Pourquoi la NASA veut installer une infrastructure sur la Lune avec Artemis

Artemis II : une mission de test pour les astronautes de la NASA avant un retour sur la Lune

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Pourquoi la NASA veut installer une infrastructure sur la Lune avec Artemis

Publié le 7 avril 2023
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Ce 3 avril, la NASA a publié le nom des quatre astronautes qui constitueront l’équipage de la mission Artemis II qui doit être lancée en 2024. L’annonce a été faite dans le langage fleuri habituel de la NASA, plein de « politiquement correct » et d’emphase. Il est évidemment intéressant de décrypter ce langage pour voir ce que signifie cette deuxième mission, surtout bien sûr dans la perspective des suivantes.

Le politiquement correct d’abord. La NASA met en évidence que l’équipage comptera une femme, un noir, un étranger, en plus du capitaine, un WASP. Comment faire mieux quand on est Démocrate américain ? Mais quel intérêt cela peut avoir pour remplir une mission dont les membres devraient, a priori, être d’abord hautement qualifiés ? Aucun.

Pour être un peu plus clair, la réponse est qu’en fait l’équipage est davantage un groupe de passagers et qu’il n’est pas indispensable qu’il soit hautement qualifié du moins pour effectuer les manœuvres diverses requises pour la navigation de leur appareil. En effet, l’année prochaine Artemis II doit répéter l’expérience (ou le test) d’Artemis I, sur les mêmes orbites (autour de la Lune sans y descendre), avec pour seule différence la présence d’êtres humains à bord. Il a été prouvé que ce vol Artemis pouvait être entièrement robotisé et l’on veut voir cette fois ci comment des êtres humains pourront le supporter. Ce vol Artemis II est donc avant tout un test médical (physiologique et psychologique) et les astronautes en seront les cobayes.

Artemis III sera une mission différente, plus complexe sur le plan astronautique puisqu’il est prévu dans ce cadre de descendre sur la Lune et de sortir sur le sol lunaire, ce qui implique, outre l’alunissage, le redécollage et le retour à une orbite lunaire puis terrestre permettant l’atterrissage. Cette troisième mission est prévue pour 2025. Si elle se passe bien, il y en aura d’autres. Mais chaque chose en son temps !

Depuis Artemis I qui sera sans doute confirmée par Artemis II puisque techniquement la deuxième ne sera pas vraiment différente de la première et que l’on sait que l’homme peut survivre dans un environnement artificiel du type de celui de la Station Spatiale Internationale (ISS) ou des premières missions lunaires, on peut s’interroger sur le sens de ce retour à la Lune.

On peut dire d’entrée que le contexte est assez différent de celui des années 1960/70, où l’on recherchait avant tout l’exploit technique et politique sans prendre beaucoup de précaution pour la vie humaine. Aujourd’hui l’importance politique demeure (car il ne faudrait pas que les Chinois aillent se promener sur la Lune avant les Américains) mais l’exploit technique n’est pas de la même importance car il s’agit principalement de refaire ce qu’on a déjà fait même si on utilise aujourd’hui des technologies différentes (car les technologies, ne serait-ce que l’informatique, ont beaucoup évolué depuis cette époque).

 

Une implantation durable sur la Lune

Au-delà, le but des Américains n’est pas simplement de faire des incursions puis des excursions sur la Lune, il est de s’y installer durablement. Il me semble que le but principal est là encore quand même politique. Les Américains veulent marquer leur territoire par rapport aux Chinois et faciliter leurs allées et venues en créant une infrastructure minimum permettant la survie et un embryon d’exploitation de ressources locales (la glace d’eau dans le fond de quelques cratères au pôle Sud). Vous remarquerez que je ne parle pas des Européens, inexistants dans cette aventure sauf comme auxiliaires des Américains. Par snobisme, ils ont toujours dédaigné les vols habités.

Les Américains veulent sans doute davantage, c’est-à-dire mener des expéditions scientifiques de longues durées et explorer un maximum de territoires. Nous ne connaissons à présent que quelques endroits de notre satellite ce qui peut fausser les conclusions que l’on en tire pour l’histoire de notre système solaire (voir par exemple l’importance et la durée du grand bombardement tardif qui a pu hydrater les planètes telluriques du système solaire interne). Le second objectif est d’apprendre à vivre sur un autre corps céleste après avoir appris à vivre en apesanteur dans l’ISS, car l’on pense toujours que la prochaine étape sera Mars et que l’on sait que ce sera plus difficile que sur la Lune à cause de la durée non réductible des missions et aussi des doses de radiations cosmiques auxquelles on sera exposé au cours du long voyage de six mois.

