Lully, inventeur de l’exception culturelle ?

Qui était vraiment Lully, le premier grand compositeur lyrique français, et comment a-t-il imposé sa discipline de fer à l’opéra français ?

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Lully, inventeur de l’exception culturelle ?

Publié le 27 avril 2023
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Si Lully a été le premier grand compositeur lyrique français, n’en déplaisent aux Italiens, il a aussi contribué à fonder « l’exception culturelle », cette alliance entre les artistes et l’État « mécène ». À l’Académie royale de musique, le 27 avril 1673, il y a 350 ans, était créé Cadmus et Hermione, le premier des opéras de Lully.

Contrairement à l’Italie, où il est affaire de théâtres privés, l’opéra en France va être un monopole public jusqu’au règne de Louis-Philippe.

Mais ce monopole public était confié à un entrepreneur privé qui était tenu de faire des bénéfices et donc de faire venir le public à ses représentations. Le système avait été conçu par Lully qui était à la fois un homme d’affaires avisé et le favori du roi.

 

Gian Battista Lulli, le fils du meunier

Les origines de Lully étant des plus modestes, il avait essayé de les dissimuler. Il se disait fils de « Laurent de Lully, gentilhomme florentin ». Son père, Lorenzo Lulli, issu d’une famille de paysans de Campestri, avait gagné Florence lorsqu’il était tout jeune homme et épousé la fille d’un meunier. Seul enfant survivant d’un meunier aisé, le jeune Gian Battista devait bénéficier d’une bonne instruction et apprendre à jouer de la guitare auprès d’un franciscain.

Roger de Lorraine, chevalier de Guise, cherchant un jeune Toscan pour permettre à sa nièce, la Grande Mademoiselle1 d’améliorer son italien, devait, dans des circonstances mal connues, choisir l’adolescent. Fin février 1646, Lulli quittait la Toscane : il avait treize ans et ne devait plus jamais y revenir. Tout le reste de son existence devait se passer en France.

 

Lulli devient Lully

Espiègle et farceur, très loin de l’image du triste bonnet de nuit entretenue par les films Molière et Le roi danse, il devait devenir « garçon de la chambre » dans la Maison de Mademoiselle. C’est en tout cas pendant ses six premières années en France qu’il complète son éducation musicale, devient un violoniste et un danseur accompli, et voit son nom francisé en « Baptiste Lully ». C’est d’ailleurs sous le nom de « Baptiste » qu’il est cité comme compositeur d’un ballet donnée par Mademoiselle en l’honneur du Grand Condé en 1652.
Le roi victorieux ayant exilé les chefs de la Fronde, Lully obtenait son congé et allait participer au fameux Ballet royal de la Nuit, éblouissant spectacle de six heures, représenté pendant le Carnaval de 1653, et qui allait décider de sa carrière. Lully interprétait pas moins de cinq personnages : berger, soldat à moustache, gueux de la Cour des miracles, travesti en « Grâce » et enfin personnage de la Commedia dell’arte, témoignant de toute l’étendue de ses talents comiques.

 

Lully et Louis partenaires sur scène

Le jeune Louis XIV, excellent danseur qui avait triomphé sur la scène, décidait d’en faire un compositeur de la musique instrumentale du roi. Lully avait 20 ans et le roi en avait 15 : ils devaient se produire ensemble dans plusieurs ballets et Lully se faire apprécier dans les rôles de caractère où triomphait son sens du comique.

Le roi n’était pas compositeur comme l’avait été son père, il jouait du luth, de la guitare et du clavecin, aimait chanter et montrait un goût très sûr en matière musicale comme en témoignent les charges que devaient recevoir Henry Du Mont, Michel-Richard Delalande, François Couperin et Marin Marais.

 

Les caprices de Lully

Il semble que les premières compositions de Lully pour les ballets de cour ont été perdues. Il obtint du roi de diriger une « petite bande » de violons qui devait surpasser la « grande bande » traditionnelle des « vingt-quatre violons du roi » qu’il n’appréciait guère.

