My Country the New Age est une série coréenne en 16 épisodes réalisée par Kim Jin-Won diffusée en 2019 sur Netflix mais avec des épisodes deux fois plus longs que les épisodes des séries chinoises.
Tous les codes des séries asiatiques sont au rendez-vous : ralentis, flash-back désaturés, scènes filmées sous 75 angles différents sans aucune nécessité, longues séquences lacrymales. La musique offre la versatilité habituelle de ce type de production passant du trivial à l’élégiaque, de la guimauve à l’incongru. Mais bon autant souligner d’emblée les points faibles de cette série.
Pour le reste, My Country se situe un cran au-dessus des séries diffusées sur Netflix. Sa dimension tragique et son message pessimiste ne sont guère monnaie commune. Sur le plan politique, le mythe du bon prince y est clairement mis en pièces.
My Country : un contexte historique très précis
A la différence de Rise of Phoenixes, cette série coréenne s’inscrit dans un contexte historique très précis. Elle évoque les débuts chaotiques de la dynastie Yi de la période Joseon, la plus prestigieuse de l’histoire coréenne, à en croire du moins le nombre de séries qui la choisissent pour cadre.
Selon une formule éprouvée My Country mêle donc personnages imaginaires et personnages historiques. Mais l’intrigue politique y est très proche de celle de la série chinoise ; le roi a plusieurs fils adultes d’un premier mariage et deux fils issus d’un second mariage. Que croyez-vous qu’il arriva ?
Avec des retours en arrière, l’intrigue s’étend sur douze années avec quatre ancrages :
- 1388, année de la retraite de Wihwado qui marque la rébellion du général Yi
- 1392, première année du règne de Taejo, l’ancien général Yi
- 1398, premier conflit des princes
- 1400, deuxième conflit des princes
Ajoutons-y des flash-back renvoyant à l’enfance ou à la jeunesse des principaux protagonistes.
Une distribution homogène
L’intrigue repose sur trois personnages principaux dont le destin croise celui du prince Yi Bang-won, prince rebelle qui finira par s’imposer comme le premier grand monarque de Joseon. Le couple vedette est quelque peu fade. Visage poupin et inexpressif, air ahuri, Yan Se-jong a bien du mal à rendre son personnage de Seo Hwi charismatique. La belle Kim Seol-hyun, qui joue l’amoureuse Han Hui-jae, n’a guère que son physique pour atout.
En revanche, le reste de la distribution de My Country est très homogène, dominée plus particulièrement par l’excellent Ahn Nae-sang (Nam Jeon), le non moins bon Woo Do-hwan (Nam Seon-ho) et surtout l’étourdissant Jang Hyuk (Yi Bang-Won). Même Jang Youn-nam réussit à rendre émouvant un personnage de tenancière de maison de plaisir, tuberculeuse au grand cœur, cliché romanesque un peu usé.
Au cœur du récit de My Country, l’ascension du prince Yi Bang-won
Cinquième fils du premier roi de Joseon, Bang-won est un homme séduisant et théâtral, ne se séparant jamais de son éventail, mais pouvant se révéler à l’occasion un redoutable épéiste. Connu comme le prince Jeongan, Yi Bang-won est le seul des fils du roi à révéler un talent politique.
Personnage shakespearien, ce prince incarne toutes les vertus et toutes les tares de l’aristocratie. Flamboyant, parfois chevaleresque, capable de générosité mais tout autant brutal, méprisant, imbu de sa naissance, cette figure fascinante se révèle un monstre froid dévoré d’ambition. My Country évoque son irrésistible ascension vers le pouvoir. Mais la sympathie que le spectateur peut éprouver pour cette figure fantasque et anticonformiste va peu à peu s’effilocher.
Deux amis, Hwi et Seon-ho
Si Seo Hwi est un personnage fruste et d’une pièce qui va de désillusion en désillusion. Son ami Nam Seon-ho est plus complexe, déchiré entre un amour impossible pour la sœur de son ami, son affection pour Hwi et sa soumission teintée de révolte à un père impitoyable, Nam Jeon. Figure la plus tragique de My Country, il s’efforce tout au long de cette histoire de « faire au mieux » mais ce mieux ne contribue qu’à le faire souffrir davantage.
Ils sont tous deux des parias mais des parias paradoxaux. Seon-ho est le fils d’un haut personnage mais aussi d’une esclave. « Bâtard » méprisé, il n’a été accepté par son père qu’à la suite de la mort accidentelle du fils légitime. Hwi est le fils d’un général de l’ancien régime victime d’une fausse accusation et qui a connu une mort ignominieuse (ébouillanté !) ce qui en a fait un orphelin déclassé.
