Geoffroy Lejeune au JDD : la liberté de la presse en question

La nomination de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de Valeurs actuelles, à la tête du JDD a déclenché une importante polémique. L’indignation de la gauche, qui craint une droitisation du paysage médiatique français, ne masquerait-il pas plutôt une guerre sur le trésor des subventions à la presse ?

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Geoffroy Lejeune au JDD : la liberté de la presse en question

Publié le 2 août 2023
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Il y a quelque temps, un certain nombre de magnats des médias ont pris le contrôle d’une revue connue pour ses articles parfois polémiques. La rédaction reprochait l’imposition d’une certaine vision du journal par des propriétaires nommant une nouvelle direction à la rédaction. Cette histoire, celle des Cahiers du Cinéma, ne vous fait penser à rien ?

L’arrivée mouvementée à la tête du JDD le 1er août de l’ancien directeur de rédaction de Valeurs actuelles, licencié pour complaisance idéologique, suscite des interrogations. Une partie de la France se questionne soudainement sur l’impact de la prise de contrôle de médias par des personnalités controversées sur la liberté de la presse.

Ces préoccupations surgissent alors que cette liberté n’a jamais été autant sujette à des pressions politiques, dans un milieu médiatique dominé par la gauche et largement subventionné, alors que la rédaction du JDD se montre incapable de prendre ses responsabilités.

 

Le retour de la gauche pleureuse

Moins d’une dizaine de jours après son départ de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune est désigné par Vincent Bolloré pour prendre la suite d’un autre habitué des plateaux de CNews, Jérôme Béglé, à la tête du JDD.

Dans l’après-midi du 22 juin, par 77 voix pour, une contre et cinq abstentions, les journalistes de l’hebdomadaire racheté début juin par la huitième fortune française ont entamé une grève qui dure désormais depuis presque un mois et demi.

Si la nomination est confirmée dès le lendemain, la grève provoque un tollé dans le monde journalistique hexagonal. Soutenu par une centaine de personnalités du spectacle, de la culture et de l’université, le mouvement monte jusqu’au gouvernement. La ministre de la Culture Rima Abdul Malak s’alarme « pour nos valeurs républicaines ». Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye apporte publiquement son soutien aux grévistes sur l’antenne de Radio J et la rédaction s’est même offert le soutien de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT qui a de son côté décidé d’évoquer la question au plus haut niveau de l’État.

 

L’immixtion du politique

Rarement, dans notre histoire récente et en particulier depuis la fin de l’ORTF, le politique s’est autant mêlé de la question de la liberté de la presse, et plus largement du droit de propriété.

Si la nécessité pour Vincent Bolloré de faire valider le rachat du JDD par la Commission européenne est déjà choquante dans une Europe qui se vante d’être un espace de libertés, le fait que les deux principaux ministres en charge des questions d’informations prennent fait et cause dans le conflit d’une entreprise privée n’en est pas moins un scandale sur le plan de la liberté.

 

La droitisation fantôme

La rédaction craint ainsi une « droitisation » de la ligne éditoriale. La blague pourrait, et même devrait s’arrêter là.

De nombreux médias, plus ou moins sérieux, ont tenté de « démythifier » l’allégation courante de parti pris de gauche de la sphère journalistique française. Se basant sur des visions assez restrictives de la gauche, les gesticulations argumentatives et morales ne résistent pas aux statistiques.

Car en se basant sur les sondages parus ces 25 dernières années, on retrouve un score pour les candidats de gauche au premier comme au second tour des élections présidentielles allant de 52 à 74 % de voix.

Un gauchisme évident lorsqu’on se souvient que la presse française est largement subventionnée. Dans ce sens, n’hésitez pas à venir faire un tour dans notre dossier spécial sur le sujet pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, mais notons ici qu’en 2021, le JDD était le cinquième titre le plus subventionné.

Craindre une « droitisation » – comprendre « hégémonie de droite » – des médias français parce qu’une fortune privée ose enfin, que ce soit par idéologie sincère ou par volonté de disruption du marché de la presse, mettre un peu de concurrence idéologique, et donc de démocratie dans la manière dont l’information est traitée en France, relève au mieux d’une profonde erreur d’analyse, et au pire d’une nouvelle tentative de narratif dont la gauche a le secret pour tenter de maintenir son emprise sur l’expression dans ce pays.

Nous sommes purement et simplement devant une pièce de théâtre destinée à masquer une guerre de contrôle sur le trésor des subventions à la presse, financées par un contribuable français dont les idées sont à l’inverse de plus en plus à droite.

 

Une chasse gardée assiégée

De fait, Geoffroy Lejeune est depuis un mois et demi l’objet d’une véritable chasse aux sorcières menée par une certaine frange, majoritaire donc, du journalisme français, peu encline à accepter la diversité éditoriale.

