La Chine : de l’imitation à l’innovation ?

Si la Chine a réalisé des progrès considérables en matière d’innovation, des travaux montrent qu’elle reste dépendante de l’Occident.

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La Chine : de l’imitation à l’innovation ?

Publié le 24 novembre 2023
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Auteurs : est professeur à l’INSEAD, professeur invité à la LSE et titulaire de la Chaire Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance, Collège de France. est chercheur à Sciences Po (OFCE) et chercheur associé au Collège de France, Sciences Po

 

Le 1er mars 2023, plusieurs articles se sont fait l’écho d’une étude de l’Institut stratégique australien qui affirme que dans 37 technologies émergentes sur 44, la Chine dispose d’une « avance stupéfiante ». Ce texte reflète une crainte de plus en plus répandue dans les milieux occidentaux, à savoir que nos démocraties seraient sur le point d’être dépassées par le modèle de croissance chinois, fondé sur une alliance inédite entre capitalisme de marché et régime politique communiste.

Cette crainte est-elle fondée ? Si la Chine a réalisé des progrès considérables en matière d’innovation, nos travaux montrent qu’elle reste dépendante de l’Occident, et qu’elle devra surmonter plusieurs limites encore avant de pouvoir s’affirmer comme leader en matière d’innovation.

 

Des capacités d’innovation accrues

À partir de 1978, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, le modèle chinois a d’abord privilégié les projets tournés vers l’exportation et le développement de substituts aux produits importés. Les autorités ont encouragé les investissements comportant d’importants transferts de technologie et une part élevée de composants fabriqués localement. En raison de l’avantage comparatif fondé sur le faible coût de sa main‑d’œuvre, la Chine est ainsi devenue l’atelier du monde, fondé sur la séquence importation – transformation – réexportation, grâce aux firmes multinationales qui ont participé au développement des activités d’assemblage.

Le succès du modèle de croissance chinois réside ainsi pour partie dans l’ampleur des transferts de technologie des pays développés. Au début des années 2000, les entreprises à capitaux étrangers ont contribué à près du tiers de la production manufacturière.

Depuis deux décennies, le développement des capacités d’innovation chinoises a été fulgurant : le nombre de citations de brevets chinois par les étrangers a connu une croissance de 33 % par an entre 1995 et 2005. Il a atteint 51 % par an entre 2005 et 2014. Comme le soulignent Antonin Bergeaud, professeur associé à HEC, et Cyril Verluise, chercheur associé au Collège de France, depuis deux décennies, la Chine a réalisé une forte percée dans sa contribution aux technologies de rupture : impression 3D, blockchain, édition du génome, vision artificielle, stockage de l’hydrogène et véhicules sans chauffeurs par exemple.

 

La Chine, encore dépendante des États-Unis

Cependant, si la Chine a réalisé des progrès significatifs en termes de qualité des brevets, son influence sur le développement des technologies considérées reste limitée. Cela vaut en particulier pour ce qui concerne la recherche fondamentale à l’origine des innovations de rupture, où les laboratoires américains continuent d’être leaders.

Les travaux que nous menons au Collège de France confortent l’idée d’une Chine qui se trouve dans une forme de dépendance asymétrique vis-à-vis des États-Unis. À partir de la base de données Scopus, nous avons analysé les effets sur la recherche de la China Initiative mise en place par Washington fin 2018 pour lutter contre l’espionnage technologique chinois. Dans la pratique, celle-ci s’est traduite par des procédures administratives plus complexes ainsi que par des financements plus restreints pour des projets communs entre chercheurs chinois et américains, allant même jusqu’à interdire la poursuite de certains projets.

Si notre étude confirme bien une tendance au rattrapage technologique des États-Unis par la Chine, elle conforte également la vision d’un Empire du Milieu pour longtemps encore dépendant de son rival : en résumé, les chercheurs chinois ont davantage besoin de collaborer avec des chercheurs américains que l’inverse.

Nous constatons notamment que la China Initiative a fait sensiblement baisser la qualité moyenne des publications des chercheurs chinois ayant préalablement travaillé avec des co-auteurs américains. Cet effet négatif a été plus marqué sur les sujets dominés par les États-Unis avant le choc. Par ailleurs, la China Initiative a obligé ces chercheurs chinois à se réorienter vers des partenariats scientifiques hors des États-Unis, notamment vers l’Europe, mais cela ne leur a pas permis de maintenir la qualité de leurs publications.

Comme l’écrit Gérard Roland, professeur à l’Université de Berkeley, la Chine produit certes de nombreux brevets, mais ils concernent essentiellement des innovations incrémentales et non des innovations de rupture. Entre 1998 et 2018, aucune des nouvelles molécules découvertes dans l’industrie pharmaceutique ne l’a été en Chine, contre 56 % aux États-Unis.