Le premier est donc riche et distingué, le second un rustre mal dégrossi au talent de forgeron (mais également archer incomparable).
Des personnages en marge de la société
Autour d’eux gravitent d’autres bannis à l’image de madame Seol, la patronne d’une maison de Gisaeng, Iwharu, ou du guerrier jürchen qui s’attache aux pas de Seon-ho et surtout des inséparables compagnons de Hwi. En effet, notre humble forgeron devenu guerrier est bientôt rejoint par « trois mousquetaires » : un guerrier (noble comme Athos), un ancien esclave devenu voleur qui rêve de noblesse (colosse à la Porthos) et un croque-mort devenu « docteur » (sensible au charme féminin comme Aramis). Ces deux derniers personnages fournissent la majeure partie des épisodes d’un comique parfois lourdingue.
Loin d’une opposition entre gentils et méchants, My Country repose sur des ambitions contrariées et des désirs de vengeance dont nul ne sort indemne. Foin du manichéisme, le jugement sur les personnages varie en fonction du point de vue des uns et des autres. « Pour toi c’est un ami, pour nous c’est un assassin » comme le déclare l’un des « trois mousquetaires » au héros en lui parlant de Seon-ho.
« En quoi êtes-vous mieux que mon père ? » jette Seon-ho au prince rebelle, soulignant l’identité entre Bang-won et Nam Jeon. Ici pas de « gentil » prince s’opposant au « méchant » ministre.
Une amitié héroïque et fusionnelle
Le lien incroyablement fort qui, en dépit de tout, rapproche Hwi et Seon-ho repose, comme toujours dans ces séries, sur l’enfance. Abandonné de tous après la mort de son père, Hwi n’a trouvé de soutien et de réconfort qu’auprès de Seon-ho.
Nos deux « héros » ne cessent de mourir et de renaître, de se blesser et de se sauver réciproquement la vie. N’importe laquelle de ces blessures aurait tué n’importe qui et notamment la masse des figurants qu’une pichenette suffit à envoyer ad patres. Mais insensibles à la gangrène, nos deux vaillants combattants survivent à tout, même aux nécessités matérielles. « Il ne fait donc jamais caca » s’étonne le « docteur » en voyant Hwi veiller sans interruption deux jours durant Seon-ho.
Nous trouvons donc dans My Country cette amitié héroïque et fusionnelle que le public féminin réduit au qualificatif réducteur de « bromance ». « Je sens l’amour jusque dans ton coup d’épée » soupire Seon-ho en s’adressant à Hwi qui vient de le blesser. Ils ne cesseront de se rapprocher et de s’opposer, de s’affonter et de se sauver, de se blesser et de s’aimer. En effet, pendant la plus grande partie de la série, nos deux amis se battent dans des camps opposés ce qui complexifie d’autant plus leurs rapports.
Une intrigue sentimentale dispensable
En comparaison, l’intrigue sentimentale paraît très banale même si quelques séquences au bord de l’eau sont très joliment photographiées (mais affligées de chansonnettes sucrées).
Le personnage de Han Hui-jae est d’ailleurs au fond assez peu indispensable à l’intrigue. On s’attache davantage au personnage plus épisodique de Yeon (l’émouvante Cho Yi-hyun), la sœur de Hwi , victime innocente du jeu politique.
D’ailleurs, la piste d’une rivalité amoureuse entre Hwi et Seon-ho se révèle une impasse, le jeune ambitieux se révélant en réalité amoureux de Yeon et non de Hui-jae.
Des figures paternelles écrasantes dans My Country
Les figures paternelles dominent, écrasantes et insupportables pour leurs fils. Au premier chef, Nam Jeon, dignitaire frustré et ambitieux qui devient grâce au changement dynastique l’homme fort du nouveau régime, le « roi au gat ». Le gat est ce chapeau noir traditionnel qui donne leur allure si particulière aux aristocrates des films historiques coréens.
Le général Yi, accédant au trône sous le nom de Taejo à un âge déjà avancé, soudard couronné, ne se résout pas à lâcher le pouvoir et prétend régner en s’abritant derrière un de ses fils enfant. Cet hypocrite pleurnichard reproche à son cinquième fils trop doué le meurtre de ses frères alors que lui-même rêve d’en finir avec lui.