Il faut dire que le milieu culturel est une chasse gardée de la gauche depuis plus de 40 ans. Un monopole étatique que nous voyons aussi bien au niveau national que local qui semble en passe de se fissurer, mais qui ne pourra être réellement brisé que le jour où nous en finirons enfin avec l’arrosage systématique d’argent public. Un doux rêve…

 

Le cas des clauses de conscience

Mais restons éveillés encore quelques minutes, car il est difficile de ne pas s’interroger sur les issues possibles de cette affaire.

Politiquement et humainement, il est impossible d’imaginer que Bolloré cède aux grévistes. Juridiquement et moralement, hors faute lourde, il est tout aussi impossible de licencier la rédaction du JDD du simple fait d’une grève.

Une autre option s’offre à elle, mais suppose qu’elle prenne ses responsabilités.

En droit français, les journalistes bénéficient depuis 1935 d’une clause de conscience qui leur permet, notamment en cas de changement de la situation juridique de l’employeur, de démissionner sous le régime du licenciement. Concrètement, cela les autorise, comme c’est possible pour tout salarié en cas de démission dite légitime (suivre un parent, un conjoint ou un enfant, faute de l’employeur, création d’entreprise…) de bénéficier de droits au chômage.

 

Vers des démissions massives ?

Toujours dans l’affaire qui nous intéresse, il est largement possible d’envisager qu’une telle décision soit prise massivement.

L’exemple le plus parlant reste celui de Les Cahiers du Cinéma. Après la reprise du journal le 30 janvier 2020 par une vingtaine de personnalités proche du cinéma français, le mensuel fondé en 1951 justement contre ce dernier a été l’objet de la démission de l’intégralité de sa rédaction, cette fois en usant, non d’une clause de conscience, mais d’une clause de cession, clause similaire dont l’usage exige toutefois une obligation de préavis. Encore une fois, la manœuvre n’était pas dépourvue d’intérêt idéologique, Les Cahiers du Cinéma étant connu pour sa ligne très à gauche selon Libération (c’est dire…).

 

Se défaire du théâtre politique

Plutôt que d’en appeler systématiquement à l’État pour se protéger d’une soi-disant menace pesant sur la République par un magnat prétendument d’extrême droite, la rédaction du JDD aurait tout intérêt à prendre ses responsabilités et, peut-être, provoquer une crise au sein du journal dont elle a la charge.

Il est donc aisé d’imaginer une solution qui ne ferait pas appel à la grandiloquence républicaine contre la menace fasciste, rengaine pathétique à en devenir hilarante et masquant en réalité la crainte du crépuscule d’une rente idéologique.

Dans l’attente, Geoffroy Lejeune se prépare à l’entrée en fonction la plus agitée de sa jeune carrière.

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  • Avatar
    jacques lemiere
    2 août 2023 at 7 h 41 min

    la presse semble finie…

    l’espace de libre expression est désormais internet. pour le pire et le meilleur.

    • Plus pour longtemps.

      L’UERSS a engagé des projets pour museler et censurer Internet.

    • Rectification de ce jugement, s’il m’est permis : La presse écrite sera toujours lue par les élites. D’ailleurs, lors des entretiens d’embauche c’est une question qui est de plus en plus posée. Personnellement, je ne pense pas qu’aujourd’hui il est bon de dire que ses journaux favoris sont « Le Monde » et « Libération ». Les entreprises recherchent des dirigeants avec des valeurs autres que celles défendues par ces deux médias.

  • Avatar
    Pierre Allemand
    2 août 2023 at 8 h 19 min

    L’auteur nous dite très justement que Bolloré, après avoir pesé ce que signifiait la nomination de Geoffroy Lejeune à son poste ne pouvait pas céder aux grévistes. C’est en effet le privilège du patron de désigner celui (ou celle) qui assume le rôle de la direction des affaires.
    C’est un énorme défaut d’analyse, pour les grévistes, d’avoir imaginé le contraire. Et cela prouve, au passage, qu’il étaient surtout animés par l’idéologie.
    Toutes proportions gardées, cela ressemble beaucoup à l’autre récente erreur d’analyse : celle des syndicats au sujet de la réforme des retraites…

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  • Il n’est pas admissible qu’ils puissent faire jouer une clause de conscience et ensuite toucher des indemnités de licenciement et le chômage, le milieu journalistique bénéficie de beaucoup trop d’avantages que l’employé du privé n’a pas.
    S’ils ne sont pas d’accord avec leur employeur ils n’ont qu’à démissionner mais à leurs risques et périls (càd sans indemnités et sans chômage), dans la vie il faut assumer ses propres actes.

