Fermeture des classes prépas : l’enseignement supérieur français face à ses contradictions

La fermeture des CPGE à Paris n’est pas un simple ajustement, c’est la manifestation d’une crise profonde. Un système éducatif qui prône l’égalité, mais en pratique, perpétue l’inégalité et renforce les barrières sociales.

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Fermeture des classes prépas : l’enseignement supérieur français face à ses contradictions

Publié le 27 décembre 2023
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À la rentrée 2024, le rectorat de Paris prévoit la fermeture de plusieurs classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), dont une classe économique commerciale et générale (ECG) au lycée Jacques-Decour, et une classe hypokhâgne au lycée Lamartine à Paris. Cette décision a créé une micro polémique dans le milieu universitaire.

Selon Denis Choimet, porte-parole de la Conférence des classes préparatoires et président de l’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques :

« La prépa ECG du lycée Jacques-Decour accueille 30 % de boursiers du secondaire ; aucun des étudiants de l’hypokhâgne du lycée Lamartine n’a eu mention très bien au bac, et toutes ces classes sont massivement féminines. Enfin, la filière adaptation technicien supérieur accueille des titulaires d’un BTS ou d’un DUT, c’est un fer de lance de la promotion sociale. »

 

L’inflation des diplômes va de pair avec la création d’une multitude de cursus au faible niveau d’exigence

Le recteur Christophe Kerrero justifie ces fermetures au nom de places vacantes, et affirme qu’elles devraient s’accompagner de deux nouvelles prépas en trois ans, destinées à des bacheliers professionnels.

Ce « plan d’ajustement » s’inscrit dans la dynamique engagée ces dernières années. L’inflation des diplômes va de pair avec la création d’une multitude de cursus au faible niveau d’exigence, au prétexte de donner à tous un accès aux études supérieures : entre les BTS, les licences professionnelles, les BUT en trois ans (anciennement DUT en deux ans) et demain, les CPGE dont le niveau n’équivaut en rien celui des prépas les plus sélectives destinées aux bacheliers généraux. Un marqueur assez fort de cette évolution renvoie au concours Miss France : les sans diplômes ou titulaires d’un CAP, BEP ou équivalent étaient bien plus nombreuses en 2009 qu’elles ne le sont aujourd’hui, où la plupart ont un niveau bac+5.

C’est tout le paradoxe du système français qui promeut l’égalitarisme avec la gratuité, la non-sélection à l’université et l’inflation des diplômes, tout en conservant un système qui encourage la reproduction sociale des élites avec les prépas et les grandes écoles. Les classes préparatoires peuvent évidemment être perçues comme le trésor de notre modèle d’instruction, qui n’a pas vraiment d’équivalent dans d’autres pays. Elles illustrent aussi, d’une certaine manière, l’hypocrisie d’un système éducatif qui nivelle par le bas et réduit l’accès des élèves défavorisés aux meilleures formations.

 

La méritocratie fonctionne mieux dans les pays aux modèles éducatifs plus libres et décentralisés

La distinction entre université et grandes écoles n’existe nulle part ailleurs qu’en France. En Suisse par exemple, les hautes écoles universitaires (HEU) incluent les universités cantonales et les écoles polytechniques fédérales, et les hautes écoles spécialisées (HES) sont axées sur la pratique. Les filières d’apprentissage sont valorisées du fait d’une plus grande présence des entreprises dans le monde éducatif et de partenariats développés avec les écoles. En 2022, 60 % des jeunes Suisses envisageaient une formation en apprentissage après la fin de leur scolarité obligatoire. En France, la confrontation précoce au marché du travail et à la réalité du monde de l’entreprise n’est courante que chez les élèves issus de filières professionnelles socialement dévalorisées.

À bien des égards, le modèle éducatif suisse est moins élitiste, et plus méritocratique, que le système éducatif français : il est tout à fait possible de s’inscrire à l’université sans certificat de maturité – l’équivalent du baccalauréat. Il n’en demeure pas moins sélectif : environ 42 % de Suisses en sont diplômés (toutes maturités confondues), contre 83 % de bacheliers en France en 2021. Il existe également des passerelles dans chaque filière pour faciliter les changements d’orientation et les évolutions de parcours. Comme dans la plupart des autres pays européens, l’obsession des diplômes n’a pas non plus lieu d’être : le diplôme n’est pas un graal qui signe la réussite ; il n’est qu’un marqueur du début de la vie professionnelle.