 

Des faiblesses persistantes

En Chine, l’État est à la fois directement entrepreneur et planificateur, un modèle radicalement différent du modèle schumpétérien occidental dans lequel l’innovation repose sur des d’entrepreneurs et un écosystème favorisant l’initiative privée. Autant le modèle chinois apparaît-il efficace pour combler le retard technologique dans une économie en rattrapage, autant celui-ci implique plusieurs faiblesses qui empêchent la Chine de devenir un leader en matière d’innovation.

La centralisation du pouvoir et le manque de liberté individuelle ne contribuent pas à attirer les talents et les capitaux étrangers – contrairement aux États-Unis. Comme le montre notre étude, le développement de collaborations scientifiques avec des chercheurs américains jusqu’en 2018 avait permis aux chercheurs chinois, non seulement de profiter de l’excellence académique américaine, mais également de bénéficier à travers leurs coauteurs d’une liberté qu’ils ne trouvaient pas chez eux. Par ailleurs, le système éducatif chinois encourage peu à la créativité.

La méthode chinoise, où l’État investit massivement en R&D avec le secteur privé, peut se révéler efficace dans une économie de rattrapage. Cependant, stimuler les dépenses n’est pas suffisant pour permettre l’innovation. L’omniprésence de l’État dans le système bancaire chinois engendre une allocation non optimale du capital en favorisant le financement des entreprises publiques et liées à l’État – y compris les entreprises non rentables – au détriment des entreprises privées. En Chine, les entreprises qui investissent en R&D ont la même croissance que celles qui ne le font pas.

Enfin, la Chine pâtit d’une insuffisante protection des droits de propriété intellectuelle et de faibles normes de qualité : en 2023, elle se situe au 50e rang (sur 125 pays) pour l’indice international de la propriété intellectuelle. Or, les réformes économiques améliorant la protection des investisseurs et l’indépendance du système judiciaire sont des conditions préalables pour nourrir une économie de l’innovation.

Si elle a connu un développement technologique plus affirmé que certains ne le prévoyaient il y a encore deux décennies, la Chine n’a pas encore atteint le stade où elle peut pleinement jouer le rôle de leader scientifique et technologique. Pour devenir une économie capable d’initier des innovations de rupture, la Chine doit s’ouvrir davantage au lieu de se fermer. Elle risque sinon de connaître le « syndrome argentin », celui des économies qui, à l’issue d’un rattrapage très dynamique, s’arrêtent au milieu du gué.

 

Cet article est à retrouver sur le site de The Conversation

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  • La Chine n’a pas pu atteindre le niveau des États-Unis en 20 ans, c’est sûr. Mais durant ces 20 ans, elle a largement dépassé le niveau des Européens. Le gouffre qu’elle a franchi montre que dans les prochaines décennies, il y a de fortes chances qu’elle atteigne, voir dépasse ce niveau car face aux 250 millions d’Américains, se trouvent 1,4 milliards de chinois. Ensuite, avec sa démographie déclinante, il est fort probable que ce dépassement s’inverse à nouveau au profit des Américains. Mais ne sous estimons pas la Chine.

  • Cet article me fait penser aux articles tout aussi étayés des années 70-80 qui vous démontraient doctement que le Japon et La Corée du Sud n’étaient que des « ateliers copieurs » et qu’ils n’arriveront jamais à dépasser l’Occident que ce soit en qualité de production, en recherche appliquée ou fondamentale. Lol.
    Quand on constate la progression du niveau économique et scientifique de la Chine en 30 ans et du niveau technique de sa production industrielle, l’Occident a de gros soucis à se faire pour les 30 ans à venir.
    On se rassure comme on peut… Le wishful thinking peut y contribuer mais il ne changera pas la réalité.
    Et l’Inde commence également à pointer le bout de son nez…
    Penser également que les mesures américaines limitant les accès chinois à certains domaines de recherche ou à des projets de recherche, sera efficace sur le moyen-long terme, relève également du wishful thinking. Cela freinera la Chine qq années. Juste de le temps de réorienter et de stimuler sa propre recherche à laquelle les occidentaux n’auront plus accès.

    Un mot sur l’Indice International de Propriété Intellectuel: le calcul de cet indice inclue également l’indépendance de la Justice, le niveau de corruption, la stabilité politique…etc
    Évidemment, selon les critères occidentaux, les scores dans ces domaines sont faibles en Chine (surtout sur l’Indépendance de la Justice mais est-ce un inconvénient quand on veut défendre la propriété intellectuelle nationale?) et cela plombe l’indice final obtenu. Cet indice est donc en partie basé sur des critères de qualité très « occidentaux » pour certains d’entre eux. Je ne suis vraiment pas sûr qu’on puisse en conclure que les brevets passés en Chine par des chinois ne seront pas âprement défendus par les autorités chinoises en Chine et à l’étranger… 🙂

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