Ajoutons pour faire bonne mesure l’ombre écrasante d’un père disparu, Seo Gom, le meilleur épéiste du royaume, qui a formé à la fois son fils Hwi et le prince rebelle. Sa mort ignominieuse, « passé dans le chaudron », ne sera éclairée qu’à la toute fin de My Country.
Des figures maternelles effacées ou impuissantes
En revanche les figures maternelles sont effacées, disparues si l’on excepte madame Seol, mère de substitution de notre héroïne ou Dame Kang, reine soucieuse de placer son fils sur le trône. Mais, et c’est significatif, toutes deux sont vouées à la maladie et à la mort.
Le « genrisme » ne sévit guère ici. Point d’amazones ni de farouches guerrières. Les femmes ne jouent un rôle qu’en usant d’armes « féminines », fidèle en cela au contexte historique. Dans cette société patriarcale dominée par les principes confucéens, leur place est d’ailleurs réduite.
La société aristocratique dépeinte dans My Country, douce pour les puissants et dure pour les faibles, cause l’entrée en révolte de Hwi. Affrontant son ami Seon-ho lors d’un concours, il est éliminé car il n’a pas de père influent. Mais ce révolté n’a guère de sens politique contrairement à son ami Seon-ho qui pense pouvoir changer les choses en jouant sur la rivalité entre les deux clans qui se disputent le pouvoir.
De beaux discours trompeurs
L’un des clans est dirigé par Nam Jeon, l’aristocrate méprisant. « Le bien commun justifie le sacrifice d’autrui » déclare Nam Jeon à Hwi. L’ancien ministre des écuries devenu président du conseil privé rêve d’une « nation pour les sujets et non pour le roi ». Il faut comprendre par là un régime oligarchique où le roi serait la marionnette du ministre.
L’autre est menée par le fils du roi. Mais les propos du prince Bang-won qui se veut « la clé de jours plus radieux » et prétend instaurer le « pays des laissés-pour-compte » sont tout aussi trompeurs. D’une certaine façon, le prince annonce clairement la couleur dès le 5e épisode : le changement dynastique n’entraîne aucun changement fondamental de la société.
Écarté du pouvoir par la volonté de son père de favoriser ses plus jeunes fils « illégitimes », il éprouve une profonde répulsion pour les « bâtards » à l’image de Seon-ho, qu’il humilie à plusieurs reprises.
Orgie de sang et pessimisme de My Country
La tension ne cesse de monter jusqu’au douzième épisode de My Country. La mort de l’antagoniste principal, Nam Jeon, entraîne une baisse de régime dans les quatre derniers épisodes. Nous sommes en 1400 et le prince désormais tout-puissant a placé sur le trône un des frères aînés, souverain fantoche. L’ancien roi, confiné dans ses appartements, complote toujours. Bang-won se heurte au seul de ses frères qui ait des ambitions, Bang-gan, qui sous des dehors bouffons, rêve du trône. Mais ce prince Hoean, qui porte la duplicité sur son visage, ne fait pas vraiment le poids. Les situations se répètent donc mais en mode mineur et en accéléré.
Les deux derniers épisodes réunissent enfin les deux amis dont le lien se révèle plus fort que tout. Hwi et Seon-ho ont du être le soleil et la lune dans une vie antérieure commente le facétieux médecin. L’histoire commencée sous le signe de leur amitié indéfectible s’achève par leur mort commune. Ayant compris la vanité de vouloir changer le monde, Seon-ho a sombré dans le nihilisme, ne songeant plus qu’à détruire le monde en faisant périr les princes et les deux rois. Cette sombre histoire de trahisons multiples s’achève ainsi dans une orgie de sang et un climat pessimiste.
Des pions au service des puissants
À vouloir jouer avec le feu du pouvoir, tous se sont brûlés. Hwi s’imaginait utiliser la rivalité entre les deux clans pour assouvir sa vengeance. Il mettra beaucoup de temps à réaliser qu’il n’était qu’une arme entre les mains du Prince. En poursuivant ses objectifs, obsédé par sa haine, il a provoqué par là-même la mort de nombreux innocents.
À la fin des fins, nos héros n’auront été que les pions d’un jeu de go qui les dépasse où des monstres froids préoccupés uniquement par le pouvoir les auront manipulés et utilisés à loisir. À ce jeu, le plus habile et chanceux l’a emporté, voilà tout.
Comme dans Rise of Phoenixes, le prince qui n’a jamais fait confiance à qui que ce soit est arrivé à ses fins et s’apprête à occuper le trône. Mais autour de lui règnent désormais le vide et le silence.
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