L’Eurozone de tous les risques (2e partie)

Alors qu’on ne sait toujours pas clairement où les développements futurs vont mener l’Eurozone, les coûts et risques à maintenir le système sont déjà immenses et s’accroissent.

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L’Eurozone de tous les risques (2e partie)

Publié le 26 avril 2012
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Alors qu’on ne sait toujours pas clairement où les développements futurs vont mener l’Eurozone, les coûts et risques à maintenir le système sont déjà immenses et s’accroissent.

Par Philipp Bagus, professeur associé à l’Universidad Rey Juan Carlos, de Madrid, Espagne.

Lien vers la 1ère partie

La redistribution avant les plans de sauvetage : taux d’intérêts et flux monétaires

Un coût important de l’Eurosystème est la redistribution contenue dans son logiciel. Cette redistribution bénéficie à certains pays aux dépens d’autres. Avant les plans de sauvetage de 2010, elle était principalement due aux ajustements des taux d’intérêts et à la création monétaire.

Juste avant la mise en place de l’euro, les Etats les plus mal gérés se sont mis à bénéficier de la garantie implicite des Etats les mieux gérés. Leurs taux d’intérêt ont chuté au niveau de ceux de l’Allemagne.

Taux d’intérêt à trois mois pour l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal (1987-1998), Source: Eurostat

Un autre facteur de la réduction des taux d’intérêt dans les pays de la périphérie a été la réduction de la prime d’inflation des taux d’intérêts. La prime d’inflation a chuté parce que les prévisions d’inflation ont été réduites. En effet, la Banque Centrale Européenne (BCE) était supposée agir comme la Bundesbank.

Ces taux d’intérêt abaissés ont permis aux pays d’engranger les déficits et d’accumuler des dettes publiques plus élevées. On pouvait accumuler plus de dette que ça n’aurait été possible sans la garantie de pays comme l’Allemagne.

Les taux d’intérêt faibles couplés à la politique monétaire expansionniste de la BCE ont mené à des distorsions dans les économies de la périphérie. L’Etat grec utilisa le taux d’intérêt faible pour construire un parc d’aventures public. L’Italie retarda des privatisations nécessaires. L’Espagne étendit le secteur public et construit une bulle immobilière. L’Irlande ajouta à sa bulle immobilière une bulle financière. Ces distorsions étaient causées en partie par la convergence des taux d’intérêts de l’UEM et des politiques expansionnistes de la BCE. Bien sûr, les personnes liées aux activités de bulle dans ces pays – comme les fonctionnaires et les ouvriers du bâtiment – en profitèrent. Cependant, la population en général y perdit, de part une extension du secteur public et une réduction du secteur privé, ou les malinvestissements dans l’industrie de la construction.

Si les emprunteurs privés et publics de la périphérie profitaient des taux d’intérêt faibles dus à l’euro, il fallait bien que quelqu’un le paie. Les garanties implicites de sauvetage étaient données par des pays plus productifs comme l’Allemagne. En raison de cette garantie, l’Etat allemand devait payer des taux d’intérêt marginalement plus élevés qu’il n’en aurait payé sinon.

En somme, l’UEM et sa « solidarité » assumée, connait une redistribution du fait de la convergence des taux d’intérêt. Les gouvernements irresponsables y gagnent aux dépens des gouvernements plus responsables.

Les gouvernements irresponsables y gagnent aussi d’une autre façon – par la création inégale de monnaie. Un pays dans son ensemble peut y gagner s’il possède des déficits publics plus élevés que les autres pays. Son gouvernement émet des obligations d’Etat qui sont achetées par les banques qui cherchent à les utiliser comme collatéral pour emprunter à la BCE. La masse monétaire augmente. Les premiers receveurs de la novelle monnaie y gagnent aux dépens des receveurs futurs. Prenons l’exemple grec : la BCE accepte les obligations grecques comme collatéral pour ses opérations de prêt. Les banques européennes peuvent donc acheter des obligations grecques et les utiliser pour obtenir un prêt à bas taux auprès de la BCE.

Les banques ont acheté les obligations grecques parce qu’elle savait que la BCE les accepterait comme collatéraux dans de nouveaux prêts. Comme le taux d’intérêt payé à la BCE était plus faible que celui reçu par la Grèce, il y avait de la demande pour les obligations grecques. Si la BCE n’acceptait pas les obligations grecques comme collatéraux dans ses prêts, la Grèce aurait dû payer des taux d’intérêt bien plus élevés. Ainsi, la Grèce était renflouée ou soutenue par le reste de l’UEM depuis longtemps 1.

Les coûts étaient en partie rejetés sur les autres pays de l’UEM. De nouveaux euros ont été créés de manière effective par la BCE lorsqu’elle a accepté les obligations grecques comme collatéraux. La dette grecque a été monétisée et le gouvernement grec a dépensé l’argent reçu des obligations afin de s’assurer le soutien de sa population. Alors que les prix commençaient à monter en Grèce, cet argent se dispersait dans les autres pays, faisant grimper les prix dans toute l’UEM. A l’étranger, les gens ont alors vu le coût de leurs achats augmenter plus vite que leurs salaires. C’était un signe de la redistribution en faveur de la Grèce. L’Etat grec était renfloué par un constant transfert de pouvoir d’achat du reste de l’Europe.

La tendance à l’augmentation de la taille de l’Etat

L’incitation aux hauts déficits a des effets secondaires. Les gouvernements traditionnellement irresponsables en termes de budget voient dans l’Eurosystème une chance de profiter de déficits plus élevés. De cette façon, ils peuvent gagner des voix et augmenter le pouvoir de l’Etat. Aussi bien les faibles taux d’intérêt que la création monétaire bénéficient à ces Etats. En parallèle, cela incite les gouvernements les plus responsables à dépenser plus. Pourquoi réduire la dépense publique pour que cela profite aux gouvernements qui multiplient les déficits pour profiter de la redistribution monétaire ? Alors que les gouvernements accroissent les dépenses, la taille des Etats augmente.

