« Ils ont perdu la raison » de Jean de Kervasdoué

L’ouvrage de Jean de Kervasdoué montre de manière argumentée que notre époque est bien celle de l’avènement des sophistes.

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Ils ont perdu la raison, par Jean de Kervasdoué (Crédits : Robert Laffont, tous droits réservés)

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« Ils ont perdu la raison » de Jean de Kervasdoué

Publié le 15 juillet 2014
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Par Francis Richard

Ils ont perdu la raison, par Jean de Kervasdoué (Crédits : Robert Laffont, tous droits réservés)Jean de Kervasdoué vient du Parti socialiste français – il a participé aux premières réunions de sa « commission recherche ». De militant, il est devenu simple compagnon, se disant et se pensant toujours de gauche, parce qu’engagé « pour une société plus juste ». Son éloignement est dû à l’abandon par le parti de ses convictions en matière de progrès, notamment scientifique. Il sait très bien, comme ceux de sa génération, qui n’ont pas perdu la mémoire – il est né en 1944 –, tout ce que l’humanité lui doit.

Selon lui, la gauche, après la droite, a perdu la raison à son tour : tous, ils ont perdu la raison. Pour le montrer, dans son livre éponyme, il aborde plusieurs thèmes, où cette perte de raison a des conséquences véritablement néfastes pour la France. Cette perte de raison vient de la confusion des ordres, de la confusion entre ce qui ressort de la physique et ce qui ressort de la métaphysique :

Le sort des hommes, voire leur salut, et la marche du monde ne se « répondent » […] pas, et pour cause : ils sont d’une autre nature.

La démarche scientifique est de faire des hypothèses, de douter, voire de réfuter, et non pas de croire :

Une hypothèse n’est jamais un dogme, mais une manière abstraite de voir le monde dont le scientifique va chercher à savoir si elle marche. Si elle est fausse, ne serait-ce que dans un cas, cela suffit à la rejeter, d’où l’importance de la réfutation.

La tribu des scientifiques surmonte ses divergences et corrige ses erreurs d’elle-même :

Pour assouvir leur curiosité, [les scientifiques] étudient en détail le travail des autres (bibliographie), essayent de montrer les limites des recherches des collègues, dupliquent leurs expériences, mais quand les découvertes « tiennent », la compréhension du phénomène progresse et la discipline avance.

C’est ainsi qu’elle a transformé le monde et qu’elle continue de le faire. La civilisation qui est née de cette transformation a cependant fait apparaître l’aléatoire :

L’aléatoire exige un agnosticisme de l’esprit : pour lui, l’homme n’est qu’un objet d’interrogation, comme le monde l’est pour la science. (Élie Arié, Marianne, 18 mars 2013)

Nos contemporains ont horreur de ce vide ainsi créé sous leurs pas : c’était mieux avant ! Dans son livre, l’auteur montre qu’à l’épreuve de la science, sur bien des sujets, tels que le diesel, les OGM, les pesticides – ces médicaments des plantes –, l’énergie nucléaire, le gaz de schiste, le risque réel n’a rien à voir avec le risque perçu. Et le principe de précaution s’applique alors inconsidérément, après avoir été introduit indûment dans la Constitution…

Le mécanisme utilisé, dans le cas du diesel (dans les autres sujets, il est similaire), pour donner cette perception biaisée du risque est de se baser sur des « chiffres aussi fantaisistes que malhonnêtes » :

On s’appuie sur une peur profondément ancrée, quoique peu fondée. On prend pour argent comptant les conclusions d’une étude discutable, mais suffisamment technique pour que personne ne la lise. On généralise à la France la situation de pays autrement pollués. On fait donc peur sans raison et on condamne une partie de l’industrie française.

Et, ce faisant, on oublie de mettre en regard des risques réels, connus et mesurés, les considérables bénéfices que l’on retire, en s’appuyant davantage sur des croyances que sur des analyses empiriquement fondées.

L’auteur cite un magnifique article paru dans La Petite République du 31 juillet 1901, signé Jean Jaurès, qui devrait donner matière à réflexion à ses successeurs socialistes, devenus conservateurs, et, même, pourquoi pas, aux écolos, défenseurs patentés de la nature, et dont j’extrais quelques lignes :

Ni le blé, ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands génies inconnus, aient sélectionné et éduqué, lentement quelque graminée ou quelque cep sauvage. […] Il n’y a pas de vin naturel ; il n’y a pas de froment naturel. Le pain et le vin sont un produit du génie de l’homme. La nature est elle-même un merveilleux artifice humain.

