Il y a deux siècles naissait Monrovia, capitale du Libéria

Le Libéria est né il y a deux cents ans. Une ville vient de naître qui ne s’appelle pas encore Monrovia. Ainsi commence très modestement une des plus étranges créations d’un État dans l’histoire.

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Il y a deux siècles naissait Monrovia, capitale du Libéria

Publié le 25 avril 2022
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Le Libéria est né il y a deux cents ans. Le 25 avril 1822, la bannière étoilée des États-Unis s’élève au- dessus de quelques bicoques hâtivement construites au cap Mesurado, promontoire du littoral atlantique du continent africain. Une ville vient de naître qui ne s’appelle pas encore Monrovia. Ainsi commence très modestement une des plus étranges créations d’un État dans l’histoire.

L’histoire du Libéria, ou Libérie, commence en effet il y a deux siècles. Ce pays de la liberté, telle est la signification de son nom, a pour drapeau une curieuse copie du drapeau des États-Unis avec onze bandes blanches et rouges et un carré bleu sur lequel s’inscrit une étoile unique. Sa capitale, dont on célèbre cette année le bicentenaire, a été baptisée en l’honneur d’un président des États-Unis, Monroe, et ses premiers habitants viennent de la grande république située de l’autre côté de l’océan.

Si les Libériens ont fêté le bicentenaire de leur pays le 14 février dernier, la date du 25 avril marque les véritables débuts d’un des plus anciens États d’Afrique noire. Le président Georges Weah assure même que son pays a été « le premier pays africain à être établi comme une nation indépendante ». Outre qu’il fait peu de cas de certains États d’Afrique du Nord, il néglige l’Éthiopie qui a des titres incontestablement plus anciens à faire valoir.

En revanche, l’histoire des origines du Libéria est bien unique en son genre.

L’enfer est pavé de bonnes intentions comme chacun sait. À l’origine de ce projet généreux mais ambigu, nous trouvons un personnage obscur, le révérend Robert Finley, qui dirigeait le séminaire presbytérien de Princeton.

La question sociale de l’affranchissement

Entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, l’esclavage avait disparu du nord des États-Unis pour devenir « l’institution particulière » du sud. La traite est abolie officiellement par les États-Unis en 1808 et le Congrès de Vienne en 1814 devait, sous influence britannique, l’interdire au niveau international. Désormais, les navires de guerre américains et britanniques pourchassaient les négriers dans l’Atlantique avec une efficacité inégale.

Mais l’affranchissement d’un certain nombre d’esclaves n’était pas sans poser problème dans la société américaine. Aux yeux de notre bon révérend « négrophile », les Noirs libres ne pouvaient être heureux dans une société esclavagiste fondamentalement raciste. De leur côté, les partisans de l’esclavage en étaient bien convaincus, soucieux de faire disparaître le mauvais exemple donné aux esclaves du sud par la présence de Noirs libres au nord.

Le projet de Robert Finlay visait donc à renvoyer les Noirs américains sur la terre de leurs ancêtres. Non seulement les Noirs quitteraient les États-Unis où ils ne pouvaient s’intégrer et connaitraient un sort meilleur, mais l’Afrique bénéficierait des bienfaits de la civilisation chrétienne et les Américains seraient débarrassés d’une population encombrante, formant une caste de parias. Tels étaient les avantages qu’offrait le futur Libéria.

L’American Colonization Society

Les hautes autorités américaines accueillirent très favorablement cette idée, les esclavagistes n’étant pas moins enthousiastes que les « négrophiles ». Une association philanthropique, sous le nom de American Colonization Society (ACS), est définitivement formée au début de l’année 1817. Elias Boudinot Caldwell, beau-frère de Finlay, greffier de la Cour suprême en prend la direction.

Ainsi le problème des Noirs affranchis aux États-Unis trouverait sa solution dans la colonisation d’un territoire en Afrique. Il faut entendre le mot colonie comme l’entendaient les Grecs de l’Antiquité. Il s’agit de créer un établissement pour les Noirs du Nouveau Monde qui en exploiteraient le sol.   Des hommes de race noire devaient y planter un « flambeau de la civilisation ». Utopie chrétienne, Monrovia prend d’ailleurs le nom primitif de cité du Christ de même que la première bannière du Libéria comporte une croix et non une étoile dans le carré bleu.