Il écrit alors des œuvres vocales dans le style italien, le cardinal Mazarin tentant, sans succès, d’implanter l’opéra en France. Indiscipliné, Lully est enfermé dans une chambre par le roi pour qu’il achève d’écrire la musique d’un ballet « parce qu’il est toujours distrait quand il est libre » ! Insolent, le Florentin n’avait-il pas fait répondre à Louis XIV qui attendait lors d’une représentation : « le Roi est le maitre, il peut attendre tant qu’il lui plaira ! »

Le ballet L’amour malade (1657) devait être un triomphe éclatant et susciter une violente réaction xénophobe devant cette mainmise des Italiens sur le ballet, spectacle national ! Néanmoins, à partir de cette date, Lully voit sa réputation établie comme compositeur.

 

Le surintendant de la Musique du Roi

Mazarin ayant prévu de faire donner deux opéras de Cavalli, Xerse et Ercole amante, à l’occasion du mariage de Louis XIV, Lully est chargé de composer des entrées de ballet en guise d’entractes.

En 1661, à la mort du titulaire Cambefort, le roi lui offre la charge de surintendant de la musique du Roi. Offert à tous les sens du terme : Louis XIV devait lui-même régler le coût important de la charge aux héritiers de Cambefort. Ce fut une des premières mesures du règne personnel de Louis XIV.

 

Lully devient Français

Jean-Baptiste Lully par MignardIl reçoit ensuite des lettres de naturalité : « résolu de demeurer, résider et mourir », il devient « vrai et naturel sujet » du souverain. Son intégration complète passe aussi par un mariage : il épouse Madelaine, la fille de Michel Lambert, compositeur de la Chambre du roi, très réputé pour ses « Airs ».

L’acte notarié établi pour le mariage devait être signé par le roi, les deux reines, Anne d’Autriche et Marie-Thérèse, et Colbert. À trente ans, Lully était désormais établi. Le mariage était aussi une façon de se mettre à l’abri à une époque où les « sodomites » étaient brûlés en place de Grève. Six enfants devaient naître de cette union, dont Louis, qui devait avoir pour parrain et marraine le roi et la reine.

 

La préférence nationale favorise les deux Baptiste

Avec Colbert, l’heure était à la réaction nationale : les musiciens italiens avaient été priés de rentrer chez eux. Le ballet l’emportait sur l’opéra. Lully dispose ainsi d’un orchestre très important pour Les Plaisirs de l’Île enchantée (1664) : les « concertants » qui assurent l’accompagnement (clavecins, luths et théorbes), les deux « bandes » de violons soit une quarantaine d’instrumentistes, les musiciens de l’Écurie, c’est-à-dire les flûtes et hautbois, et enfin les trompettes et les timbales, soit un total de soixante et onze instrumentistes.

« L’on vit entrer l’Orphée de nos jours, vous entendez bien que je veux dire Lully ».

Inévitablement, il collaborait avec l’autre favori du roi, Molière : on devait les appeler les « deux grands Baptistes ». Pitre désopilant, Lully fait rire le roi aux éclats dans le Bourgeois Gentilhomme où il incarne le grand Mufti dans la cérémonie turque. Molière aimait dire : « Lully, fais-nous rire ». De son côté, Molière était un bon danseur et très sensible à la musique.

 

La naissance de l’Académie de musique

En 1670, âgé de 31 ans, le roi décidait de cesser de danser sur scène. En 1671, un opéra en langue française, Pomone de Cambert, était représenté pour la première fois, et avec succès. Louis XIV fait ensuite un triomphe aux Amours de Diane et d’Endymion de Sablières (1672).

Furieux et en même temps persuadé des avantages que présenterait pour lui une carrière lyrique, Lully va habilement s’efforcer d’obtenir du roi le « privilège » de l’opéra sous le nom d’Académie de musique.