Jean de Kervasdoué rappelle qu’il ne faut pas confondre santé et médecine :

Plus de médecine ne veut pas dire systématiquement plus de santé.

Il précise :

Comme les Français pensent que plus de médecine conduit systématiquement à plus de santé, quand il y a déficit des comptes de l’assurance maladie, c’est donc que l’argent manque et pas que cet argent est mal employé. Jusque-là, c’est, dans cette logique, « évident » ; ce qui l’est moins c’est que l’on n’évoque pour traiter des questions financières que le volet des recettes nouvelles ou des baisses de remboursement, mais ni celles de l’organisation des soins ou du bien-fondé des prescriptions.

Dans chacun des thèmes que Jean de Kervasdoué aborde, il relève le même processus :

L’opinion dicte son point de vue, l’État offre une légitimité à ceux qui l’influencent – pour ne pas dire le manipulent – et les mêmes se portent juges de la décision politique.

À propos de la santé, l’auteur fait un pas remarquable vers la liberté – de devoir créer une entreprise lui a sans doute entrouvert les yeux sur la nécessaire liberté d’entreprendre –, mais ses origines socialistes l’empêchent d’aller jusqu’au bout du raisonnement et de remettre en cause l’intervention de l’État dans des fonctions qui ne sont pas régaliennes, mais régulatrices, injustifiées et inopérantes :

Jusqu’où est-on prêt, individuellement et collectivement, à abandonner la liberté au nom de la santé ? Quand personne d’autre n’est concerné, l’État ne devrait pas s’en mêler ; en revanche quand le comportement de l’un peut nuire à l’autre, l’État devient légitime, à la condition toutefois que les mesures soient fondées et efficaces, ce qui est loin d’être toujours le cas.

Qui détermine quand le comportement de l’un peut nuire à l’autre ? Toujours est-il, que, dans cet esprit, il rejette la concurrence des compagnies d’assurances en matière de maladie, qui aurait échoué à faire baisser les dépenses de santé aux États-Unis, en Allemagne et aux Pays-Bas, et se prononce contre la liberté de prescription sans contrôle, qui aurait vécu.

Mais, dans l’ensemble, ce livre a un mérite, celui de montrer de manière argumentée, que notre époque est bien celle de l’avènement des sophistes et que « ce qui compte, ce n’est pas de dire le vrai, mais de convaincre » :

On comprend alors qu’il suffise que l’opinion renvoie à l’opinion du moment et que ceux qui écoutent soient convaincus par les faiseurs d’opinion pour qu’une analyse devienne « vraie » et que les contradicteurs empiristes soient, au mieux, qualifiés de provocateurs.

Ce n’est pas un mince mérite… par les temps qui courent.

Jean de Kervasdoué, Ils ont perdu la raison, éditions Robert Laffont, 2014, 225 pages.

Lire aussi : l’interview de Jean de Kervasdoué en deux parties :

 

Voir les commentaires (7)

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  • « Jean de Kervasdoué rappelle qu’il ne faut pas confondre santé et médecine »

    Il faut nommer correctement les choses. C’est pourquoi il faut s’interdire de parler des « dépenses de santé », vocabulaire utilisé pour insinuer que toute réduction se traduira par un moins bon état de santé. Ce sont des dépenses de médecine (soins curatifs, soins préventifs, surveillance…).

    Certaines dépenses de médecine sont très utiles, d’autres inutiles, d’autres clairement nuisibles. Cette dernière part a beaucoup augmenté récemment.

    On pourrait vouloir réformer le mammouth du contrôle des médicaments et des soins, mais je crois que l’animal n’est pas capable de supporter le traitement.

    Pour avoir un débat public, forcément technique, sur ces dépenses, il faut avoir des vraies données sur les effets des médicaments (pas seulement les effets secondaires). Les plus hostiles aux critiques du système et des médicaments sont parfois les scientifiques, qui vont jusqu’à parler d’abstractions comme La Médecine, Le Progrès, qui mêlent indifféremment TOUS les traitements utilisés aujourd’hui. « La Science, tu l’aimes ou tu la quittes » semble être leur maxime. (Ce sont les mêmes personnes qui n’acceptent aucun doute sur le travail du GIEC d’ailleurs.)