Personnellement je pense que l’implantation d’une station permanente sur la Lune ne pourra servir sous certains aspects importants que de préparation à l’exploration habitée de Mars beaucoup plus qu’à l’exploration de la Lune.

En effet la différence essentielle entre la Lune et Mars c’est que sur la Lune on peut diriger en direct à partir de la Terre, toutes sortes de robots pour exécuter n’importe quelle tâche. La Lune n’est distante que de 385 000 km, ce qui représente juste un peu plus d’une seconde de décalage temporel (contraint par la vitesse de la lumière, absolument incontournable). Diriger en direct un robot sur Mars est totalement impossible en raison de la distance qui évolue de 56 à 400 millions de km (les planètes ne tournent pas à la même vitesse autour du Soleil et leurs orbites ont une longueur différente). La conséquence c’est que tout message pour Mars ou retour de données de Mars vers la Terre, met de trois à 22 minutes selon la date à laquelle on l’envoie. Dans ces conditions il est impossible de mener une action fluide sur Mars sans y être présent. On doit programmer, constater, reprogrammer, renvoyer les ordres. On a donc besoin d’hommes sur Mars (assister de robots bien sûr), on n’en n’a pas besoin sur la Lune.

On peut en déduire que l’intérêt premier du retour sur la Lune est surtout politique. Cependant il existe aussi un aspect que l’on mentionne rarement mais qui est très important, c’est l’aspect commercial de l’entreprise.

Après les essais, il y aura l’exploitation des essais. C’est-à-dire que la NASA (ou peut-être un jour SpaceX en direct) va servir de transporteur à toutes sortes d’entreprises. Ce seront d’abord celles qui vont construire les infrastructures, puis ce seront celles qui vont les utiliser (sans oublier bien sûr celles qui vont les entretenir !). Il y aura des chercheurs de diverses universités ou instituts mais aussi des ingénieurs qui voudront tester de nouvelles technologies utiles aussi dans des conditions extrêmes sur Terre (quoi de mieux que d’avoir un label « Lune » pour une serre agricole que l’on pourrait vendre pour utilisation dans un désert chaud ou dans l’Antarctique, ou pour tel enduit qui résistera aux variations extrêmes de température !). Et surtout il y aura des touristes. En effet, une fois que les craintes sur le mauvais fonctionnement des lanceurs seront atténuées (sinon qu’elles auront totalement disparues), il y aura de nombreuses personnes « fortunées » qui voudront tenter l’expérience. Il y a un marché pour cela, surtout aux États-Unis (imaginez un mariage sur la Lune !).

Le résultat c’est qu’avec le nombre de voyages, il va y avoir des économies d’échelles et donc un marché encore plus important et donc des voyages pour Mars qui eux aussi deviendront accessibles alors que l’on ne pourra y partir que tous les 26 mois (ce qui est évidemment très mauvais pour les économies d’échelle). Actuellement le prix d’un lancement de SLS (la fusée qui a permis la mission Artemis I et qui permettra la mission Artemis II) est de 4 milliards de dollars. Mais le premier Starship de SpaceX, lui, ne coûtera qu’un seul milliard de dollars et il pourra transporter beaucoup plus de masse et de passagers (10 fois plus). Comme le Starship n’est pas encore prêt (le test de premier vol orbital est imminent mais pas encore effectué), le SLS peut apparaître comme un relais. Il est évident en effet que si le Starship vole, le SLS sortira du circuit compte tenu de sa différence de coût (en grande partie dû à ce qu’il est non réutilisable contrairement au Starship).

Donc les vols habités sur la Lune sont moins nécessaires que pour Mars mais ils seront l’instrument économique pour aller sur Mars. Nul doute que dans « quelques temps », on pourra se payer une semaine sur la Lune pour un forfait de 20 000 ou 30 000 dollars tandis que l’on pourra se payer un séjour de 30 mois sur Mars (durée incompressible avec deux fois six mois de voyage et 18 mois de séjour) pour 200 000 ou 300 000 dollars. Ce sont les ordres de prix que fait miroiter Elon Musk mais encore une fois, tout dépendra du nombre de vols et de passagers pour la Lune.

Il n’y a aucun doute de la future pérennité des établissements lunaires car des infrastructures solides et fiables seront un facteur de sécurité : protection des vies humaines contre les radiations et contre l’absence d’atmosphère respirable et même de pression atmosphérique. Elles permettront aussi : approvisionnement en énergie ; culture de produits frais sous serre ; exploitation des minéraux lunaires permettant de limiter les masses à transporter depuis la Terre, ces minéraux étant notamment utilisables par imprimantes 3D ; production de carburant et réserves des mêmes ; plateformes d’atterrissages ; service de maintenance.

