La vie en double sur Mars : la nécessité de la redondance

La colonisation de Mars pose des défis majeurs, tels que les impacts d’astéroïdes et les conditions inhospitalières, nécessitant des mesures de sécurité redondantes.

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La vie en double sur Mars : la nécessité de la redondance

Publié le 4 juin 2023
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On connait les dangers que les hommes devront affronter sur Mars. Parmi ceux-ci, on peut noter les impacts d’astéroïdes, l’absence d’air respirable, la très faible pression atmosphérique, des variations de températures quotidiennes de l’ordre de 100°C, la panne d’un équipement vital ou d’un autre, et bien sûr l’impossibilité de repartir sur Terre ou de bénéficier d’un secours en dehors des fenêtres synodiques espacées de 26 mois.

La conséquence c’est qu’il faudra penser à la possibilité d’une catastrophe à tout moment pour s’en prémunir. À cette fin on peut bien sûr envisager de s’installer en sous-sol, suffisamment profondément pour éviter les impacts susmentionnés, mais cela n’empêchera pas les accidents internes aux volumes viabilisés qui pourraient les rendre inhabitables, les pannes ou même un tremblement de terre, peut-être peu puissant mais agissant sur un point faible de la structure sur laquelle l’habitat reposerait ou en contrebas duquel il se trouverait (au cas où la base serait construite dans une caverne).

 

La solution sera la redondance partout où elle sera possible

Cela commencera avec les fusées pour revenir sur Terre. Le risque c’est que l’une (sinon évidemment les deux !) se pose mal à l’atterrissage ou que durant le long séjour en attendant la possibilité de retour, l’entretien soit défaillant ou insuffisant (et le seul test vrai de la possibilité de décollage d’une fusée, c’est son décollage effectif). La possibilité de retour physique sur Terre étant sinon indispensable (il le sera de moins en moins avec le temps et l’amélioration des capacités de vie sur Mars) du moins extrêmement utile, il sera nécessaire que lors de chaque fenêtre de tirs, au moins deux fusées soient lancées en même temps. D’ailleurs, cela pourra servir pendant le voyage, pour créer une gravité artificielle dans chacune d’elles après mise en rotation du couple.

Ensuite, si l’on construit des habitats en surface, ils devront bien entendu être protégés par une couche de régolithe, aussi bien contre les impacts de micrométéorites que contre les radiations. En principe une couche d’un à deux mètres de régolithe devrait suffire mais les météorites capables de transpercer une telle épaisseur ne sont pas inenvisageables. On a observé en surface de Mars plusieurs cratères récents résultant d’impact de corps porteurs de cette énergie. Cela implique donc une compartimentation des habitats permettant l’isolation immédiate des volumes viabilisés dont l’enveloppe serait frappée… et percée.

Mais, en allant plus loin, il faudrait prévoir qu’un habitat puisse être détruit par une météorite et que donc les hommes qui l’occupaient puisse se réinstaller (s’ils n’ont pas péri) dans un habitat proche disposant des mêmes facilités de vie. À noter qu’il n’y a pas davantage de météorites qui approchent Mars que la Terre, en réalité moins, considérant que le puits de gravité terrestre est plus profond donc plus attractif que celui de Mars. Cependant, dans l’environnement terrestre une bonne partie des météorites (les plus petites) sont totalement détruites dans l’atmosphère où elles brûlent et sont consumées. Quand aux plus grosses, elles peuvent « survivre » jusqu’au sol mais l’atmosphère joue aussi son rôle de chauffage et de freinage, et beaucoup sont désagrégées avant d’atteindre le sol. L’atmosphère joue également un rôle de protection autour de Mars mais beaucoup plus faible (je rappelle que la pression atmosphérique est de 610 pascals au datum (équivalent du niveau de la mer) soit 6 millibars.

Pour l’énergie ce sera pareil. La source principale sera la fission nucléaire et, comme il est inenvisageable d’être à court d’énergie, les hommes devront disposer, dès le début, de deux réacteurs. Le second pouvant d’ailleurs ne pas être activé tout de suite, pour ne pas écourter sa durée de vie utile. En cas d’incident, en attendant la mise en route du second, on pourrait relayer le réacteur défaillant par des batteries, des panneaux solaires ou bien de petits générateurs brûlant du méthane dans de l’oxygène (le tout dans un volume viabilisé restreint et en maintenant une activité réduite à l’urgence).

Pour les hommes, ce sera encore pareil. En cas d’invalidation d’un dentiste, un autre dentiste doit pouvoir intervenir, de même le mécanicien qui connaît parfaitement le fonctionnement du rover ou du hopper doit pouvoir être remplacé au pied levé sans attendre qu’il récupère d’un accident, d’une maladie et, bien entendu, s’il décède.

 

Toute fonction vitale doit être exercée ou exerçable de façon redondante

Si l’on y réfléchit, aucune fonction ne doit pouvoir être dépendante d’un seul individu ou d’une seule machine.

