Après huit ans de bons et loyaux services pour Contrepoints, dont trois à la tête de la rédaction, il est temps de passer la main. Huit années de découvertes, de rencontres et de débats acharnés pour défendre la liberté par principe dans un monde de moins en moins libre a été une expérience personnelle extraordinaire et la traduction d’un engagement constant depuis maintenant plus de dix ans. Contrepoints n’est pas seulement un média libéral, il est devenu au fil des années un acteur majeur de l’histoire des libéraux français et de la reconnaissance de leur message dans le débat public national.
Contrepoints est à mes yeux le pur produit de l’optimisme libéral et technologique des deux décennies précédentes. Média participatif, cosmopolite, critique voire sarcastique, pétri de contre-culture libertarienne techno-progressiste il voyait dans la révolution de l’information portée par Internet une source immense d’échanges et d’émancipation. En cela, le journal a longtemps été indissociable d’un véritable écosystème de militants, d’esprits libres et brillants fédérés par un même besoin fondamental, trouver des alternatives politiques et philosophiques à la route de la servitude sur laquelle s’est engagé le modèle politique français depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C’est un peu après la bataille que je rejoins le mouvement libéral français, qui après s’être mobilisé politiquement en 2003 au moment de la loi Fillon sur les retraites (déjà !) se transmue pour porter le combat sur le plan des idées. À partir de là commencent à fourmiller des dizaines d’initiatives politiques, associatives, culturelles visant à mieux faire connaître le libéralisme en France et à proposer ses solutions explorant une tradition intellectuelle ancienne mais toujours vivante et provocatrice.
Alors étudiant en thèse de doctorat à Paris, le lecteur de Constant, Tocqueville, Locke que je suis rencontre à la fois un peu interloqué et sceptique une nouvelle génération lectrice de l’école « austro-libertarienne » dont les principaux penseurs sont déjà largement lus et commentés aux États-Unis. Le forum de l’association Liberaux.org y tient une place essentielle sur le net.
Dans la vraie vie, les colloques, les séminaires de Michel Leter ou encore les cafés liberté, c’est de Murray Rothbard, Ludwig von Mises ou encore Friedrich Hayek que l’on discute avec autant de passion, voire de tensions.
En d’autres termes, la diffusion de ces idées nouvelles pour moi résulte très directement d’une autre révolution liée à Internet, celle de la mondialisation des idées : en quelques années, s’ouvrent de nouveaux horizons en matière de réflexion philosophique et économique grâce à une meilleure diffusion des idées libérales. Jusqu’alors le flambeau de la tradition intellectuelle et politique libérale n’avait pu se transmettre que par le courage et l’abnégation de quelques associations comme l’ALEPS ou quelques figures brillantes comme Henri Lepage ou Pascal Salin. Avec Internet, la diffusion du message libéral, autrefois cantonné à certains cénacles, a pris une dimension quasi industrielle.
Je ne sors pas indemne de ces débats et discussions enflammés qui parfois durent toute la nuit, entre libéraux, libertariens, anarcho-capitalistes et libéraux-conservateurs. Je commence à explorer sérieusement les fondements de l’école autrichienne, de l’école de Paris, mais aussi les théoriciens de l’école du Public Choice. À la veille des années 2010, je dévore les livres de James Buchanan, David Gauthier et surtout Anthony de Jasay, qui reste encore pour moi une référence essentielle dans mon évolution d’un libéralisme tempéré à une position assise sur des principes clairs.
Mais il n’y a pas que des débats et des lectures. Avec Liberaux.org s’organisent des rencontres, des discussions et Contrepoints prend de l’ampleur : le média associatif se professionnalise, sa diffusion s’étend, et en 2014, je deviens le premier employé, bientôt rejoins par Séverine Berthier, pour un site qui devient une véritable référence. Son rôle de passeur d’idées, de dénicheur de talents et sa capacité à populariser des idées nouvelles attirent la lumière des médias mainstream. Contrepoints devient à la fois la caisse de résonnance d’un mouvement libéral naissant et un laboratoire d’idées dans lequel les uns et les autres viennent puiser en open source.
Avec une équipe dévouée, d’abord dirigée par Alexis Vintray et Arnaud Bichon, ensuite par Ludovic Delory, la diffusion des idées est un travail quotidien, pratique, qui se traduit par des dizaines de contributions, d’entretiens, de traductions, de réunions, de dialogues et d’échanges pour traiter l’actualité à contre-courant.
Contrepoints grossit, se professionnalise et prospère grâce à des plumes qui allient compétence, courage et engagement. Je me forme aux outils web, deviens journaliste professionnel et apprends à diriger une équipe au quotidien. Je suis très fier d’avoir travaillé avec eux des auteurs formidables, et des collaborateurs alliant rigueur et conscience professionnelle comme Séverine, Justine, Alexandre, Dominique, sans compter l’infatigable H16 et le très talentueux René Le Honzec. J’en oublie plein, qu’ils me pardonnent, ce n’est pas un adieu mais un au revoir.
Aujourd’hui, l’optimisme technologique qui portait Internet a disparu et les nouveaux challenges qui attendent les défenseurs de la liberté pointent vers la reprise en main par les États technocratiques de la diffusion de l’information, ce qui tend à stériliser un débat public devenu théâtre de guignols. À une époque où le pluralisme politique est malmené, le combat pour les libertés demeure cependant essentiel. Contrepoints aujourd’hui a toutes les cartes en main pour rester la voix dissonante dans le concert collectiviste existant. Bon courage et bon vent !
Bon vent et merci, vous nous manquerez.
En espérant que Contrepoints sache, sans vous, continuer à nous aider à évoluer, comme vous, d’un libéralisme tempéré par des idéologies antagonistes vers une position basée sur des principes clairs.
Merci à vous ! Merci à contrepoints pour donner la parole à tous les libéraux , quelque soit leur tendance.
Je ne peux que vous souhaiter une suite passionnante de votre même si je peux vous assurer que je vais beaucoup regretter vos articles toujours stimulants et intéressant. Oui, je serai bien triste de ne plus vous lire. Mais un au-revoir est néanmoins une forme d’espérance.