Festival d’Avignon : un mélange de genre

À longueur de festival, dans les rues d’Avignon, on entend : “C’est dans le IN ? ah non dans le OFF !”, “ Tu te rends compte, il jouait dans le IN et le voilà dans le OFF”, c’est quoi exactement la différence entre IN et OFF ? 

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Festival d’Avignon : un mélange de genre

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 17 juillet 2022
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Le Festival d’Avignon, cette grande fête du théâtre qui a lieu en juillet dans la ville célèbre pour son pont et son Palais des Papes, on connait, d’accord. Le plus grand festival de théâtre au monde, d’accord. Mais à longueur de festival, dans les rues d’Avignon, on entend : « C’est dans le IN ? ah non dans le OFF ! » ; « Tu te rends compte, il jouait dans le IN et le voilà dans le OFF ».

C’est quoi exactement la différence entre IN et OFF ?

 

Le IN et le OFF dans le spectacle

Le IN, c’est avant tout l’histoire d’une idée, d’une volonté de renouveler la création artistique, loin de celle qui se pratiquait à Paris, d’un désir de partir à la rencontre d’un public jeune et nouveau.

Le OFF, c’est l’histoire d’un combat, celui des plus petits, des moins célèbres, des non-invités, des moins subventionnés. C’est une opportunité saisie par les artistes pour se faire voir, entendre et partager leur art. Un moyen pour les Compagnies de participer à ce qui est devenue la grande fête estivale du théâtre.

Le IN et le OFF sont historiquement liés, le IN et le OFF sont fondamentalement indissociables.

La beauté du festival c’est que les spectateurs du IN, attirés par les grands noms du théâtre – les Jean Vilar, Wajdi Mouawad, Olivier Py, Stanislas Nordey, Thomas Ostermeier, et bien d’autres – ces metteurs en scène, ces auteurs qui font régulièrement le plein, qui n’ont besoin d’aucun média, d’aucune pub pour attirer les foules, se laissent tenter par les spectacles du OFF, par les artistes dont on ne parle jamais, qui ne sont ni connus, ni récompensés, qui doivent tracter, afficher, parader pour séduire la presse, conquérir les programmateurs et remplir leur salle.

La beauté du festival, c’est la porosité entre ces deux mondes. Mais si cela avait un sens dans les années 1950, 1960, 1970, 1980, 1990. Aujourd’hui, la donne a changé, beaucoup changé.

Aujourd’hui IN remplit toujours, il est toujours très prisé mais de moins en moins du grand public, mais des connaisseurs, souvent taxés d’intello, de théâtreux.

Et, aujourd’hui les spectateurs du IN ne vont plus dans le OFF. On le voit dans les queues avant les spectacles lorsqu’ils sont tractés par les petites compagnies : « Non merci je ne vais que dans le IN, moi. »

Et je peux les comprendre. Oui, moi qui ne vais pourtant quasiment que dans le OFF j’avoue que je les comprends. En effet, les spectacles du OFF en 2022 (et c’est le cas depuis plusieurs années) sont composés à 60 % de stand-up, de café-théâtre, de comédies, des spectacles de clowns, de spectacles légers, tout l’inverse des spectacles du IN.

Il est compréhensible que ceux qui vont voir 3 heures du Moine Noir n’aillent pas voir Elle ne suce pas que de la glace, que ceux qui assistent à 10 heures de Ma jeunesse exaltée n’aillent pas voir Mon cul sur la commode.

Aujourd’hui, les spectateurs du IN ne sont plus ceux du OFF. Quand j’étais plus jeune – j’avais 7 ans lors de mon premier Avignon – je pensais que le IN était rempli non pas par des vrais spectateurs mais uniquement par les comédiens, les metteurs en scène, les régisseurs, les troupes qui jouaient dans le OFF tant le décalage est grand entre ce qu’on offre au public dans le OFF et le IN.

Je m’interroge sur ce lien historique entre le OFF et le IN, sur cette porosité synonyme de découverte, d’ouverture, de rencontre ? Tout cela existe-il encore ?

Au-delà de ce déséquilibre flagrant, qui se creuse chaque année un peu plus, qu’en est-il des 40 % restant de théâtre contemporain plus dramatique ?

Que deviennent les spectateurs de cet Avignon-là ? Les irréductibles amoureux du théâtre.

Perdus souvent devant les multitudes de « guguserie », ne pouvant trop se risquer à l’aveugle comme cela se faisait à l’époque, le prix du billet en constante augmentation rendant cela impossible, ils se fient à la presse.

Et de qui parle la presse ? De ces spectacles inconnus mais à ne pas manquer ? De ces découvertes rendues possible par le festival ? De ses trouvailles, de ses coups de cœur, elle qui peut prendre des risques et aller voir, grâce à cette formidable vitrine qu’est le OFF, ce qu’elle ne connait pas ?