Cependant les conditions environnementales seront très dures, beaucoup plus dures que sur Mars, notamment en raison de la faible gravité (la moitié de celle prévalant sur Mars) et de l’alternance jour/nuit de 14/14 jours. Le voyage Terre/Lune n’étant ni long (deux ou trois jours), ni difficile et étant possible à tout moment de l’année, les hommes n’y feront que de courts séjours (de l’ordre de la semaine, du mois ou du trimestre), afin de se ressourcer sur Terre. Lorsque la dose de radiations cosmiques qu’ils auront encaissée sera devenue limite pour leur santé, ils resteront sur Terre. Les conditions seront très différentes sur Mars où la faible atmosphère donne quand même une protection contre les radiations et ou la durée du jour est quasiment la même que sur Terre (24 h 39). Par ailleurs, une fois qu’on sera sur Mars on sera bien obligé d’y rester dans de bonnes conditions compte tenu de la durée incompressible du séjour.

Donc les voyages Terre/Lune seront très fréquents, une aubaine pour SpaceX en tant qu’entreprise et pour les futurs Martiens qui disposeront de prix de transport abordables, et donc pour les Terriens en général qui disposeront de nouvelles opportunités économiques. N’oublions pas que les dépenses pour la Lune ou même au début pour Mars (jusqu’à ce qu’une population stable y vive) et les revenus correspondants seront des dépenses effectuées ou des revenus encaissés sur Terre !

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  • « ce que signifie cette deuxième mission »: plus d’argent pour le capitalisme de connivence. De l’arrosage dans divers états dont les gouverneurs soutiennent ces missions. Faut il encore rappeler les absurdités de ce programme?
    -Un vaisseau Orion qui est une brique volante, trop lourd pour tout autre lanceur que SLS, et sans assez d’ergols pour aller en orbite basse lunaire.
    -Du coup des atterrisseurs possibles très complexes, à plusieurs étages, ou le starship qui est genre 10 fois plus gros que Orion, totalement ridicule (mais une bonne idée pour contrer les volontés débiles du congrès).
    -L’impossibilité d’une station en orbite basse lunaire, qui permettrait de réutiliser un même atterrisseur et économiser des ergols (et un dépôt d’ergols qui n’a jamais été prévu de toute façon…)
    -Une fusée SLS qui a un 3 ième étage anémique sous dimensionné car récupéré de la delta IV: résultat, une performance pitoyable qui dépasse de peu Falcon heavy alors que ce devrait être 2 fois plus. Il y a un projet mais repoussé aux calendes grecques.
    -Enfin, l’absence totale de projet de base lunaire. Rien, nada. Même pas un atterrisseur robotique dans les régions polaires pour confirmer la viabilité de l’alimentation par panneaux solaires. Ne parlons même pas de rovers pour confirmer la concentration d’eau…

  • Non, il ne faut pas parler de « capitalisme de connivence ». N’oubliez pas que les contrats de la NASA sont passés après appels d’offres, dont les règles sont respectées d’autant mieux qu’il y a concurrence effective de compétiteurs rivaux extrêmement prompts à dénoncer les avantages qui seraient donnés à leurs rivaux (souvenez-vous de la dispute entre SpaceX et Blue Origin à propos des atterrisseurs lunaires). C’est ainsi que l’ESA se retrouve être le fournisseur des modules de service des vaisseaux Artemis alors que certains Américains auraient beaucoup aimé les fournir à sa place.
    .
    Le SLS n’est certes pas un système de transport au top des technologies (pour commencer, il n’est pas réutilisable). Mais il a le mérite d’exister et la NASA a démontré qu’il pouvait voler. C’est mieux que rien, en attendant que le Starship de SpaceX puisse, lui aussi, voler. Lorsque la démonstration sera faite, il est vrai que le SLS n’aura plus beaucoup d’utilité (euphémisme).
    .
    Pour ce qui est du projet de base lunaire, vous avez tort de sous-estimer les préparatifs qui sont faits, notamment la mission VIPER (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) de la NASA qui dans le cours des années 20, va très précisément déterminer les ressources en eau au Pôle Sud de Mars (non pas dans le fond des cratères mais sous le régolithe des crêtes joignant ces cratères). Vous pouvez lire à ce sujet mon blog du 04 février 23 dans letemps.ch.

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