Toute fonction vitale doit être exercée ou exerçable de façon redondante. Cela implique donc beaucoup de personnes, d’équipements, de volumes viabilisés en plus, donc des coûts supplémentaires et des niveaux d’emplois essentiels peu élevés en temps normal. Ce taux d’emplois essentiels réduit ne sera pas un luxe mais une nécessité pour la sécurité de tous, d’autant qu’en dehors des tâches essentielles, les personnes disposant de temps libre pourront/devront exercer toutes sortes d’activités. Un dentiste (pour reprendre l’exemple) pourra aussi effectuer des travaux en mécanique de précision ou assister un chirurgien comme anesthésiste.

Maintenant, peut-être ne sera-t-il pas indispensable d’avoir exactement un doublon pour toute fonction. Il faudra estimer lesquelles pourront subsister en mode légèrement dégradé.

Dans cet esprit, je me souviens d’une solution que j’avais trouvée très heureuse quand, jeune banquier, j’étais allé, avec deux autres collègues de mon établissement, négocier un accord cadre chez un confrère, importante banque d’investissement dont le siège était à Londres.

Un jour, un de nos interlocuteurs défaillant fut remplacé au pied levé par un cadre dont l’âge le situait aux alentours de la retraite et dont l’expérience lui permettait d’entrer dans la négociation. J’appris par la suite que ce mode de fonctionnement n’était pas inhabituel au sein de cette société, plusieurs équivalents pouvant être mobilisés selon leur spécialité en cas de besoin d’un remplaçant ou d’un renfort.

Sur Mars, il y aura bien sûr beaucoup de retraités car après une longue vie sur cette planète, certains voudront y rester d’autant que la ré-acclimatation à une gravité plus forte ne sera pas facile. Nul doute qu’on puisse compter sur eux en cas de besoin, et ce pendant de longues années (j’ai moi-même été cyberconsultant après avoir cessé ma vie active).

Un autre facteur à considérer pour alléger les contraintes résultant de l’obligation de redondance est la modularité liée à la standardisation des éléments utilisés dans les équipements ou les constructions. Comme expliqué plus haut, il faut pouvoir à tout moment utiliser un élément quelconque dans une pluralité de fonctions aussi étendue que possible. Un volume viabilisé ou un véhicule doivent pouvoir être adaptables à plusieurs fonctions et un longeron en métal ou une poutre être utilisables dans toutes sortes de constructions différentes.

Au bout du processus, l’impression 3D sera l’outil à tout faire.

On le voit aujourd’hui quand une société comme Relativity Space est capable de construire 85 % (en masse) d’une fusée avec ce seul outil, en 60 jours seulement. Sur Mars, on recourra massivement à cette solution. On pourra donc avoir un minimum de stocks d’éléments standardisés modulables et toute une batterie (redondance) d’imprimantes 3D avec leurs stocks d’encres métalliques à disposition (extraites du sol martien et raffinées sur place).

En réalité, avec ce raisonnement on arrive à la marge de ce qu’on peut appeler la redondance. La question de l’utilité multiple se pose en effet à chaque niveau de complexité, la véritable redondance, c’est-à-dire la possibilité d’utiliser un élément de rechange standardisé immédiatement, n’existant qu’à un niveau élevé de complexité ne nécessitant pas d’adaptation longue pour le nouvel usage. Cependant, elle existe dans une certaine mesure à tous les niveaux, même à celui de la poudre de métal utilisée par l’imprimante 3D.

Plutôt que de rechercher les variétés de ces poudres pouvant les rendre plus appropriées à tel ou tel usage dans un environnement martien, il sera préférable de rechercher les caractères communs pouvant être portés par une poudre plutôt qu’une autre et stocker celle qui aura le plus d’applications possibles.

Vous avez donc compris le sens du titre de mon article.

Oui, Mars ce devra être la vie en double puisqu’il faudra toujours penser au remplacement, à la substitution. Même si, hélas, les vies humaines qui seraient emportées par la chute d’un astéroïde ne pourront pas être remplacées après avoir été dupliquées !

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  • Avec un radar, il y aura détection des météorites et procédures d’urgence de mise à l’abri des humains.

    • Certes, il y aura des systèmes d’alerte pour les météorites d’une certaine taille mais pas pour les petites météorites qui sont consumées dans l’atmosphère terrestre et qui ne le sont pas dans l’atmosphère martienne.
      Je persiste à penser qu’il y aura peu d’excursions à l’extérieur des bases habitées. On n’en aura pas le besoin et elles seront compliquées.

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Joseph Silk n'est pas un fantaisiste ou un auteur de science-fiction. Il est titulaire d'un doctorat en astronomie de l'université de Harvard et a enseigné l'astrophysique et la cosmologie à l'université d'Oxford. Mais ce qu'il écrit dans son livre Back to the Moon : Back to the Moon: The Next Giant Leap for Humankind paraîtra certainement fantaisiste pour beaucoup : il suggère que les humains établissent des colonies sur la Lune – des villes entières sous le paysage lunaire.

 

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