L’hygiène et l’État : un vieux débat au sein du libéralisme français

Au XIXe siècle, l’urbanisation rapide pose de graves questions d’hygiène. Plongeon dans le débat des libéraux français de l’époque, entre initiative individuelle et rôle de l’État.

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L’hygiène et l’État : un vieux débat au sein du libéralisme français

Publié le 8 octobre 2023
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Comme le prouve l’examen des débats entre libéraux français au XIXe siècle, les questions d’hygiène ne sont pas nouvelles, non plus que la prétention d’obtenir de l’État une réponse.

Au XIXe siècle, la population ouvrière s’accroît et s’installe de plus en plus nombreuse dans les villes.

La plupart de ces villes sont anciennes ; les rues étroites, les maisons entassées les unes sur les autres avaient eu primitivement leur raison d’être, au Moyen Âge, quand il s’était agi de s’installer le plus près possible du château fort et derrière les murailles entourant la ville et la protégeant des atteintes du dehors.

Mais désormais une population laborieuse vivait dans des cloaques, sans apparente raison autre que la misère. Les économistes libéraux, Adolphe Blanqui, Villermé, Jules Simon, signalèrent les premiers les dangers de l’insalubrité ; ils agitèrent cette question et cherchèrent à la résoudre par l’initiative individuelle : c’est, à Mulhouse, les cités ouvrières ; à Marcq-en-Barœul, l’ouvrier fait propriétaire de sa maison, par investissement privé qu’on sait profitable, car il est alors plus rangé, plus travailleur. Les libéraux luttent alors généreusement contre la timidité des industriels, et surtout contre les habitudes des ouvriers : ceux-ci refusent de quitter « leurs » caves pour des logements plus sains qu’on leur propose au même prix ; ils vont jusqu’à chansonner d’une manière railleuse les philanthropes qui s’occupent de leur préparer un meilleur sort.

C’est dans l’initiative individuelle que réside, pour les libéraux d’alors, la solution de l’hygiène privée et par extension publique. D’après eux, le rôle de l’État ne saurait être que minimal. Il n’est pas question, pour que les logements ouvriers soient sains, que l’État se fasse constructeur, régisseur, ou bailleur : qu’il laisse faire les initiatives, et se contente de fournir les autorisations nécessaires, et d’édicter les quelques règlements de police et de voirie qui lui reviennent de droit.

L’ingérence de l’État dans les questions d’hygiène, disent les libéraux les plus autorisés, est dangereuse, il ne faut s’y résoudre qu’à la dernière extrémité.

Pour Paul Leroy-Beaulieu :

« Les questions d’hygiène et de salubrité sont des questions scientifiques ; l’État n’a point qualité pour les résoudre, et quant aux savants, ils sont loin d’être toujours d’accord sur ces questions, et les résolvent aujourd’hui d’une façon, demain d’une autre. L’État, en suivant leurs avis, risque donc de se tromper et de faire des règlements plus nuisibles qu’utiles. Cela est arrivé bien des fois ; au XVIIe et au XVIIIe siècle on eût obligé les citoyens à se saigner et à se purger constamment. »

Certainement, une analyse fine décèle des potentialités d’intervention publique : dans l’État moderne et ses fonctions (1890), le même Leroy-Beaulieu en signale quelques-unes, avec de fortes réserves.

Frédéric Passy fait de même, devant la Société d’économie politique :

« Assurer l’écoulement des eaux ménagères, empêcher les accumulations d’immondices qui peuvent devenir des foyers d’infection, protéger, en un mot, chacun et l’ensemble, contre les préjudices qui peuvent leur être causés par la faute des autres, c’est son devoir. Mais quand il prétend nous protéger nous-mêmes, il dépasse souvent la limite et va parfois à l’encontre de son but. »

Dans les débats, l’intervention de l’État n’est pas entièrement rejetée, mais elle est très circonscrite ; on demande qu’elle soit exceptionnelle, très fortement motivée, et entourée de très grandes précautions. C’est la suite d’une méfiance envers l’État, qui peut à bon droit être signalée comme le point commun qui relie toutes les familles du libéralisme français, passé et présent.

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  • « Dans les débats, l’intervention de l’État n’est pas entièrement rejetée, mais elle est très circonscrite ; on demande qu’elle soit exceptionnelle, très fortement motivée, et entourée de très grandes précautions » ouaip…je me retrouve là dedans..

    mais ne pourrait on pas faire un exercice pratique..suite à l’épisode covid..
    A mon opinion, l’état a agi non pas pour les malades du covid mais pour l’effet de l’epidémie sur l’hopital public… c’est une idée que je ne rejette pas sous diverses conditions.. dont l’une est le refus du discours le gouvernement agi pour éviter les morts du covid..

    Il ne faut pas se mentir.. une fois que TOUT le monde est convaincu qu’un problème est bel et bien présent et que la coercition est la seule voie possible.. l’action politique n’est lamais de sauver tout le monde mais de choisir qui paye..qui sacrifier…

    il faut pour accepter être convaincu de la neutralité absolue de celui qui décide..de son absence totale d’interet personnel..
    L’action politique c’est plutôt limiter la casse…
    Sur un radeau avec des survivants avec des rations limitées…la seule façon d’eviter la mort par la faim de tous est de sacrifier une personne..

    Le politique peut il être neutre ??? ne va t-il pas penser en terme électoral…
    Je suis enclin à penser que si un exécutif se pose comme sacrificateur ultime, , le minimum est de ne plus gouverner par la suite..

    • et tu as lair fin quand tu as voté pour foutre gérard à la baille ( personne ne l’aimait de toute façon) quand le lendemain tu es recueilli par un bateau…
      c’est pas pareil si tout le monde a accepté de tirer au sort…

    • Normal ! Un exécutif, ça exécute…

  • « ceux-ci refusent de quitter « leurs » caves pour des logements plus sains qu’on leur propose au même prix ». J’aimerais avoir plus de détails sur cela. Quels étaient ces logements sains « au même prix »? Pourquoi les refusaient ils?
    Je pense qu’il y avait probablement des points très négatifs: éloignement du travail, surface plus petite, des engagements de longue durée etc… Sans parler des plans foireux du genre l’employeur « philanthrope » offre le logement en prélevant directement le loyer sur le salaire de l’ouvrier. Ce système était répandu, où l’employé est payé en nature (logement, coupons pour acheter de la nourriture etc), ce qui permettait de les empêcher de partir.
    employés et les forcer à dépenser dans l’entreprise.

  • L’hygiène, ça va. L’hygiénisme, bonjour les dégâts !

    • je crois que c’est pire que ça…

      l’hygiène c’est la santé;.la santé c’est déjà difficile à apprehender et ramener à une dimension..

      préférez vous vivre longtemps en souffrant moins longtemps en souffrant moins… déjà un dilemme pour un individu..

      alors la santé de la population…

      l’hygienisme n’est pas une idéologie qui veut agir en mettant en priorité la santé de tous;..

      mais d’abord une une objectivisation impossible de ce qu’est la santé d’une personne..

      souvent réduite à l’espérance de vie…

      donc l’hygienisme objectif est « impossible »… il y a en a possible autant que de chefs hygiénistes..

  • Les commentaires sont fermés.

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