Une loi votée, le 3 mars 1819, en addition aux textes interdisant la traite des esclaves, ouvrait un crédit de 100 000 dollars. Une agence gouvernementale, établie sur la côte d’Afrique, devra réinstaller les victimes de la traite libérée par l’escadre américaine.

La société y vit l’occasion de financer son projet. Encore fallait-il que le président Monroe accepte d’interpréter le texte dans ce sens. Ainsi fut fait. L’agence africaine accueillerait les affranchis américains aux côtés des esclaves libérés. Une première tentative d’installation en 1820 tourne cependant au fiasco.

Une création précaire au cap Mesurado

En décembre 1821, des négociations laborieuses et confuses avec des potentats locaux permettent d’obtenir un territoire. Il comprend 210 km de côtes sur 65 de profondeur autour du cap Mesurado contre le paiement d’un tribut annuel. Les populations locales ne voient pas d’un très bon œil ces nouveaux venus, pour des raisons d’ailleurs que le politiquement correct actuel préfère ignorer.

S’il était un malheur pour ceux qui en étaient victimes, le trafic des esclaves assurait des profits non négligeables à ceux qui livraient cette précieuse marchandises aux navires négriers. Et si la chasse menée par l’escadre britannique sur les côtes africaines était si peu efficace, les renseignements fournis par les autochtones à leurs complices européens ou américains y étaient pour quelque chose. Bref, la perspective d’avoir pour voisins d’anciens esclaves sous la protection d’une société abolitionniste déplaisait fortement aux populations locales qui vivaient fort bien du trafic.

En 1822, les Européens ne sont guère présents que dans quelques comptoirs littoraux en Afrique. La conquête du continent n’a pas encore commencé. Aussi le rapport de force pour le Libéria n’est pas celui que l’on peut imaginer. Les nouveaux venus dépendent largement du bon vouloir des chefs locaux. Une menace constante pèse ainsi sur l’établissement créé le 25 avril 1822 par l’American Colonization society dans les premières années de son existence.

Les débuts troublés de Monrovia

Un efficace agent de la Société, Jehudi Ashmun, arrivé au mois d’août, prend le commandement d’une colonie en proie au désarroi.

Dès novembre 1822, la petite bourgade est attaquée. Ashmun dispose seulement de 25 hommes armés et de 5 canons à l’abri d’une palissade. L’assaut repoussé, l’arrivée d’un navire britannique permet d’assurer quelques provisions. Le 2 décembre, une nouvelle attaque manque de peu de détruire le médiocre établissement. Les coups de canon tirés attirent l’attention d’un autre navire anglais qui sauve les assiégés in extremis. Une paix est dès lors signée et placée sous la sauvegarde du gouverneur de Sierra Leone. Un petit détachement britannique restait sur place pour la faire respecter.

En mai 1823, la bourgade compte 50 maisons, 3 magasins, une tour en pierre et 150 colons. Quelques temps après, un navire de guerre américain déposait Ralph Randolph Gurley. Le nouvel homme fort de la Société, apportait sa première Constitution au nouveau territoire qui prend dès lors le nom de Libéria, la Cité du Christ étant rebaptisée Monrovia.

Le Libéria, un modèle pour Jean-Baptiste Say

Les libéraux français devaient s’intéresser à cette colonie formée par les Américains en Afrique. Jean-Baptiste Say, enthousiaste, publie un article fin 1824. Après avoir souligné la faible rentabilité économique de l’esclavage, il dénonce le racisme de la société américaine. Il salue ensuite les efforts faits par la Grande-Bretagne qui a fondé la « colonie philanthropique de Sierra-Leone ».

Puis il souligne combien l’existence du Libéria renforce la cause de l’abolition de la traite et de l’amélioration de la race noire. À ses yeux, les États-Unis et l’Afrique en sortiront mutuellement favorisés. Au triste commerce triangulaire succédera un commerce légitime reposant sur le libre échange :

« Les États-Unis, en fait d’articles de commerce, ne porteront plus à l’Afrique des chaînes et des fouets, mais des étoffes, des quincailleries et tous les produits de l’industrie manufacturière […][l’Amérique] n’en tirera plus des muscles vivants arrosés de larmes, mais de l’ivoire, des gommes, des plumes, des parfums, des médicaments, et peut-être beaucoup plus d’autres objets encore inconnus des sociétés d’Europe… »

Mieux vaut que l’Océan sépare Blancs et Noirs

En 1831, G. de Félice, pasteur réformé, se penche à son tour sur le Libéria dans la Revue encyclopédique :

« L’asservissement des nègres est la plus grande iniquité que renferment les annales des peuples chrétiens, et les mesures propres à la réparer doivent être une religion pour nous. »

À ses yeux, l’Afrique est le berceau de la civilisation.