À en croire Perrault, « le roi, craignant que de dépit il ne quittât tout, dit à M. de Colbert qu’il ne pouvait pas se passer de cet homme dans ses divertissements et qu’il fallait lui accorder tout ce qu’il demandait. » Il obtenait « pour le restant de sa vie et après lui, celui de ses fils » le privilège de l’Académie royale : les autres scènes théâtrales se voyaient limiter à « deux airs » et « deux instruments ».

C’est Molière qui devait en faire les frais. En effet, il avait repris dans son théâtre les œuvres écrites en commun avec beaucoup de succès sans que Lully en tire aucun profit. La légende noire de Lully trahissant Molière trouve ici sa source.

 

La discipline de fer de Lully

Avec l’aide du talentueux architecte décorateur Carlo Vigarani, Lully va transformer en moins de trois mois en salle d’opéra une salle de jeu de Paume, rue de Vaugirard. L’entrée du spectacle était interdite aux gens de livrée (laquais et pages) connus pour ne jamais payer, mais aussi aux vagabonds, gens sans conditions, et soldats.

Seules les loges offraient des places assises. Au parterre, le public se tenait debout mais le prix en était modique. Le public le plus populaire venait le dimanche. Le mardi et le vendredi accueillaient les élites.

Lully impose une discipline de fer à sa troupe, ne tolérant ni les rhumes des chanteuses, ni l’ivrognerie des chanteurs et n’hésitait pas à briser son violon sur le dos du musicien dont il était mécontent.

 

Cadmus et Hermione, première tragédie lyrique de Lully

La première tragédie lyrique de LullyLe premier opéra de Lully, Cadmus et Hermione, est donc représenté le 27 avril 16732. Ce n’est d’ailleurs pas un opéra mais une « tragédie lyrique ». La virtuosité vocale italienne est bannie au profit d’une déclamation inspirée de la tragédie parlée.

Le roi devait venir en personne assister à une représentation et sa majesté « en sortit extraordinairement satisfaite ». La mort de Molière permit à Lully de s’installer au théâtre du Palais royal, délogeant sans ménagement la troupe de son ancien collaborateur et les comédiens italiens.

La volonté de monopoliser la musique sur les scènes de théâtre va provoquer tant de mécontentements que des cabales vont être organisées. La confiance de Lully à l’égard de Philippe Quinault, son très talentueux librettiste, fait également enrager les autres poètes qui composent pour le théâtre. Mais en dépit de tout, les deux hommes devaient régner sur le monde de l’opéra et écrire ensemble quatorze tragédies lyriques dont le sommet devait être la toute dernière, Armide, en 1686.

 

En conclusion

Pendant plus d’un siècle et demi, seule la scène de l’opéra officiel parisien sera autorisée à monter de grands opéras. Et le curieux attelage, associant établissement officiel et profits privés de ses directeurs, connu sous le nom d’Académie de musique, devait perdurer beaucoup plus longtemps, jusqu’à la Belle époque.

Tandis que dans l’Europe entière, on chante en italien, les Français ont leur tragédie en musique, chantée en langue nationale.

Néanmoins, pour contourner le monopole, un genre plus léger, l’opéra-comique, mêlant paroles et musiques, va se développer au XVIIIe siècle. Mais c’est une autre histoire…

 

  • À lire : Jérôme de la Gorce, Jean-Baptiste Lully, Fayard 2002, 910 p.
  1. Anne-Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier était la fille de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII et oncle de Louis XIV
  2. Une belle mise en scène, qui se veut fidèle à l’esprit du Grand siècle, due à Benjamin Lazar, a bénéficié d’une captation vidéo en 2008
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  • Merci pour ce bel article! Et au passage, une petite pique à nos frères les Anglais: on doit aussi à Lully l’hymne (pas tout à fait) national de l’Angleterre, qui se chantait à l’origine « Dieu sauve notre bon roi » avant d’être traduit en Anglais.

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