    J’ai eu le choc de voir que des gens brillants que j’estimais beaucoup sont tombés dans ce sectarisme. (Ce sont des gens bien formés en math, donc capables de comprendre les faiblesses de certaines manipulations statistiques.)

  • « Cette perte de raison vient de la confusion des ordres, de la confusion entre ce qui ressort de la physique et ce qui ressort de la métaphysique »

    JK rejoint ici Philippe Némo (et bien d’autres lucides), auteur de La régression intellectuelle de la France – où l’on constate que cette confusion rend la loi floue et arbitraire.
    Encore un peu de réflexion est il s’avisera aussi que le socialisme est une religion, et donc que notre pseudo laïcité actuelle est le contraire de la vraie: Loin de séparer, elle réunit tout dans les mains du pouvoir.

    Que rétablir cette distinction consisterait à rétablir ce qui l’a fondé et la porte depuis qu’elle existe: Le christianisme, qui dans les Évangiles porte la seule définition éprouvée de ce qui relève de Dieu et de César.

    C’est ainsi qu’en Occident chrétien le totalitarisme est nécessairement athée et ennemi du christianisme.
    L’irruption de l’islam change la donne, comme Ilitch Ramirez Sanchez l’a constaté parmi les premiers.
    Il ne sera pas le dernier.

    « Plus de médecine ne veut pas dire systématiquement plus de santé »
    JK redécouvre en 2014 ce que les libéraux s’évertuent à répéter depuis deux siècles au moins.
    Plus d’école (publique) ne veut pas dire plus d’éducation.
    Plus d’investissement dans quoi que ce soit ne produit pas le progrès, parce qu’on peut investir mal.

    Bien investir n’est pas simple et comporte de l’aléatoire.
    C’est la raison pour laquelle il n’y a d’économie que de marché.
    Il n’y a jamais eu d’économie planifiée autrement que comme parasite de l’économie de marché.

    Il faut donc libéraliser la santé et l’école.
    L’argent jouant son rôle d’information économisera l’essentiel de la gestion, la concurrence conservera les investissements productifs et éteindra les autres, et elle poussera l’innovation avant d’enrichir la communauté au sens de Bastiat.

    L’aléatoire de JK, c’est l’indéterminisme.

    « l’auteur fait un pas remarquable vers la liberté […] mais ses origines socialistes l’empêchent d’aller jusqu’au bout du raisonnement  »

    Le socialisme, c’est un ensemble de sophismes permettant de déguiser l’appétit de pouvoir en vertu.
    Ce n’est pas le pouvoir qui a produit le progrès, mais la liberté.

    Deux siècles après Frédéric Bastiat, les sophismes qu’il a tous démolis triomphent néanmoins parce que l’obscurantisme socialiste prospère sur l’insatiable passion du pouvoir.

  • « Qui détermine quand le comportement de l’un peut nuire à l’autre ?  » demande l’auteur de l’article.

    Je répondrais par ceci : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
    Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

    Il ressort donc que l’Etat (association politique au sens large) a pour but de s’assurer de l’intégrité physique des citoyens (SURETÉ). Et donc par la loi il défini les comportements nuisibles et les sanctions appropriées. C’est là son pouvoir régalien !

    • Le terme « liberté » se prête à des manipulations socialistes.
      On les reconnaît facilement: Pour le libéraux il n’y a qu’une liberté, indéfinie puisque chacun en fait ce qu’il veut.
      Pour le socialisme il y a « des libertés » définies par la loi, par lesquelles un citoyen peut extorquer des
      autres, par coercition étatique, les ressources nécessaires à une fin prédéfinie par la loi.
      Les libéraux appellent cela « droits à » ou « faux droits ».

      Une liberté socialiste est donc toujours attentatoire à la liberté.
      Le retournement de vocabulaire est constant dans le socialisme – J-F Revel en noircissait des pages et des pages…
      Orwell l’a romancé dans 1984 avec la Novlangue.
      L’un des plus frappants exemples de retournement est celui du terme « laïcité ».

      Il est difficile d’y parer.
      Plutôt que de liberté, les libéraux parlent maintenant de « principe de non agression » (ne pas initier l’agression).
      Bastiat parlait de Contrainte (pour la rejeter).

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