, et des immigrés qui lui font baisser les yeux dans sa cage d’escalier. Bon, reprenons.

Quand Jean-Pierre bosse 35 heures par semaine, il gagne tout juste de quoi se loger et se nourrir. Il ne peut espérer obtenir un jour une augmentation puisque pour financer tous les services publics gratuits, son employeur paye l’équivalent de deux salaires par employé pour régler ses charges patronales et les cotisations sociales. Mais avoir le choix de ne pas cotiser pour un simulacre d’organisation de la santé publique pour souscrire à une assurance privée qui lui remboursera en temps et en heure les dépenses dont lui seul a besoin est interdit. Ce qui n’est plus ni moins que du communisme, ce que ce pays soumis à l’ultra-libéralisme semble oublier. Non, le problème c’est Mamadou-Khader, le Benetton de la racaillerie à Air Max, qui n’en branle pas une de la journée et qui bénéficie des vacances à la mer que Jipé ne peut pas payer à ses gamins. Eux, si ils sont là, c’est à cause du grand patronat, beuglent à l’unisson le faf et le bolcho.

Seulement, le libéralisme n’a jamais prévu de financer à Mamadou et à Mohammed, les parents de Mamadou et Khader, une école gratuite, un logement avec balcon, une retraite même si on n’a jamais travaillé sur le territoire et l’avocat commis d’office si la pedologue d’Aïssata refuse de gratter les cors avec une statuette vaudoue.

Le but du jeu donc, c’est de prendre votre argent, vous obliger à vivre dans des cases, à attendre un formulaire pour entrer à l’hôpital même en ayant déjà craché votre plèvre et à trimer pour ne bénéficier que de miettes, présentées comme des pépites d’or. Vous serez heureux d’aller travailler pour financer les mosquées, les stages Hip Hop, les campagnes de prévention anti-tabac, l’aide médicale d’État, les aires d’accueil pour gens du voyage et les initiations au parachute des lycéens de ZEP.

Pendant des années, votre unique désir était que seuls vos compatriotes puissent bénéficier des allocations chômage, du Rmi et de ces subventions à l’assistanat, ces perfusions pour minimum vital, cette émasculation de l’autonomie, cette rupture avec l’indépendance. Vous comprenez désormais que l’EP est un système vicié, pourri, qui rend les gens malheureux et esclaves des dizaines d’euros qu’une bureaucratie saurait se montrer bien bonne de vouloir leur donner.

Vous vous réveillez. Bienvenue dans la France d’après, ses 1500 milliards de dettes, sa paix sociale précaire, ses classes moyennes paupérisées, sa médecine à deux vitesses, ses ouvriers et paysans devenus machines à mendier de la sub’.

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  • « l’avance est bel est bien pour sa gueule » (bel ET bien)

  • Oh ! C’est une très bonne chose de remplacer automatiquement les guillemets à l’anglaise par nos guillemets à la française.

    Merci Contrepoints :’)

  • Ah oui alors, les guillemets à l’anglaise  » « , c’est ultra libéral. Les bons guillemets à la Française, c’est solidaire, citoyen et festif.

    • N’importe quoi.
      Respecter la typographie n’a rien à voir avec la bien-pensance gauchiste ; singer la prose de h16 ne rend pas le propos plus pertinent.

  • Les commentaires sont fermés.

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