    13
    • Dans une démocratie…
      Le journaliste, même de base, n’a pas tout à fait le même rôle qu’un cadre, même de haut niveau, chez Michelin. Ça vaut bien un petit traitement de faveur.
      Hélas, cela peut lui monter à la tête :
      – il se prend pour le Pouvoir, alors qu’il n’est qu’un contre-pouvoir
      – il estime que le patron de l’entreprise doit lui obéir, alors que non.

      • Oui le cadre de chez Michelin, et le reste des employés d’ailleurs, contribuent à faire des pneus, que vous pouvez installer sur votre voiture.
        Sans pneus, ou avec moins d’offre de pneus, la pratique de notre liberté de circulation est réduite.
        Les journaliste, qu’ils soient de base ou placés là par les dirigeants, font soit œuvre de propagande bien servile, soit une soupe fadasse vaguement divertissante dont on retrouve des tas d’équivalents sur internet sans subventions et régimes spéciaux.
        Si vous voulez des informations utiles, même en démocratie, il vous faut les chercher patiemment par vous-mêmes comme de tout temps.

  • Les dix devoirs de la charte de Munich
    1. Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.
    2. Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique.
    3. Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents.
    4. Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents.
    5. S’obliger à respecter la vie privée des personnes.
    6. Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.
    7. Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement.
    8. S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information.
    9. Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.
    10. Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.

  • « Prendre ses responsabilités » ? C’est vraiment une remarque typique de libéral ! Pourquoi « prendre ses responsabilités » et démissionner, quand on peut faire grève, faire appel à tout le ban et l’arrière ban de la presse subventionnée, dénoncer un méchant patron ultra-capitaliste et transformer l’affaire en un coup de comm politique où tous les chevaux sur le retour vont vouloir l’ouvrir pour « exprimer leur solidarité » ?

    Pendant ce temps, chez les vrais gens, quand ils se font imposer un chef dont ils ne veulent pas ils ont 2 possibilités : soit ils ferment leur gueule, soit ils démissionnent (sans indemnité, pour le coup). Et on s’étonne de la monté des populismes…

    14
  • Personne ne s’indigne que L’Humanité soit dirigé par un communiste, alors que les atrocités les plus importantes en nombre commises sur la planète, l’ont étés par les communistes. Et que malheureusement il y a encore sur la terre des peuples qui souffrent de l’oppression communiste. Et Monsieur Geoffroy Lejeune est un petit agneau comparé à un communiste convaincu.

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  • Je ne savais pas qu’on pouvait faire une grève légitime pour refuser la nomination d’un chef. Remarquons que ça ne se passe que dans les entreprises staliniennes comme les médias. Ça pourrait aussi avoir lieu dans des entreprises d’État. Bref, dans toutes les entreprises parasites qui ne vivent que des subsides de l’État et donc au crochet du citoyen qui aimerait bien qu’on arrête de le ponctionner, alors qu’il peine à joindre les 2 bouts.

    13
  • Ça m’encourage à prendre un abonnement au nouveau JDD. Très bonne initiative M. Bolloré.

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  • La gauche adore la diversité, sauf dans les opinions. Elle est raccord avec son idéologie : la concurrence libre et non-faussée, c’est pas son truc.
    Cela suffit à expliquer le pico-drame que vit le JDD.
    Car.
    Je ne vois nulle guerre de contrôle sur le trésor des subventions. Si d’aventure le JDD devenait Jeunesses de la Droite Dure ou que Bolloré renonçait à vivre de la charité publique, la presse du Camp du Bien n’en serait que plus riche.

    • Lejeune a tout de la tête de n.eud. Se faire virer de VA, quand même ! Et lui aussi [vu à la télé] comme tout journaliste de gauche pratique Francis Blanche :
      – En vous laissant le libre choix de vos opinions, je n’admettrai jamais qu’elles s’opposent aux miennes.
      Mais.
      Je me réjouis d’avoir, enfin, sur le marché des idées, le choix entre plusieurs tyrannies idéologiques.

  • « L’indignation de la gauche, qui craint une droitisation du paysage médiatique français » : et alors ? La gôôôôche a pu, pendant des années, gauchiser à outrance le paysage médiatique français (et de l’étranger aussi, hélas). Cela s’appelle : le retour du balancier comme cela se passe dans tous les domaines de la vie. Errare humanum est diabolicum perseverare, dit-on. Qu’est-ce qu’elle pensait la gôôôôche ? Qu’elle allait faire son beurre de toute éternité au sein d’un Eden terrestre à la dimension de la planète ? Allons, un peu de bon sens Messieurs les pieds nickelés !

  • Si seulement on pouvait faire comprendre à la gauche que plus de 65% des français rejettent totalement leur conception de la société !
    En attendant, il serait bon que les 65% aillent voter au lieu de s’abstenir !

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