L’augmentation des dépenses publiques fait que plus de ressources sont alors prises du secteur privé où elles se concurrençaient pour satisfaire les besoins des consommateurs, pour être mises dans le secteur public où elles servent les fins des hommes politiques. L’augmentation de la taille des Etats cause alors une perte de productivité et une réduction du niveau de vie.

Sauvetages, subventions et transferts ouverts

Les incitatifs et mécanismes de l’Eurosystème mènent à des deficits excessifs et à l’augmentation des dettes. La crise financière de 2008 a amené les acteurs du marché à douter de l’engagement des gouvernements les mieux gérés et la BCE à renflouer les gouvernements les plus mauvais. En raison du renflouement des banques et de l’augmentation de la dépense publique, les déficits et les dettes ont explosé en 2008 et 2009. L’Allemagne sera-t-elle en mesure et voudra-t-elle soutenir les gouvernements de la périphérie ?

L’augmentation des taux des gouvernements de la périphérie, leur situation budgétaire intenable et leurs engagements incertains ont mené aux plans de sauvetage de la Grèce I (110 milliards €) et II (130 milliards €), de l’Irlande (85 milliards €) et du Portugal (78 milliards €). Ces sauvetages totalisent 413 milliards €. Les pertes éventuelles sont supportées par les contribuables des pays mieux gérés. 2

En plus de ces sauvetages, le FESF a été installé. Son montant est voué à dépasser 1000 milliards €. La part des garanties de l’Allemagne est de 211 milliards €. Si d’autres pays qui garantissent cette somme se retrouvent dans des difficultés budgétaires, la part de l’Allemagne augmentera.

Cependant, le montant du FESF ne sera pas suffisant. Pour garantir réellement les dettes de la périphérie, le fonds doit être élevé à 1 450 milliards €3. Selon un rapport de Bernstein, lorsque les garanties de l’Italie et des autres pays de la périphérie diminueront, l’Allemagne se retrouvera à devoir garantir 790 milliards € soit 32% de son PIB. Si la France perd son AAA, la part de l’Allemagne montera à 1 385 milliards € soit 56% du PIB allemand (près de 17 000 € par personne).

Les contribuables doivent en plus contribuer indirectement au travers de l’engagement du Fonds Monétaire International (FMI). Au même moment, ils pourraient en plus payer les pertes dues aux renflouements organisés par la BCE. La BCE a acheté plus de 183 milliards € d’obligations des gouvernements périphériques depuis début novembre 2011 à un prix croissant. Chaque perte est supportée à 27% par l’Allemagne. 4

De plus, la BCE a accepté les obligations des pays de la périphérie comme collatéraux. Si un Etat fait défaut, il emportera probablement avec lui une grande partie de son système bancaire qui avait acheté ses obligations. A son tour, le système bancaire se retrouvera dans l’impossibilité de rembourser ses emprunts à la BCE. Celle-ci se retrouvera alors avec le collatéral (la garantie du prêt) : à savoir des obligations d’un Etat en défaut. Raoul Ruparel et Mats Persson (2011) du think-tank OpenEurope ont calculé en juin 2011 que le défaut grec (restructuré à 50%) coûterait à la BCE entre 44,5 et 65 milliards d’euros. Ces sommes ont augmenté depuis juin 2011 et vont continuer à augmenter à l’avenir. Les gouvernements de la périphérie continuent d’accuser des déficits (substantiels), la BCE achète toujours plus d’obligations, et les banques de la périphérie accroissent leur refinancement par la BCE. 5

Un autre mode de soutien aux pays de la périphérie vient du système TARGET2. Il y a dans l’Eurosystème et ses banques centrales nationales des comptes créditeurs et débiteurs qui ne sont pas compensés. Fin octobre 2010, la Bundesbank avait 326 milliards € de créances alors que les pays de la périphérie avaient 335 milliards € d’engagements (Sinn et Wollmershäuser 2011, p.5). Les créances de la Bundesbank ont fortement grimpé à 616 milliards € en Mars 2012.

Le système TARGET2 fonctionne de la façon suivante : imaginons qu’un déposant grec transfère son argent de sa banque grecque à une banque allemande. Il en résulte que la banque allemande réduit son refinancement auprès de la Bundesbank et la banque grecque accroit son refinancement auprès de la Banque centrale de Grèce.

La Bundesbank possède alors une créance envers l’Eurosystème et la Banque de Grèce une dette. En théorie, ces créances pourraient être compensées en transférant des actifs tel que de l’or de la Banque de Grèce à la Bundesbank. Mais ces créances ne sont en réalité jamais payées dans l’Eurosystème, et les bilans se déséquilibrent continuellement. Lorsque la banque grecque finit par faire défaut, les pertes sont partagées par toutes les banques centrales de l’Eurosystème et finissent par retomber sur les contribuables.

Suite et fin de l’article

Article original. Traduction GB/Contrepoints.

  1. Voir Bagus (2010) pour une analyse détaillée de la tragédie des biens communs impliquée par l’Eurosystème
  2. La part du FMI est environ de 108 milliards €. La part de l’Allemagne dans le FMI est environ de 6% soit 6,5 milliards €. Les chiffres incluent également les prêts du gouvernement britannique accordés à l’Irlande à hauteur de 3,25 milliards de livres.
  3. Voir Zerohedge (2011).
  4. Voir SpiegelOnline (2011).
  5. L’IFO-Institute a calculé le risqué total pour l’Allemagne en septembre à 465 milliards € (Sinn 2011).
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