La Suisse n’est pas le seul exemple : les pays nordiques ont connu une réforme de leurs systèmes éducatifs centralisés à la fin des années 1980 avec davantage de liberté pédagogique, de liberté dans l’affectation et l’utilisation des ressources, de concurrence avec le privé, et de chèques-éducation pour garantir l’égalité des chances. La France, qui n’a jamais connu de réforme structurelle de son modèle éducatif, est le pays dans lequel l’origine sociale a encore une forte influence dans l’accès à une éducation de qualité.

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  • Tout à fait d’accord avec cette analyse. Cependant, on vous demandera encore comment faire si « on ne juge pas au diplôme ».

  • Ils auront fini par avoir la peau du système des prépas , système élitiste par excellence , donc à abattre . La proportion à l X de fils de classes populaires n’a fait que chuter au profit des enfants de profs et d’ingénieurs . Bravo à l ed nat , qui a pris la thèse de Bourdieu comme objectif à atteindre pour justifier leur ha1ne de l’occident. Notre système scolaire détruit , les élites envoient leurs jeunes étudier à l’étranger . Et tant pis pour le peuple français.

    • Il faut faire attention avec les statistiques. Après guerre, il y avait 30% d’ouvriers et maintenant il y a 10% d’ouvriers (de mémoire), donc la proportion d’enfants d’ouvriers baisse mécaniquement.

      • Oui, maintenant en prépa c’est 0% d’ouvriers. La seule classe sociale « basse » présente est celle des enseignants. En gros, ceux qui savent bien l’hypocrisie du système.

  • Rappelons que les classes préparatoires ont été inventées par Napoléon. Leurs buts était de sélectionner les meilleurs élèves de toutes les origines sociales et de leurs offrir les études supérieures et l’ascenseur social qui va avec.
    Ce système fonctionne toujours. Ce qui ne fonctionne pas c’est l’enseignement jusqu’au bac. On explique, depuis Jospin, qu’il est inutile de travailler en classe et à la maison puisque l’élève aura son bac à 98%. La connaissance selon le socialiste est innée. Problème, si on ne sait pas lire, difficile de lire le code civil et d’être avocat. Si on ne sait pas compter, difficile de faire des calculs complexes pour être ingénieur.
    Alors qu’ un élève français des années 70 pouvait entrer dans n’importe université étrangère scientifique et suivre ses cours, aujourd’hui, on lui demande de passer des tests de niveau pour y accéder (comme au Canada par exemple).
    Ce qui est sûr, c’est que nos élites forment leurs enfants et, compte tenu de la chute du niveau général, les enfants de ces élites n’auront plus de compétiteurs qui sont extérieurs à leur milieu.
    L’autre point est que lors des entretiens d’embauche, les candidats n’ayant pas fait la prépa sont déjà systématiquement écartés pour les postes importants dans les grandes entreprises.
    Car les écoles préparatoires forment selon 2 objectifs : le niveau technique et la capacité à fournir un travail intense sur une longue durée.

    • « les enfants de ces élites n’auront plus de compétiteurs qui sont extérieurs à leur milieu » »: je pense qu’on fond, c’est leur objectif derrière la destruction de l’école. S’assurer une parfaite endogamie des postes importants. C’est malheureusement comme cela que fonctionne le tiers monde, avec des résultats « mitigés ».

  • Dieu que ce nom d’hypokhâgne est laid et l’histoire de son origine au XIXe siècle est d’ailleurs très amusante.
    Être cagneux, c’est avoir les genoux tordus et ce mot de cagneux a été utilisé à l’origine pour se moquer des universitaires. Les littéraires se mettent alors eux-mêmes à employer cette dénomination, mais vers les années 1910, élaborent l’orthographe pseudo-grecque khâgneux et khâgne (puis hypokhâgne), afin de la faire apparaître plus savante et d’occulter sa réelle signification (wiki).

    • Hypotaupe n’est pas très joli non plus. Mais au moins, ces élèves pratiquaient l’humour et l’autodérision, qualités qui semblent avoir disparu au profit de l’orthodoxie écolo et socialiste. Le khâlot portait le devise des taupins, M S KOH, « aime souffrir et potasser », devise trans-classes sociales qui ne se retrouve pas dans les classes populaires d’aujourd’hui.

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