Non. La presse parlent des spectacles qui marchent déjà, qui tournent dans toute la France depuis plusieurs années, des spectacles qui se jouent encore et encore dans les théâtres parisiens, les spectacles des fils ou des filles de, des pièces nommées, récompensées aux Molières.

Alors, que deviennent les spectacles qui ne sont pas encore reconnus, qui n’ont ni Molière ni article dans Télérama ? Cachés, écrasés, noyés parmi les autres ?

La rupture entre le IN et le OFF est consommée depuis bien longtemps. La rupture entre le théâtre avec un grand T et les salles de spectacle est radicale.

Aujourd’hui, au lieu d’être un lieu de rencontres, de mélanges et de mixité artistique, le festival encourage le communautarisme des goûts.

 

Quelques rares exceptions

J’ai rencontré des spectateurs qui profitent encore du festival pour découvrir des pépites, certains avaient vibré avec Du silence à l’explosion, pleurés avec Après le Chaos, milités avec Paying for it, fiers et heureux d’avoir su trouver des spectacles aboutis et exigeants parmi les trop drôles, trop politiquement corrects, trop dans l’air du temps pour essayer de remplir les salles.

Bien sûr, il reste quelques rares exceptions, dernières passerelles entre ces deux mondes, entre ses deux univers pourtant frères de lait. Et ce sont les médias qui devraient permettre cette passerelle.

Je rêve d’un festival où le mur entre ces deux mondes serait plus poreux, plus fluide. Je rêve d’un monde où l’on irait chercher les pépites cachées au fond du programme et dont personne n’a encore parlé. Je rêve d’un festival où les gens pourraient encore se permettre de risquer d’aller voir une pièce au pif parce que les tarifs le lui permettent, je rêve d’un festival où les acteurs du IN iraient voir du OFF et conseilleraient des pièces au public, je rêve d’un festival où les pièces avec plusieurs Molière laisseraient la place à d’autres, je rêve d’un festival où les théâtres ne serait pas là pour faire de l’argent sur le dos des compagnies, à coup de 6000, 10 000 euros, 15 000 euros de location pour le mois.

Des théâtres comme le Théâtre des Barriques ou la Chapelle du Verbe Incarnée qui profitent de leur statut pour faire de la co-prod avec les compagnies, pour accueillir des spectacles qu’ils aiment et qu’ils veulent défendre. Mais ils sont rares, trop rares.

Les nouvelles salles pullulent et se spécialisent quasiment toutes dans du comique, de l’humour, du stand up, du café-théâtre, du facile.

 

Alors que faire ? Que va devenir le festival d’Avignon ?

Un festival à plusieurs vitesses ? Le comique d’un côté, le IN de l’autre, les pièces validées par la presse parisienne et les autres. Les restes.

Ne voulons-nous pas autre chose ? Ne sommes-nous pas là pour faire honneur à Jean Vilar et rendre le théâtre accessible, universel, populaire ?

J’ai récemment entendu l’expression qu’à Avignon on faisait du nivellement par l’humour. C’est si vrai.

Y a-t-il encore la place pour un théâtre plus exigeant, plus percutant, plus engagé, plus ambitieux ?

Je l’espère, je l’espère de tout cœur. Et je sais que je ne suis pas la seule. Je croise des compagnies, des artistes qui partagent ce point de vue.

Et si vous aussi vous l’espérez je vous encourage à éplucher le programme du OFF et à aller chercher les spectacles aux thèmes compliqués, aux thèmes peut-être lourds, excentriques, farfelus, les spectacles qui font réfléchir, qui sortent des sentiers battus, d’auteurs que vous ne connaissez pas. Parce que c’est à cela que sert à l’art : interroger, émouvoir, remettre en question, secouer, interpeller.

Si vous aussi vous l’espérez je vous encourage à aller voir ces pièces dont vous n’avez sans doute pas entendu parler mais qui font partie des derniers exemples du festival que souhaient Vilar, Benedetto ou Gérard Philipe.

 

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  • le spectacle est un marché comme les autres…

    pourquoi il n’y pas de mention d’argent?

  • Un système hyper subventionné par nos impôts pour financer des intermittents de spectacles qui se croient artistes.
    Le gouvernement devrait s’en inspirer : lui qui veut faire revenir l’industrie en France, il devrait créer le système des intermittents de l’industrie. Sûr que chacun rêverait d’y travailler !!!!

  • Pour faire comprendre l’Art, on l’y a fait descendre dans le populaire. L’Art n’a plus son but d’élever. Quand on tente de le changer, on le dénature. Je me souviens que Philipe récitait déjà Rodrigue comme il récitait Lorenzaccio; le sens de la pièce originale, qui n’avait rien de romantique, avait disparu. Enfin, ils ont tout de même créé une foire de l’art pour touristes.

    • Le parallèle avec l’éducation est criant. Et sans doute que l’éducation « voulue populaire » par abâtardissement est aussi la raison de l’effondrement de l’Art dans la fange.

  • Les commentaires sont fermés.

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