Il écrit, lucide, à propos de la situation des Noirs libres aux États-Unis :

« La population de couleur libre […] reste dans sa position inférieure bien qu’elle ait obtenu l’égalité des droits civils et politiques…Quand les mœurs s’opposent à une fusion entre deux races, l’égalité civile n’est qu’un mot ; je dis plus, elle n’est qu’une amère ironie ; ce qui fait les citoyens égaux entre eux, c’est…la réciprocité de considération et d’égards dans les rapports ordinaires de la vie. […] Quiconque a du sang africain dans les veines trouve aux États-Unis une barrière que rien ne lui permet pas de franchir. »

Comme Blancs et Noirs ne peuvent cohabiter, le mieux est de les séparer de part et d’autre de l’océan. Notre pasteur dresse un tableau idyllique du territoire. À la différence de la Sierra Leone dominée par les Blancs, le Liberia est une véritable colonie noire. Les seuls Blancs admis sont l’agent principal de l’ACS, les médecins et les missionnaires.

Le Libéria, modèle d’initiative privée ?

« Dans le pays de Libéria, les hommes de couleur peuvent dire : l’État c’est nous » assure de Felice.

Dans ce pays de Cocagne, les colons élisent les magistrats et le jury populaire prononce les jugements. Ville bien bâtie, Monrovia bénéficie d’une brise de mer rafraichissante et d’un port commode.

Il oppose le succès du Libéria, dû à une entreprise privée, à l’échec du Sierra-Leone, où « le gouvernement a sacrifié des sommes énormes pour soutenir un établissement précaire et mal dirigé ». Il faut cependant nuancer cette opposition privé/public. L’entreprise privée avait bénéficié de grands soutiens politiques aux États-Unis et de l’appui des navires de guerre américains et britanniques.

En tout cas, les libéraux comme les membres de la Société sont d’accord sur l’essentiel. Seul le commerce « légitime » peut mettre fin à la traite. Ashmun, le premier agent américain de l’ACS, s’efforce de lutter contre les esclavagistes, avec l’assistance de vaisseaux américains, jusqu’à sa mort en 1828. Bientôt, baptistes, méthodistes, presbytériens et épiscopaliens bâtissent leurs églises respectives.

Les écoles ouvertes à Monrovia reposent cependant sur la séparation entre enfants des Américains et enfants des esclaves libérés. Une école missionnaire accueille de son côté les fils de chefs du pays. Ainsi nait insidieusement une hiérarchie au sein des habitants de la colonie.

Le Libéria devient véritablement autonome en 1839 avec une nouvelle Constitution et un gouverneur désigné par l’ACS, Thomas Buchanan, qui succède à l’Agent. A sa mort, Joseph Jenkins Roberts, un Noir, riche marchand originaire de Virginie, prend la suite. Il devient le premier président du Libéria indépendant en 1847.

Le Liberia, une solution illusoire du problème noir

À défaut d’une colonisation agricole, qui se révèle un échec, Monrovia devient surtout un centre commercial très actif. Navires américains, britanniques et même français viennent faire relâche dans ce port si commode.

En tout cas, la résolution du « problème noir » aux États-Unis se révélait bien illusoire. Comme le notait Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique (1835) : en douze ans, la Société a transporté 2500 nègres tandis qu’il en naissait 700 000 aux États-Unis. À ses yeux, le seul apport du Libéria résidait en l’importation des « lumières de l’Europe » par des Africains en Afrique.

Mais l’histoire du Libéria devait surtout démontrer que la colonisation et la situation faite aux colonisés n’était peut-être pas une simple question de couleur de peau. Le territoire devenu État reposait, on l’a vu, sur une ségrégation qui ne disait pas son nom. Il y avait d’un côté les civilisés, les « Américano-libériens » chrétiens et anglophones, ayant le droit de vote et de l’autre, les « natives », des sauvages que les lumières de la civilisation n’avaient guère éclairés.

Et la conquête coloniale de l’Afrique par les puissances européennes devait saper les bases commerciales de la prospérité libérienne. Mais ceci est une autre histoire…

Source :

Jean-Claude Nardin, « Le Libéria et l’opinion publique en France 1821-1847 » in Cahiers d’Études africaines, 1965, p. 96-144.

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