Venezuela : combien vaut vraiment le bolivar ?

Au marché noir de Cúcuta (Colombie), où les Vénézuéliens viennent faire leurs emplettes, le bolivar ne vaut plus grand chose.

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Venezuela : combien vaut vraiment le bolivar ?

Publié le 13 octobre 2014
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Par Guillaume Nicoulaud

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Lorsque le bolivar fuerte (VEF) a été créé le 1er janvier 20081, la parité officielle fixée par le régime bolivarien était de 2,15 bolivars pour un dollar américain. Depuis, il a été officiellement dévalué deux fois : une première fois à 4,3 bolivars pour un dollar en janvier 2010 puis à 6,3 bolivars pour un dollar en février 2013. Voilà pour la version simple. En réalité, c’est un peu plus compliqué puisque cette parité officielle ne s’applique qu’à une liste d’usages précis – principalement l’importation de produits de première nécessité. Pour le reste, le gouvernement bolivarien a créé deux « systèmes alternatifs » – Sicad I et II – au travers desquels la Comisión de Administración de Divisas fourni des dollars nettement plus chers : 12 bolivars et (environ) 50 bolivars respectivement.

On a donc trois parités officielles – le dollar à 6,3 bolivars, à 12 bolivars ou à 50 bolivars – auxquelles viennent se rajouter les parités officieuses de la rue, celles du marché noir. La plus célèbre d’entre elles, celle de dolartoday.com, c’est le prix auquel les Vénézuéliens – vraisemblablement qui vivent autour de San Cristobal – bradent leurs bolivars dans les rue de Cúcuta en Colombie : au moment où j’écris ces lignes, le 10 octobre 2014, le dollar s’y négocie à pas moins de 98,74 bolivars. Mais de toutes évidences, il y a plusieurs marchés noirs. Par exemple, on entend souvent parler de l’aéroport de Maiquetía et il semble que les prostituées vénézuéliennes jouent également le rôle d’agents de change2.

D’où la question : combien vaut vraiment un bolivar ?

À vrai dire, la question est sans doute mal posée. Il est impossible de dire combien vaut un bolivar parce qu’il n’y a pas un marché mais, sans doute, une multitude de marchés ; des marchés locaux, soumis à des contraintes très spécifiques et entre lesquels les prix sont susceptibles de varier considérablement. Considérez, par exemple ceci : un Big Mac, au Venezuela, se vend 92 bolivars. Au taux de change officiel de 6,3 Bs pour un dollar, ça nous donne 14,6 dollars ; c’est le Big Mac le plus cher du monde, il est presque deux fois plus cher que son équivalent norvégien3. Maintenant, si vous faites le même calcul avec le prix de Cúcuta, vous obtenez un Big Mac à 93 cents ; cette fois-ci c’est le moins cher du monde et il est presque deux fois moins cher que son cousin ukrainien.

Aucun de ces deux résultats n’est crédible. Le cours officiel est une farce, c’est entendu, mais le prix du marché noir, celui de Cúcuta, exagère sans doute la dévaluation du bolivar. Plutôt qu’un long discours, je vous propose de faire un petit tour à Cúcuta.

Je ne sais pas ce que vous aviez en tête quand on vous parlé pour la première fois du marché parallèle de Cúcuta mais si vous imaginiez Wall Street en Colombie ou une transaction à la sauvette au fond d’une cour crasseuse, vous allez être déçus. Les prix que nous donne DolarToday viennent de casas de cambio qui ont tout à fait pignon sur rue mais qui n’ont pas grand-chose à voir avec les gratte-ciels new-yorkais. Si j’en crois les Paginas Amarillas, il y en a une quinzaine et les locaux de Titán Intercontinental (premier résultat de la recherche) ressemblent à ça :

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Derrière le fourgon jaune, à droite de l’opticien.

 

Voilà à quoi ressemble un casa de cambio de Cúcuta. Vous avez déjà certainement vu ce type d’établissement : chez nous aussi, on en trouve un peu partout et en particulier près des zones commerçantes qui sont susceptibles d’accueillir des touristes. Or justement, si vous allez faire un tour dans les rues de Cúcuta (Street View, Titán Intercontinental est juste à gauche de la cathédrale San José), vous observerez sans doute que ce bled est diablement commerçant.

Bref, je vous fiche mon billet qu’une solide proportion des gens que vous voyez sur ces photos sont des Vénézuéliens, sans doute venus de San Cristobal faire des emplettes en Colombie : Cúcuta n’est qu’à une heure de voiture et ici, les magasins sont pleins. En d’autres termes, les prix pratiqués sur le marché parallèle de Cúcuta ce sont des prix au détail et vous pouvez être certains que les cambistes locaux profitent sans aucune vergogne de l’abondante clientèle que leur envoie le régime bolivarien4.

Dès lors, nous avons de solides raisons de penser que le dólar paralelo repris un peu partout dans la presse ne nous dit pas vraiment ce que vaudrait le bolivar en l’absence de contrôle des changes. C’est une borne basse, le prix de Cadivi II peut faire office de borne haute et il y a fort à parier que la vrai valeur du bolivar est plus proche de sa borne basse que de sa borne haute. Pour l’instant, on n’en sait guère plus.

—-
Sur le web.

  1. Il remplaçait le bolivar tout court (VEB) qui, jusqu’au 18 février 1983 (le Vienes Negro), s’échangeait à raison de 4,3 bolivars par dollar avant de connaitre une dévaluation assez spectaculaire : à la fin de l’année 2007 et alors qu’un contrôle des change était déjà en place depuis 2003, il en fallait 2 150 pour acheter un dollar.
  2. Anatoly Kurmanaev, Venezuelan Prostitutes Earn More Selling Dollars Than Sex sur Bloomberg.com (9 juin 2014).
  3. Pour une liste de prix surréalistes au Venezuela, consultez ce billet de zerohedge.com.
  4. Et on peut légitimement se demander si ces bolivars ne repassent pas la frontière dans l’autre sens pour y acheter, par exemple, de l’essence…
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